Hyères: l'arrêté interdisant de séjour les dealers marseillais peut-il vraiment être appliqué?
C'est une mesure qui vise à "dissuader les narcotrafiquants de se rendre au Val des Rougières", un quartier de Hyères touché par le trafic de stupéfiants. La préfecture du Var a pris, mardi 27 février, un arrêté interdisant "à tous les individus résidant dans les Bouches-du-Rhône et connus pour des antécédents judiciaires en matière de stupéfiants, de circuler ou de stationner sur la voie publique" à Hyères "sans motif légitime".
Pour la préfecture, l'objectif est de "permettre un retour au calme au sein du Val des Rougières et garantir la sécurité aux habitants et permettre aux associations de reprendre leurs activités au sein de ce quartier" prioritaire, a-t-elle expliqué dans un communiqué.
La préfecture du département a d'ores et déjà promis le renforcement de la présence policière dans la ville avec le déploiement de fonctionnaires de police de Toulon et d'une brigade canine de détection d'armes et de stupéfiants.
Une mesure "hors-sol"
Mais les forces de l'ordre elles-mêmes ne sont pas convaincues par la mesure. Pour David Leyraud, secrétaire zonal Sud Alliance police, elle est même "hors-sol".
"Les narcotrafiquants, ils montent à quatre dans une voiture, ils partent de Marseille avec armes de poing, kalachnikov, ils vont régler des comptes ou exécuter des contrats, que ce soit à Avignon ou à Nîmes. Est-ce que vous pensez qu'une contravention à 150 euros va empêcher les narcotrafiquants d'envoyer des commandos pour des règlements de compte? Je crois que cela sera largement insuffisant", a-t-il expliqué à BFM Toulon Var, ce samedi 2 mars.
Alex Ronde, porte-parole du syndicat CFTC Police, lui non plus ne voit pas trop "l'intérêt" de cet arrêté.
"Finalement, ce sera puni d'une simple amende. Imaginez bien que des individus chevronnés qui veulent récupérer des points de deal, qui utilisent de l'armement de guerre pour régler les comptes, je ne pense pas que cet arrêté va les dissuader", a-t-il expliqué sur BFMTV.
D'autant que, rappelle-t-il, les policiers peuvent déjà réaliser des contrôles routiers et des contrôles d'identité sur réquisition du procureur de la République.
"Concrètement, comment ça va se dérouler ?"
Pour Me Florence Rouas, cet arrêté "pose vraiment question": "Je ne comprends pas bien sur quel fondement juridique, il va pouvoir s'appliquer", a-t-elle expliqué sur le plateau de BFMTV. "Une mesure police administrative doit être nécessaire, justifiée et proportionnée", estime de son côté Me Samy Djemaoun, avocat au barreau de Paris, auprès de BFMTV.com.
"Ce genre d'arrêté doit être encadré, à la fois sur le plan géographique, à la fois sur le plan spatio-temporel. Et puis concrètement, comment ça va se dérouler ?", s'interroge Me Florence Rouas.
Car le communiqué publié par la préfecture du Var ne précise pas la durée d'interdiction. "Or, une mesure de police administrative restrictive de liberté qui n'est pas limitée dans le temps est susceptible d'être illégale", explique Me Samy Djemaoun. Et sur le plan géographique, cet arrêté, tel qui est présenté, entrave la liberté d'aller et venir, estiment les avocats interrogés par BFMTV.
Mais les questions ne s'arrêtent pas là. Selon le communiqué, cet arrêté vise "tous les individus résidant dans les Bouches-du-Rhône et connus pour des antécédents judiciaires en matière de stupéfiants".
"Juridiquement, c'est imprécis et donc susceptible de concerner des personnes qui, par exemple, ont été condamnées il y a vingt ans", pointe Me Samy Djemaoun, avocat au barreau de Paris, auprès de BFMTV.com.
"Est-ce que 'antécédents', ça veut dire qu'on a été interrogé sans jamais avoir été condamné, ou alors est-ce que 'antécédents', ça signifie qu'on a une condamnation inscrite au casier judiciaire? Ce terme, juridiquement, me semble malheureux", ajoute de son côté Me Adrien Gabeaud, avocat au barreau de Paris. Cet arrêté peut-il être appliqué? "Juridiquement, si l'arrêté n'est pas contesté, sa légalité ne sera pas examinée par un juge", explique-t-il.
"Stopper le projet de main mise de dealers marseillais"
Si cet arrêté arrive maintenant, c'est que des narcotrafiquants marseillais tentent "de prendre un point de deal du Val des Rougières", récemment démantelé, a expliqué Rémy Thiebaud, adjoint au maire de Hyères, chargé de la sécurité et de la santé, sur BFMTV. Lundi 26 février, des tirs ont atteint un appartement du quartier, sans faire de victimes.
"C'est très important pour essayer de stopper ce projet de main mise de dealers marseillais sur ce point de deal de Hyères", a-t-il ajouté.
Plusieurs opérations antidrogue ont eu lieu ces dernières semaines. Deux opérations "place nette" ont notamment permis les saisies de 75 kilos de cannabis, 15 kilos de cocaïne et près de 200.000 euros en liquide.
Le département des Bouches-du-Rhône est largement touché par le narcobanditisme. En 2023, 49 personnes ont perdu la vie à Marseille à cause du trafic de stupéfiants, un chiffre record. Une violence qui s'est également largement exacerbée dans les départements voisins, le Var, le Vaucluse ou encore le Gard.