L’immigration est-elle la solution pour pallier la baisse de la natalité en France ?

En 2020, moins de 740 000 naissances ont été enregistrées en France, contre 828 000 en 2010. Le nombre de nouveau-nés est au plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le haut-commissaire au Plan François Bayrou plaide pour un "pacte national pour la démographie" afin de sauver le modèle social français. Pour faire face à la baisse de la natalité en France, l'ancien ministre recommande notamment d'accueillir plus de "personnes d’autres pays". Est-ce la solution ?

"Il manquerait 40 à 50 000 naissances par an pour assurer le renouvellement des générations", alerte François Bayrou. Si les Français restent les champions européens en termes de procréation, la fécondité est en baisse constante depuis plusieurs années. Alors que beaucoup pensaient que le premier confinement allait avoir un impact positif sur le nombre de nouveau-nés avec beaucoup de naissances, il n'en est rien, bien au contraire. En janvier 2021, la baisse du nombre de naissances a par exemple été de -13% par rapport au mois de janvier de l'année précédente. L'indice de fécondité est passé de 2,02 enfants par femme en 2010 à 1,83 en 2019.

Le président du MoDem plaide pour un pacte national pour la démographie pour sauver le modèle social français. Dans une note détaillée transmise à l'AFP, François Bayrou estime que l'avenir démographique du pays passe par deux voies : "avoir plus d'enfants" et "accueillir des personnes d'autres pays". "L'apport des migrations peut aider à améliorer les rapport actifs-retraités, et donc la capacité de financement de nos système sociaux", explique-t-il.

Une baisse en partie due à des maternités plus tardives

En France, en 2020, moins de 740 000 naissances ont été enregistrées contre 828 000 10 ans plus tôt. Une baisse de 10% qui n'inquiète pas pour autant Gilles Pison, démographe et chercheur associé à l'Institut national d'études démographiques (Ined). "Depuis la fin du baby-boom, les naissances fluctuent entre 700 000 et 800 000 chaque année. Depuis 2010, la tendance est à la baisse mais les 10 ou 15 années précédentes elle était à la hausse. Depuis 50 ans on a des fluctuations sur un fond de stabilité."

Vidéo - Natalité en France : les Français, champions européens de la procréation

Ces hausses et baisses des naissances en fonction des périodes sont dues à un phénomène de retard des naissances au cours de la vie, explique le professeur au Muséum national d'histoire naturelle : "Les femmes font deux enfants chacune, comme les femmes de la génération de leur mère il y a 30 ou 40 ans, mais le grand changement c'est que les femmes ont des enfants beaucoup plus tard que leur mère. Si les naissances ont baissé ces dernières années, ça vient en partie de ce retard de maternité. On peut imaginer que dans les prochaines années le nombre de naissances repartira à la hausse par rapport à aujourd'hui, parce que les femmes qui auront attendu pour avoir leurs enfants finiront par les avoir."

"En 2022 ou 2023, le nombre de naissances augmentera"

D'autant plus que la crise sanitaire actuelle n'a pas incité les couples à faire des enfants mais la tendance pourrait s'inverser en sortie de crise, comme cela a déjà été le cas, affirme Gilles Pison : "Au cours des crises économiques passées, avec la montée du chômage et l'incertitude de l'avenir, une partie des couples qui veulent avoir des enfants reportent leur projet à plus tard et souvent, en sortie de crise, il y a une récupération des naissances qui n'ont pas eu lieu. On peut donc imaginer qu'en 2022 ou 2023 le nombre de naissances augmentera avec ces récupérations."

La France a la particularité, par rapport à la plupart de ses voisins d'Europe, d'avoir un nombre de naissances supérieur au nombre de décès, ce qu'on appelle l'excédent naturel, ou le solde naturel. "Cet excédent des naissances a contribué aux trois quarts de la croissance de la population au cours des 10 dernières années. La population augmente d'année en année et ça devrait continuer dans les prochaines années. La France connait aussi un apport migratoire, avec plus d'entrées que de sorties, et il ne contribue qu'à un quart de l'augmentation de la population, et c'est bien particulier à la France", assure le chercheur associé à l'Ined.

