Inde: pourquoi le variant indien n'est pas forcément à l'origine de la crise sanitaire actuelle

La hausse des contaminations en Inde est concomitante avec la découverte d'un nouveau variant, surnommé le variant indien. Mais d'autres facteurs ont pu contribuer à la crise sanitaire que vit actuellement l'Inde.

L'Inde a déclaré vendredi matin un nouveau record mondial de 385.000 nouvelles contaminations ces dernières 24 heures et près de 3500 morts. Les hôpitaux et les crématoriums sont débordés et une opération d'aide internationale d'envergure a été lancée par de nombreux pays. Cette explosion du nombre de cas est concomitante à la mise en évidence du variant B.1.617, surnommé variant indien, ce qui peut laisser penser que cette mutation est à l'origine de la deuxième vague.

Mais cette théorie, qui n'a pas été clairement prouvée, est remise en cause par plusieurs facteurs. D'une part, le variant indien n'est pas majoritaire dans le pays selon les séquençages disponibles, et d'autre part, des rassemblements importants ont eu lieu dernièrement en Inde, ce qui a pu accélérer les contaminations.

Pourquoi le variant indien serait-il plus contagieux?

Le variant indien possède plusieurs mutations, et parmi ces modifications, deux sont communes avec d'autres variants. Il s'agit de la mutation L452R, identique à celle du variant californien, et la E484Q présente dans la majorité des VOC ("Variant of Concern", soit "variant préoccupant"), qui nécessitent une surveillance particulière en raison de leur évolution rapide au sein de la population.

"La combinaison de ces deux mutations déjà connues mais non-associées jusqu’ici pourrait conférer au variant B.1.617 une transmission augmentée mais ceci reste à prouver au plan épidémiologique", signale le Conseil Scientifique dans une note du 23 avril 2021.

Ce variant a toutefois été classé dans la catégorie des VOI ("Variant Of Interest") par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), soit les virus à suivre. Mais "les données disponibles à ce jour ne permettent pas d’identifier un lien direct entre l’émergence et la diffusion en Inde du VOI B.1.617 et la situation épidémiologique très défavorable observée à l’heure actuelle dans ce pays", explique Santé Publique France.

D'autres variants en circulation

Non seulement le B.1.617 n'est pas le seul variant à circuler en Inde, mais il n'est même pas majoritaire, selon les données actuellement disponibles. Ainsi "parmi les autres variants, le variant UK est dominant, en particulier dans la région de Delhi, après des premiers cas importés fin décembre 2020", précise le Conseil Scientifique. New Delhi est la ville où la circulation du virus est la plus forte en Inde, et se trouve actuellement dans une grave crise sanitaire.

"Le variant B.1.617 représenterait, au 14 avril 2021, 61% des échantillons séquencés dans l’État du Maharastra où il a été découvert", mais "au niveau national, il représenterait de 15 à 20% des échantillons séquencés", explique Santé Publique France. "Dans l’état de Delhi où l’épidémie semble la plus active, le variant UK (B.1.1.7.) représente de 50% à 80% des virus séquencés", complète le Conseil Scientifique.

"En Inde, on observe une hétérogénéité de la distribution géographique de B.1.617 entre les régions, avec la co-circulation de VOC (incluant VOC 202012/01, [soit le variant britannique] et 501Y.V2 [le sud-africain]) ainsi que d'autres variants", note l'OMS. "Ils peuvent collectivement jouer un rôle dans la résurgence actuelle" du virus.

Ces données issues de séquençages, sont à prendre avec précaution pour le moment. "La stratégie de séquençage des échantillons n’est pas décrite précisément dans les sources d’information disponibles", explique Santé Pubique France, "or en cas de sélection non aléatoire des échantillons séquencés, les résultats rapportés peuvent ne pas être représentatifs de la situation épidémiologique réelle". De plus, l’Inde séquence moins de 1% des prélèvements positifs "et jusque récemment seuls les variants 20I/501Y.V1 [variant britannique] et le 20H/501Y.V2 [sud-africain] étaient recherchés".

