Inquiets, les Kurdes syriens se tournent vers Moscou et Damas

par Ellen Francis

BEYROUTH (Reuters) - Alarmés par la décision de Washington de retirer les 2.000 militaires américains présents en Syrie, les dirigeants kurdes syriens, dont les milices tiennent une bonne partie du nord de ce pays, demandent à la Russie et à son allié, le régime de Damas, d'envoyer des forces à la frontière afin d'éloigner la menace d'une offensive turque.

L'appel en faveur d'un déploiement de troupes du régime sur la frontière, que les combattants kurdes tiennent depuis des années, dénote l'ampleur de l'inquiétude des Kurdes après la décision abrupte de Donald Trump, annoncée ce mois-ci, de retirer les 2.000 Américains de Syrie, qui sont déployés dans le nord et dans l'est du pays.

Un quart de la Syrie, essentiellement à l'est de l'Euphrate, est sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance de milices arabo-kurdes qui comprend les YPG (Unités de protection du peuple).

Pour Ankara, la milice kurde des YPG est le prolongement syrien du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), actif dans le sud-est de la Turquie où il mène une insurrection depuis 1984.

La pire crainte des dirigeants kurdes de Syrie est la répétition d'une offensive turque comme celle qui a chassé cette année les habitants kurdes et les miliciens YPG de la ville d'Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie.

Des responsables kurdes du nord de la Syrie, qui se sont rendus à Moscou la semaine dernière, doivent se rendre de nouveau en Russie, avec l'espoir que le Kremlin incite Damas à "assumer son devoir de souveraineté", a déclaré à Reuters le plus haut responsable politique kurde syrien, Aldar Xelil.

ASSAD VEUT RÉCUPÉRER TOUT LE PAYS

"Nos contacts avec la Russie, ainsi qu'avec le régime [de Damas] visent à trouver des mécanismes clairs pour assurer la protection de la frontière nord", a dit Aldar Xelil, artisan des projets d'autonomie du nord de la Syrie. "Nous souhaitons voir la Russie jouer un rôle important pour favoriser la stabilité", a-t-il ajouté.

Le président syrien Bachar al Assad, qui contrôle de nouveau la majeure partie de la Syrie grâce à l'aide de ses alliés - Russie, Iran, Hezbollah libanais - s'est engagé à récupérer les territoires aux mains des FDS. Ces régions, riches en pétrole, en eau douce et en terres agricoles, sont jugées importantes pour la reconstruction de la Syrie.

"Nous discutons de différentes possibilités, afin d'éviter une attaque turque(...). Nous avons noué des contacts avec la Russie, la France et d'autres pays de l'Union européenne, afin d'obtenir une aide", dit Badran Jia Kurd, un haut responsable kurde qui est allé à Moscou la semaine dernière pour des discussions avec des représentants du ministère russe des Affaires étrangères.

"Il est de la responsabilité du gouvernement syrien de protéger les frontières de la région et cela fait l'objet de discussions", a-t-il dit à Reuters.

La responsable kurde syrienne Ilham Ahmed, qui a eu des discussions cette année avec Damas, assure que les contacts avec le régime syrien n'ont jamais cessé.

"Nous sommes actuellement en train de lancer une nouvelle initiative", a-t-elle déclaré mercredi à Rakka, lors d'une réunion avec des responsables des tribus. "Nous allons par tous les moyens tenter de faire pression sur le régime pour qu'il trouve un règlement politique, afin que nous conservions notre dignité de citoyens syriens", a-t-elle continué.

(Ellen Francis; Eric Faye pour le service français)