Iran : un an après la mort de Mahsa Amini, le point de bascule ?

La mort de Mahsa Amini en septembre 2022 a soulevé une vague de protestation en Iran. Un an plus tard, les revendications sont toujours présentes.

Un manifestant tient un portrait de Mahsa Amini lors d'une manifestation devant l'ambassade d'Iran à Bruxelles le 23 septembre 2022 (Photo de Kenzo TRIBOUILLARD / AFP)
Un manifestant tient un portrait de Mahsa Amini lors d'une manifestation devant l'ambassade d'Iran à Bruxelles le 23 septembre 2022 (Photo de Kenzo TRIBOUILLARD / AFP)

C’était il y a un an. Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, une jeune Kurde de 22 ans décédait après avoir reçu des coups à la tête lors de sa garde à vue. La jeune femme avait été arrêtée trois jours plus tôt à Téhéran par la police des moeurs qui lui reprochait de ne pas avoir respecté le code vestimentaire en vigueur. Sa mort a provoqué un soulèvement d’ampleur qui a été réprimé dans le sang par la République islamique d'Iran. Sous le slogan “Femme, vie, liberté”, des milliers d'Iraniens avaient défilé dans les rues, défié les autorités et demandé la fin du régime en place depuis 1979. Un an plus tard et malgré la violence des autorités, la contestation n’a pas totalement disparu.

Les répressions s’accentuent

“Les Iraniens se préparent sur les réseaux sociaux et les appels à manifester le 16 septembre se multiplient, nous explique Fahimeh Robiolle, chargée de cours en négociation, gestion de conflit et leadership à l’ESSEC, aux universités de Kaboul et de Téhéran et auteure du livre “Femme Vie Liberté Parlons-en” (Edilivre, 2023). Le régime a réagi en barricadant certains bâtiments gouvernementaux et en empêchant l’accès à la tombe de Mahsa Amini pour des célébrations." La sociologue et politologue iranienne Mahnaz Shirali complète : “Le régime a installé des forces militaires partout dans les grandes villes et la vitesse d’internet est extrêmement lente à certains endroits.”

Partout en Iran, la répression s’accentue à l’approche de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini. Il y a notamment eu une nouvelle vague d'arrestations des militantes auparavant arrêtées ou interrogées. “Les familles de victimes sont particulièrement ciblées par le régime. Un ou deux membres ont été placés en prison pour faire pression et empêcher les manifestations”, relève Mahnaz Shirali, auteure de “Fenêtre sur l'Iran - Le cri d'un peuple bâillonné” (éd Les Pérégrines, 2021). Des actions qui traduisent la crainte du régime que le mouvement ne reprenne un nouveau souffle.

Les femmes n’ont pas remis le voile

Sur l’année écoulée, les manifestations se sont faites plus rares. “Ils ont mis une telle pression que les gens ne pouvaient plus continuer à faire grève, surtout compte tenu de la situation économique”, poursuit Fahimeh Robiolle. Un Iranien sur trois vit en effet sous le seuil de pauvreté. En revanche, les femmes ont continué de sortir sans voile en dépit des risques encourus.

“La police des moeurs, qui avait été annoncée comme dissoute à l’automne 2022, a été renvoyée dans les rues à la mi-juillet avec des mesures de plus en plus vexatoires pour celles qui ne portent pas le voile”, observe David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques. L’accès au métro, à un jardin public ou encore à l’hôpital leur est conditionné par le respect du port strict du voile. De plus, une nouvelle loi à l’étude prévoit de sanctionner les femmes pour défaut de hijab avec des amendes pouvant aller jusqu’à 8000 euros et une peine de prison allant jusqu’à 10 ans, soit autant que pour un crime.

“Plus il y a de complaisance, plus le régime va avoir les moyens de durer et plus il va faire de victimes”

“En Iran, la société est très largement sécularisée, précise le docteur en sciences politiques. Le gouvernement est obsédé par les prescriptions religieuses indissociables du régime, contrairement à une majorité de la population qui soutient les femmes dévoilées. À partir de là, on ne peut pas exclure un point de bascule.” Fahimeh Robiolle observe aussi un élan de soutien avec de plus en plus de gens qui “interviennent” davantage lors des arrestations. “Pour la première fois dans l'histoire contemporaine, un mouvement lancé par les femmes est soutenu par les hommes. D’un point de vue sociétal, c’est quelque chose d’inédit”, relève-t-elle.

La volonté du peuple iranien semble converger dans un sens : faire tomber le régime en place. Mais pour cela, la politologue iranienne Mahnaz Shirali estime qu’il faudrait une “reconnaissance du mouvement par la communauté internationale”. “Il faut prendre des mesures concrètes comme cela a été fait pour Poutine”, argue-t-elle.

Même constat pour Fahimeh Robiolle qui demande aux Occidentaux d’arrêter de faire prospérer la vie de ce régime. Les Etats-Unis ont par exemple annoncé lundi 11 septembre qu’ils allaient autoriser le transfert de 6 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés, dans le cadre d’un échange de prisonniers conclu avec l’Iran. Or, “plus il y a de complaisance, plus le régime va avoir les moyens de durer et plus il va faire de victimes”, conclut-elle.

VIDÉO - En Iran, les femmes non voilées seront traquées par des caméras de surveillance