Inscrire les racines "judéo-chrétiennes" dans la Constitution, est-ce possible?

Le député LR Eric Ciotti sur les bancs de l'Assemblée nationale à Paris, le 11 mai 2021 - MARTIN BUREAU © 2019 AFP
Le député LR Eric Ciotti sur les bancs de l'Assemblée nationale à Paris, le 11 mai 2021 - MARTIN BUREAU © 2019 AFP

Désormais candidat à la primaire, Eric Ciotti met la barre à droite toute. Lors de son premier meeting de campagne ce samedi, le député des Alpes-Maritimes a notamment proposé "d'inscrire dans la Constitution nos racines judéo-chrétiennes."

Cette proposition est un grand classique de la droite avant la présidentielle ces dernières années. Nicolas Sarkozy déclarait par exemple quelques semaines avant l'élection en 2012 que "la France a des racines chrétiennes", "parce que la France a un long manteau de cathédrales et d’églises".

"Il est assez logique qu'Eric Ciotti aille sur ce terrain-là", estime Benjamin Morel, docteur en science politique et maître de conférences à l'université Paris-2, interrogé par BFMTV.com.

"Nous sommes dans le cadre d'une primaire et donc il a besoin d'aller chercher l'électorat des militants, assez à droite et qui sont souvent des catholiques pratiquants", analyse l'expert. "Quitte à abandonner ce type de proposition une fois le besoin d'élargir son socle électoral."

Chirac opposé aux "racines chrétiennes"

Jacques Chirac s'était d'ailleurs opposé en 2004 à l'inscription des "racines chrétiennes" de l'Union européenne dans la Constitution européenne. Le locataire de l'Élysée avait alors déclaré ne pas vouloir par "des façons détournées, privilégier une religion par rapport à une autre" - une allusion notamment aux communautés musulmanes et juives d'Europe.

Ce positionnement avait déplu au sein même de son parti. Dix ans plus tard, Laurent Wauquiez regrette même publiquement que l'ancien président ait cédé aux "tenants d'une laïcité poussée jusque dans ses excès".

"Un ferment de division nationale"

D'un point de vue constitutionnel, rien ne s'oppose - techniquement - à l'ajout des "racines judéo-chrétiennes" dans la Constitution. "On peut y mettre ce qu'on veut", estime Didier Maus, le président de l'Association française de droit constitutionnel. "Il n'y pas de limites particulières."

Les experts contactés par BFMTV.com ne voient pas non plus de difficulté particulière à faire cohabiter cet ajout avec le principe de laïcité. "Préciser que la France aurait des racines judéo-chrétiennes ne poserait pas forcément de problème. Dans la Déclaration des droits de l'Homme, on a bien une référence à Dieu, désigné par l'expression 'être suprême'", avance ainsi Olivier Dord, professeur de droit public à Paris-Nanterre.

Le problème de l'inscription des "racines judéo-chrétiennes" serait plutôt d'ordre politique.

"Soyons clairs, cette disposition pourrait être le fondement de mesures anti-islam", juge ainsi Didier Maus. Cette "disposition viendrait affaiblir notre laïcité et serait ferment de division nationale", estime également Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à Lille-2.

Convaincre politiquement, une gageure

Un point de vue que nuance Benjamin Morel. "Parler de racines judéo-chrétiennes fait plus référence à un espace culturel qu'à un dogme religieux. Je pense que cela ne changerait pas grand-chose concrètement. On a bien reconnu les langues régionales dans la Constitution en 2008 mais le français reste la langue officielle de notre pays..."

Principal frein d'après ce constitutionnaliste: réussir à persuader politiquement de la nécessité de modifier la Constitution.

"Il faudrait passer par un référendum - et prendre un grand risque politique, si c'est refusé - ou réunir lors d'un Congrès l'Assemblée nationale et le Sénat. Les parlementaires devraient alors voter aux trois cinquièmes en faveur de cette modification. Il faudrait donc que les deux chambres soient d'accord. Sur un sujet aussi clivant, je n'y crois pas vraiment".

Une proposition (peut-être) pour rien qui lance d'après Olivier Dord "le concours Lépine" des révisions constitutionnelles pendant la campagne présidentielle. Eric Ciotti n'est pas la seul à s'engager sur ce chemin: Xavier Bertrand, par exemple, a de son côté déjà proposé d'interdire le salafisme.

Article original publié sur BFMTV.com