En Inde, l’eau du Gange est embouteillée et livrée à domicile

Les bouteilles sont étiquetées puis livrées dans toute l’Inde.
MONEY SHARMA / AFP Les bouteilles sont étiquetées puis livrées dans toute l’Inde.

RELIGION - Dans les montagnes de l’Himalaya, où le puissant Gange prend sa source, des hommes remplissent des jerricans de cette eau sacrée pour les croyants hindous. Elle est recueillie à même la source du fleuve qui traverse l’Inde sur 2 500 kilomètres, pour ensuite être livrée à domicile dans tout le pays. Des millions de bouteilles ont déjà été expédiées depuis le lancement du programme, il y a trois ans.

Cette entreprise est initiée par le Premier ministre nationaliste hindou Narendra Modi pour promouvoir sa religion dans le pays officiellement laïc depuis son indépendance, il y a 75 ans. Le parti nationaliste hindou (BJP) actuellement au pouvoir et sa branche idéologique Rashtriya Swayamsevak Sangh considèrent que l’hindouisme est l’essence même de l’Inde.

Destiné à tout Hindou qui ne peut venir en personne, le précieux liquide est utilisé pour célébrer des occasions importantes, comme les naissances, les mariages, les funérailles, les fêtes religieuses ou même l’acquisition d’un bien coûteux. Une bouteille coûte l’équivalent d’un euro - le prix des frais de port.

L’eau est transportée par camion à 100 km en aval jusqu’à l’usine d’embouteillage. Elle décante ici pendant trois ou quatre jours. Elle est ensuite filtrée avant d’être transvasée manuellement dans des bouteilles en plastique de 30 centilitres, portant une étiquette bleue et scellées par un bouchon rouge. Mais cette initiative rentre dans un cadre beaucoup plus large initié par le Premier Ministre.

Promouvoir l’hindouisme

Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014, son gouvernement a placé l’hindouisme au cœur de son projet pour la plus grande démocratie du monde - l’Inde compte 1,4 milliard d’habitants dont 210 millions de musulmans et autres minorités.

Son plus grand projet religieux est la construction d’un grand temple à Ayodhya sur le site d’une mosquée séculaire détruite il y a trente ans par des fanatiques hindous. L’attaque avait engendré des violences interconfessionnelles ayant fait plus de 1 000 morts, essentiellement musulmans.

L’État du Maharastra, dirigé par le BJP, finance la construction, au large de Bombay, d’une statue de 210 mètres, d’un coût de 300 millions de dollars, représentant le roi guerrier hindou Chhatrapati Shivaji qui, au XVIIe siècle, a défié l’empire moghol avec quelques succès.

Le projet d’autoroute de Chardham, dans l’État de l’Uttarakhand, longue de 900 km, destinée à faciliter l’accès des pèlerins hindous à quatre temples sacrés dans l’Himalaya, a été approuvé par le gouvernement à un coût de 1,5 milliard de dollars.

Ces sites accueillent déjà des centaines de milliers d’hindous chaque année. Les écologistes s’inquiètent de l’impact de la construction d’autoroutes et de tunnels sur l’écosystème fragile de cette région.

Réécrire l’histoire

Mais ce n’est pas tout : des recherches consacrées aux vertus thérapeutiques de l’urine de vache - animal sacré dans l’hindouisme - sont financées, de même que la quête de « preuves » de la véracité des légendes des écritures saintes hindoues.

Certains manuels scolaires ont même été réécrits de façon à gommer le rôle historique de l’empire moghol dans l’édification de l’Inde. Les villes aux noms à consonance musulmane sont peu à peu débaptisées pour prendre des noms hindous.

Ces « initiatives spectaculaires (...) forgent un esprit majoritaire et renforcent, à la perfection, le sentiment que désormais nous sommes un pays hindou de facto », estime Hartosh Singh Bal, rédacteur politique pour le magazine The Caravan.

« Si les détracteurs soulèvent désormais des problèmes pour les minorités ou en matière d’injustice, ils peuvent être étiquetés comme étant opposées à de tels projets de livraison d’eau sacrée du Gange - et (ainsi) les faire taire. »

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