Inceste : le sort de la Ciivise inquiète, Édouard Durand, le coprésident, sur la sellette ?

Le coprésident de la Ciivise, le juge Edouard Durand
JULIEN DE ROSA / AFP Le coprésident de la Ciivise, le juge Edouard Durand

POLITIQUE - Y aura-t-il une Ciivise 2 ? Avec quelle feuille de route et quel casting ? L’exécutif devrait rendre ses arbitrages dans les prochains jours sur l’avenir de cette commission dont le sort nourrit l’inquiétude des associations et de certains responsables politiques. En creux : la crainte que le soufflé ne retombe.

« Il faut que cela continue, c’est très important de permettre aux victimes de continuer à révéler les violences à une instance officielle », déclare ainsi Ernestine Ronai, membre de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) auprès de l’AFP. « Après, comment ça continue, avec quelle orientation… C’est le sujet. À ce stade, on ne sait rien », ajoute-t-elle.

Présidée par le juge pour enfants Édouard Durand et la responsable associative Nathalie Mathieu, la Ciivise a vu le jour en mars 2021, dans le sillage de l’onde de choc provoquée par le livre « la Familia Grande » de Camille Kouchner, accusant son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, de viols sur son frère jumeau. « Il faut garantir la continuité de la Ciivise, c’est-à-dire sa doctrine », plaide aujourd’hui Édouard Durand après un premier rapport choc.

Le gouvernement entretient le flou

En l’espace de deux ans, la commission a recueilli près de 30 000 témoignages et rendu au gouvernement un document de 82 recommandations pour lutter contre ce « crime de masse » qui touche selon elle 160.000 enfants chaque année. Un travail salué qui doit en théorie prendre fin le 31 décembre au grand dam des acteurs de terrain, d’élus et de personnalités qui multiplient les appels depuis cet été en faveur d’une prolongation de son mandat.

« Le Président de la République ne peut pas dire en 2021 “on vous croit” et dire aujourd’hui “on ne va plus vous écouter ” », estime par exemple Laurent Boyet, dont l’association Les Papillons recueille la parole d’enfants dans les écoles et clubs de sport, et membre de la Ciivise.

Pour l’heure, l’exécutif entretient le flou. « Faut-il aller vers une forme de Ciivise 2 ? Faut-il revoir ou amplifier les choses ? (...) Les arbitrages seront donnés dans quelques jours », a dit mercredi le porte-parole du gouvernement Olivier Véran.

Le gouvernement annoncera lundi un plan de 22 mesures contre les violences faites aux enfants, pas seulement sexuelles. La présidente Modem de la délégation aux droits de l’enfant de l’Assemblée nationale Perrine Goulet estime qu’il faut maintenant « s’appuyer sur les institutions existantes » : sa propre délégation, le secrétariat d’État à l’Enfance, le Conseil national de la Protection de l’Enfance, le réseau France Victimes, le GIP Enfance Protégée.

Selon une source proche du dossier, une piste envisagée serait de reconduire la Ciivise, dont le travail est salué, mais avec un casting remanié. Le juge Édouard Durand pourrait notamment être remercié. Son aura médiatique, la mise en cause répétée des dysfonctionnements du traitement judiciaire des violences sexuelles, son indépendance agacent, selon des observateurs.

L’inquiétude des associations… Et des politiques

Pour Arnaud Gallais, membre de la Ciivise et président de l’association BeBrave de « survivants de violences sexuelles », écarter le juge serait « une erreur stratégique ». « Le signal envoyé ne serait pas bon, ça remettrait en question quelque chose qui est essentiel pour les victimes, la question du lien ».

« Il faut que la commission continue et qu’elle continue avec les mêmes professionnels, ça n’a pas de sens de changer une équipe qui fonctionne », abonde Claire Bourdille, fondatrice du collectif Enfantiste. « On en a vu des commissions, des machins, des trucs, où il ne se passe rien, mais là avec la Ciivise le signal envoyé était vraiment fort. Si on remet un couvercle dessus, on en reprend pour 20 ans », met en garde de son côté Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV).

L’exécutif a mis en œuvre une des préconisations de la Ciivise, la première grande campagne de sensibilisation sur l’inceste lancée mi-septembre. D’autres sont en cours, comme la proposition de loi qui réforme l’autorité parentale de la députée socialiste Isabelle Santiago, examinée au Parlement.

« La liberté de ton qu’a la Ciivise pour demander des évolutions du droit, de la prise en charge des victimes est nécessaire », juge Pierre-Alain Sarthou, directeur général de la Cnape, première fédération d’associations de protection de l’enfance. Et Arnaud Gallais d’ajouter : « C’est essentiel d’avoir un garde-fou pour évaluer le travail, de manière indépendante. Or le juge Durand est connu pour son franc-parler. Si le fait de dire les choses clairement là où ça dysfonctionne, ça gêne, ça m’interroge pour la suite. »

Une forme d’inquiétude qui trouve de l’écho dans la classe politique, surtout à gauche, où plusieurs responsables prennent la parole pour demander au gouvernement de prolonger la mission de la Ciivise. « Nous demandons son maintien, pour continuer à accompagner les victimes, et que justice leur soit rendue », exhorte ainsi la présidente des députés Insoumis à l’Assemblée nationale Mathilde Panot sur les réseaux sociaux. La parole est au gouvernement.

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