Des personnes vaccinées contaminées ensuite

Cette importante circulation de variants a également pu entraîner une moins bonne immunité des vaccins. Des cas de personnes vaccinées puis positives au Covid-19, sont ainsi pointés du doigt en Inde. "Il y a eu plusieurs cas de personnes vaccinées, même celles qui ont reçu les deux doses, testées positives au virus", explique The Indian Express, rappelant toutefois qu'aucun vaccin n'est fiable à 100%, et que l'immunité survient plusieurs jours après l'injection.

Au niveau de la vaccination "140 millions de doses semblent avoir été administrées, correspondant à environ 9% de la population", qui comprend au total 1,3 milliard de personnes, rappelle le Conseil Scientifique, "les deux vaccins utilisés sont Covishield (vaccin d’Astra Zeneca produit en Inde par le Serum Institute of India) et Covaxin, vaccin inactivé manufacturé par Bharat Biotech".

Trop peu de données sont toutefois disponibles actuellement pour évaluer l'efficacité du vaccin face au variant indien et à ses différentes mutations. "Pour l'instant, les vaccins restent efficaces, mais la tendance est à une efficacité moindre", déclare au New York Times Céline Gounder, spécialiste des maladies infectieuses et épidémiologiste au Bellevue Hospital de New York.

Des "difficultés à maintenir dans le temps les mesures de prévention"

Pour le Conseil Scientifique, la vague observée actuellement en Inde est due à "l'apparition du variant UK avec un niveau majoré de transmission", mais aussi aux "difficultés à maintenir dans le temps les mesures de prévention". Sur BFMTV, la virologue Mylène Ogliastro note le "peu d'immunité de la population, pas de confinement, pas de distanciation, des densités de population énormes... On assiste donc à ces [explosions] épidémiques dans des villes très fortement peuplées et dans les quartiers pauvres en priorité où les mesures sociales sont très difficiles à appliquer".

"L’Inde sort d’une période électorale avec de très nombreux rassemblements qui ne sont pas interdits. Le niveau des mesures de prévention prises parait globalement très faible. Pour des raisons culturelles très fortes incluant les traditions religieuses, les bains de foule dans le Gange lors de certaines fêtes sont jusqu’ici conservés", explique le Conseil Scientifique.

"De grands rassemblements continuent d’avoir lieu, notamment l’événement religieux de la Kumbh Mela, qui a regroupé des centaines de milliers de pèlerins dans l’état de l’Uttarakhand", explique également Santé Publique France. "Cet événement a vraisemblablement facilité la propagation du virus. Des rassemblements politiques continuent également d’avoir lieu dans tout le pays".

En pleine crise sanitaire, le Premier ministre Narendra Modi appelait ainsi jeudi la population à se rendre aux élections dans l'État du Bengale Occidental, leur demandant de se "conformer aux protocoles anti-covid".

"Aucun lien n’est établi à ce stade"

Tous ces facteurs ont ainsi pu contribuer à la circulation plus forte du Covid-19 ces dernières semaines, et à cette deuxième vague. L'important nombre de morts peut également être attribué au manque de moyen. Le manque de matériel, face au flux important de malades, s'est gravement fait sentir dans les hôpitaux, certains se sont ainsi retrouvés en pénurie d'oxygène, ce qui a entraîné la mort de malades. Le manque de lits et même d'ambulances s'est également cruellement fait ressentir.

"Au total, bien que ce variant soit classé VOC et suivi de près par les autorités sanitaires indiennes, aucun lien n’est établi à ce stade entre l’émergence de ce variant et la dégradation récente de la situation épidémiologique en Inde", note Santé Publique France.

Pour mieux comprendre la crise sanitaire actuelle en Inde, et la menace précise que représente le variant indien, des données sur l'incidence du variant B.1.617 - que ce soit au niveau de sa contagiosité, de sa dangerosité, ou encore de la durée de l'immunité après infection - "sont nécessaires de toute urgence", écrit l'OMS.

Article original publié sur BFMTV.com

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