L'apport migratoire nécessaire pour augmenter la population

En Allemagne, il y a plus de décès que de naissances, mais la population augmente en raison de l'apport migratoire. En France, l'excédent naturel risque de diminuer non pas en raison d'un nombre trop peu élevé de naissances mais à cause d'une augmentation du nombre de décès. "Dans les prochaines décennies, les baby-boomers (ndlr : nés entre 1946 et 1974), qui sont très nombreux, vont mourir parce qu'ils vont arriver en fin de vie. Si la population française continue d'augmenter, ça sera plus qu'avant en raison d'un apport migratoire, parce qu'on ne va pas régler ça en augmentant le nombre de naissances. Là, on est avec deux enfants par femme, ce qui assure le maintient et la croissance de la population, et c'est à peu près pareil depuis la fin du baby-boom il y a 50 ans."

Il n'est donc pas impossible que la France accueille plus d'immigrés dans les années à venir si elle souhaite garder le même solde naturel qu'aujourd'hui. Mais François Héran, démographe et professeur au Collège de France, tient à souligner que le rapport du Haut-Commissariat au Plan parle de l'accueil des migrants de manière très prudente. "C'est un rapport nataliste, qui insiste beaucoup sur la natalité, mais pas un rapport qui met en avant l'immigration. Il explique longuement que l'immigration n'est pas la solution, car s'il y a trop d'immigration, cela met en jeu les questions identitaires. L'analyse que fait le rapport est qu'il faut revenir à une politique familiale plus soutenue."

Les immigrés ne suffisent pas à empêcher le vieillissement de la population

Avec les générations des baby-boomers qui arrivent en première ligne des décès, il faut s'attendre à une forte augmentation des décès. Il va y avoir un doublement des décès en 50 ans, assure François Héran, qui ajoute que le solde naturel a déjà été divisé par deux sur les 10 dernières années. "On peut faire venir des immigrés mais il faudrait qu'ils soient jeunes, qu'ils aient des enfants en nombre et on pourrait corriger rétrospectivement le taux de fécondité d'il y a 30 ans, mais ça ne suffirait pas du tout à empêcher le vieillissement de la population, qui est notamment dû à l'allongement de la vie. Ce n'est pas en corrigeant par de l'immigration à la base de la pyramide des âges qu'on arrivera à jouer sur ce qu'il se passe au sommet de la pyramide des âges."

La fécondité relativement soutenue de la France par rapport au reste de l'Europe s'explique grâce à la politique familiale et à sa continuité et non par l'immigration, affirme le démographe, sociologue et anthropologue. "Ce qui fait la force de cette politique familiale en France est le fait qu’on accompagne l’enfant de sa naissance jusqu’au début de l’âge adulte. Les allocations familiales, l’aide à la rentrée scolaire, l’aide au logement... ce sont des aides dans la continuité du développement de l’enfant et ça fonctionne. D’autres pays donnent des primes à la naissance, des soutiens ponctuels, mais ça ne marche pas. L’immigration apporte un complément et parvient à assurer le remplacement des générations depuis longtemps, mais ce n’est pas le facteur déterminant."

La part d'importance de l'immigration va croître

Mais dans les années à venir, avec la baisse de l'excédent naturel, la part d'importance que va prendre l'immigration dans l'évolution démographique de la France va croître. "À cause des effets de structure liés à la fin du baby-boom il y a 50 ans, il va y avoir des changements importants", garantit François Héran. "La migration aura plus d'importance dans l'évolution de la population et le politique ne peut rien là-dessus, parce qu'on ne peut pas corriger la fin du baby-boom et on ne peut pas espérer un baby-boom de l'ampleur de celui qu'on a connu", ajoute-t-il. Un quart des naissances n'étaient pas désirées lors du baby-boom, assure l'ancien directeur de l'Ined, qui précise qu'avec les moyens de contraception actuels, le nombre de naissances non désirées à considérablement diminué.

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