En Italie, Sylvio Berlusconi peut-il vraiment devenir président?

Sylvio Berlusconi et Mario Draghi font partie des prétendants à la présidence de la République italienne, qui débute le 24 janvier 2022. (Photo: Montage photo huffpost/Reuters)
Sylvio Berlusconi et Mario Draghi font partie des prétendants à la présidence de la République italienne, qui débute le 24 janvier 2022. (Photo: Montage photo huffpost/Reuters)

ITALIE - Le suspense est à son comble en Italie. Le mandat du président de la République Sergio Mattarella, 80 ans, prend fin le 3 février prochain après sept années au pouvoir. Mais l’incertitude est totale sur l’identité de son successeur alors que le vote doit débuter ce lundi 24 janvier.

Pour ce poste dont les compétences sont majoritairement symboliques, le seul candidat qui a largement fait comprendre ses intentions est le sulfureux Sylvio Berlusconi. À 85 ans, le magnat des médias, fondateur du parti Forza Italia (centre droit) veut siéger au palais Quirinal, son rêve. Et il ne lésine pas sur les moyens.

Celui qui a déjà été nommé trois fois président du Conseil (équivalent du chef du gouvernement) entre 1994 et 2011 s’est par exemple offert une publicité élogieuse dans un journal qui appartient à sa famille. “Héros de la liberté” qui “mit fin à la guerre froide” et “exemple pour tous les Italiens”, Un homme “bon et généreux”, “ami de tous, ennemi de personne”, “un self made-man, un exemple pour tous les Italiens”, mais aussi “le dirigeant occidental le plus apprécié et applaudi (8 minutes) dans l’histoire du congrès américain”... Autant de qualités listées par le quotidien Il Giornale.

Si la propagande médiatique séduit (ou pas) les Italiens, l’élection présidentielle se déroule en réalité au suffrage indirect. 1008 grands électeurs -320 sénateurs, 630 députés et 58 délégués de régions- doivent choisir le prochain chef de l’État, à la majorité des deux tiers pour les trois premiers tours, soit 672 voix. Si aucun nom ne prend l’avantage, la majorité absolue suffit à partir du quatrième tour, c’est-à-dire 505 voix. À noter que les votes sont anonymes et la discipline de parti pas toujours respectée...

“Il y a zéro, zéro possibilité que Sylvio Berlusconi soit élu président”

Sylvio Berlusconi s’est donc engagé dans d’intenses tractations politiques afin de récolter le maximum de soutiens. Le Cavaliere a déjà réussi à former une coalition avec la Ligue de Matteo Salvini (souverainiste et antimigrants) et le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia, mais il lui manque encore une cinquantaine de votes pour atteindre au moins la majorité absolue.

Il faut dire que la candidature du milliardaire à la santé déclinante est loin de faire l’unanimité. Poursuivi par la justice, il est accusé d’avoir payé des témoins pour qu’ils mentent sur ses soirées “Bunga Bunga”, ces fêtes en compagnie de prostituées parfois mineures qui ont déclenché un scandale politique dans le pays. D’ailleurs, siéger à la tête de l’Italie lui permettrait d’obtenir une immunité politique pendant toute la durée de son mandat.

“Il n’a aucune chance de devenir président de la République”, a déclaré à CNBC l’ancien Premier ministre Matteo Renzi. “Je sais que cette hypothèse est très intéressante pour les journaux pour beaucoup de raisons, mais il y a zéro, zéro possibilité que Sylvio Berlusconi soit élu président de la République”, a-t-il insisté.

Marc Lazar, historien spécialiste de la politique italienne à Sciences po, partage cet avis. “Vraisemblablement, Berlusconi ne sera pas élu parce qu’il n’obtiendra pas les votes suffisants. Il clive, il divise le pays. Des gens l’ont toujours soutenu, il reste un noyau dur de fidèles. Mais une autre partie de l’Italie le déteste: il a été condamné par la justice, il est considéré comme un pitre en politique, et même dangereux”, analyse-t-il pour LeHuffpost.

Le véritable favori de cette élection est Mario Draghi, l’actuel président du Conseil et ancien président de la Banque centrale qui jouit d’une certaine notoriété au niveau européen. Nommé par le président sortant Sergio Mattarella en février 2021 alors que le pays était en pleine crise politique et du Covid-19, Mario Draghi a réussi à maintenir l’unité d’un gouvernement composé de presque tous les partis politiques. Il a réussi à relancer la croissance économique et supervisé les réformes clés exigées en échange des fonds du plan de relance de l’UE, dont Rome est le principal bénéficiaire avec environ 200 milliards d’euros.

Il ne s’est cependant pas mis en avant comme Sylvio Berlusconi, ayant juste indiqué qu’il serait présent pour servir son pays et les institutions lors d’une conférence de presse, rappelle Marc Lazar qui les inconvénients de sa potentielle élection: “S’il devient président, il devra trouver un nouveau Premier ministre pour un an, car des élections législatives auront lieu en 2023. S’il n’y parvient pas, des élections anticipées devront être organisées.” De quoi plonger le pays dans l’incertitude.

“Mario Draghi recrédibilise l’Italie”

“L’autre inconvénient majeur, c’est que le président de la République ne siège pas au Conseil européen. Or, Mario Draghi a recrédibilisé l’Italie, et il est même écouté par les pays les plus frugaux (Pays-Bas, Danemark, Suède, Autriche, NDLR)”, souligne également le spécialiste.

Toutefois, tient-il à préciser, “la présidence de la République a une fonction importance en Italie, contrairement à ce qu’on peut en penser. Le président doit renforcer l’unité nationale. Mario Draghi peut remplir ce rôle, il est très populaire. Il pourra aussi être un contrepoids, au cas où les élections législatives sont remportées par un parti eurosceptique comme la Ligue ou Fratelli d’Italia: c’est lui qui choisit le Premier ministre”. Autre avantage selon Marc Lazar, grâce à son prestige, Mario Draghi “rassure les capitales et les marchés financiers”.

Outre ces deux personnalités emblématiques, d’autres candidats sont évoqués pour remplacer Sergio Matterella, notamment l’ancien Premier ministre Giuliano Amato, l’ancien président de la Chambre des députés Pier Ferdinando Casini, la ministre de la Justice Marta Cartabia, ou encore l’ancienne maire de Milan Letizia Morati. Mario Draghi devrait alors rester Premier ministre.

Dernier scénario possible en cas d’impasse absolu au Parlement: Sergio Mattarella reste président, et Mario Draghi Premier ministre, bien qu’il ait déjà refusé de se présenter pour un second mandat. Au vu du contexte, le chercheur spécialiste de la politique italienne Lorenzo Castellani estime dans la revue Le Grand Continent que “c’est actuellement le scénario le moins probable mais il ne peut être complètement exclu”. Même analyse pour Marc Lazar pour qui cette option est “l’ultime, ultime dernière chance en cas de paralysie totale et d’échec total des partis politiques à se mettre d’accord”.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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