Iran : les proches de deux otages français nous racontent « l’angoisse » et « l’espoir » depuis 2 ans

Les visages de Cécile Kohler et Jacques Paris lors d’une manifestation de soutien à Paris, le 14 mai 2023.
THOMAS SAMSON / AFP Les visages de Cécile Kohler et Jacques Paris lors d’une manifestation de soutien à Paris, le 14 mai 2023.

IRAN - Noémie Kohler et Marie-Brigitte Huet partagent un nombre incommensurable d’inquiétudes, mais aussi une conviction : un jour, la sœur de la première, Cécile Kohler, et l’ami de la seconde, Jacques Paris, sortiront de la prison iranienne dans laquelle ils sont enfermés depuis le 7 mai 2022. Cette conviction et ces inquiétudes se sont invitées dans leur quotidien depuis deux ans, jour pour jour, et cohabitent désormais avec tout un « mélange de sentiments ».

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« L’espoir, on n’a que ça, on s’y accroche. Et en même temps, on n’en voit pas le bout. À la longue, ça use », souffle Noémie Kohler. Sa sœur Cécile, enseignante en lettres modernes dans les Yvelines, a été arrêtée avec son compagnon Jacques Paris, professeur de mathématiques à la retraite, à la fin d’un séjour touristique en Iran. Soupçonnés d’être des espions, ils sont considérés par la France comme des « otages d’État » (tout comme Louis Arnaud et un autre Français, dont l’identité n’a pas été révélée).

« Il y a des moments d’espoir, où l’on surinterprète des petits signes, tente d’analyser Marie-Brigitte Huet, l’une des fondatrices du comité de soutien de Jacques Paris, contactée par Le HuffPost. Et après, on se dit qu’en fait, on se fait peut-être du cinéma. »

Quelques minutes de visio WhatsApp

Parmi ces « signes » qu’elle veut voir, la fréquence plus régulière, depuis environ huit mois, des coups de téléphone que Jacques Paris peut passer depuis la prison d’Evin, à Téhéran. Ces appels en visio par WhatsApp, qui ne durent qu’une poignée de minutes et sont toujours « très encadrés », ont désormais lieu à peu près une fois par mois. « C’est peut-être un adoucissement de ses conditions de détention et un appel du pied des autorités iraniennes, veut-elle croire. Si c’est le cas, j’espère que le gouvernement français répondra à cet appel. »

Marie-Brigitte Huet, enseignante d’allemand à la retraite, n’a pas eu de contact avec son ancien collègue, dont elle a fait la connaissance il y a 36 ans dans les couloirs du lycée Clemenceau de Nantes, depuis son arrestation. Lorsque ce dernier peut téléphoner, il appelle sa famille – qui souhaite rester discrète –, avec laquelle elle est en contact « constant ».

« La connexion est très mauvaise, il y a des coupures, des décalages, décrit Noémie Kohler, qui a pu parler à sa sœur. La plupart du temps, cela nous empêche de communiquer correctement. » Alors les conversations se concentrent sur l’essentiel : les nouvelles d’un petit-neveu, la santé d’une grand-mère. Et la mobilisation pour les faire sortir. « Il n’y a rien de pire, quand on est enfermés, que de croire que personne ne pense à vous. Ce que l’on fait peut paraître symbolique, mais parfois les symboles, c’est important », souligne Marie-Brigitte Huet.

Lors de ces appels, on ne parle pas de l’actualité et du récent regain de tensions entre Israël et l’Iran, même si le sujet « angoisse profondément » Noémie Kohler, qui a lancé une pétition en ligne pour sa sœur. « On est pendus aux informations et on suit ce qui se passe avec beaucoup d’attention. La situation est de plus en plus instable et nos proches sont de plus en plus en danger », s’inquiète-t-elle.

Des cellules de 9 m², sans « vrai lit »

Cécile et Jacques sont retenus dans la section 209 de la prison d’Evin, un quartier de haute sécurité à la sinistre réputation, où sont enfermés les prisonniers politiques. Ils y ont été séparés – l’une avec les femmes, l’autre avec les hommes – mais leurs conditions sont similaires : après plusieurs mois d’isolement – « une forme de torture », pour Noémie Kohler – chacun vit dans une cellule de 9 m², avec de deux à quatre autres personnes, sans « vrai lit, juste des couvertures, pas de chaise, pas de table », et la « barrière de la langue » avec des « codétenu(e)s qui changent tout le temps ».

« En deux ans, la situation de ma sœur a très peu évolué, regrette Noémie. D’habitude, lors de ses appels, elle met un point d’honneur à nous montrer qu’elle tient le coup, qu’elle est forte. Mais là, on a senti de sérieux signes d’épuisement. »

Personne, parmi les proches des deux otages, ne sait où en est l’enquête lancée par le régime iranien… ni même s’il y a bien une « enquête, entre guillemets ». En deux ans, les enseignants – qui n’ont pas accès à des avocats indépendants – ont reçu trois très courtes visites de l’ambassadeur de France en Iran. Leur entourage est pris en charge par le Quai d’Orsay, qui ne « dévoile rien des coulisses ».

Dune et L’Odyssée d’Homère

Dans ce brouillard, familles et amis ont vu quelques lumières. En février 2023, d’abord, lorsqu’est annoncée la libération de la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, arrêtée en 2019. Puis le 12 mai 2023, lorsque le Français Benjamin Brière et le Franco-Irlandais Bernard Phelan sont à leur tour libérés, après respectivement 3 ans et sept mois de détention. « Cela a été un grand soulagement, une grande joie, relate Noémie Kohler. Quand l’un est libéré, cela redonne de l’espoir et cela nous montre que c’est possible. C’est une bouffée d’air frais. »

Depuis son retour en France, Benjamin Brière aide les proches dans leur combat, et notamment Noémie Kohler. « Par un heureux hasard, il est venu s’installer à Lyon, où j’habite également », confie-t-elle. Des larmes dans la voix lorsqu’elle évoque le récit « bouleversant » de l’ex-otage dans l’émission Envoyé spécial, elle n’a pas de mots assez élogieux pour parler de cet homme de 38 ans, « profondément gentil » et « très présent ».

« Il nous ouvre une fenêtre sur ce que nos proches peuvent vivre, et c’est extrêmement précieux, explique-t-elle. Il nous aide aussi à anticiper leur retour, à répondre aux questions qu’on se pose sur le plan psychologique, affectif, matériel. De quoi auront-ils besoin ? Que peut-on commencer à préparer pour eux ? Nous projeter, ça nous aide à tenir. »

Pour trouver du temps à consacrer à son combat, Noémie Kohler, graphiste de 34 ans, s’est mise à son compte. « Cela devenait impossible de gérer une vie de salariée en même temps que la situation », raconte-t-elle. « Il y a des journées qui sont presque entièrement consacrées à cela », abonde Marie-Brigitte Huet, entourée d’une trentaine de personnes au sein du comité pour l’organisation d’événements, les interviews à la presse ou encore les démarches auprès d’élus ou de personnalités.

Le groupe fait aussi passer des livres à Jacques Paris, par l’entremise de l’ambassadeur français. Dune de Franck Herbert, ou Le Livre des Nombres d’Hervé Lehning, pour cet agrégé de mathématiques. Cécile Kohler, elle, a reçu L’Odyssée d’Homère et s’entraîne à en apprendre des passages par cœur. Comme pour s’approprier, à travers Ulysse, l’histoire d’un retour chez soi.

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