"Un homme à la hauteur", la comédie qui a rétréci Jean Dujardin pour séduire Virginie Efira

Jean Dujardin et Virginie Efira dans
Jean Dujardin et Virginie Efira dans

"Quand on me demande quel va être mon prochain film, je sais que le destin va arriver et me mettre un truc sous le nez." Ce truc, qui est arrivé en 2014 sous le nez du réalisateur Laurent Tirard, c'est un homme mesurant 1m36. Sorti en 2016, Un homme à la hauteur est l’un des projets récents les plus étonnants du cinéma populaire français: une comédie romantique où un architecte de 1m36, Alexandre (Jean Dujardin), tente de séduire une avocate de 1m75, Diane (Virginie Efira).

Tout commence avec Corazón de León (2014), grand succès du cinéma argentin dont la productrice Vanessa van Zuylen est tombée amoureuse lors d'un voyage en Amérique Latine. "Comme toute bonne comédie, elle dénonce des choses difficiles, comme la difficulté d'aimer face au regard des autres. Car il y a toujours un jugement. Même quand on est très amoureux, c'est très difficile. C'était un sujet qui n'avait jamais été traité, même en littérature. Je trouvais ça génial de pouvoir le faire en comédie."

Bien que novice en production, elle convainc Sidonie Dumas de Gaumont et Nicolas de Tavernost de M6 de la suivre dans cette aventure. Elle propose ensuite le projet à Laurent Tirard, alors le roi du box office avec des comédies populaires et familiales comme Le Petit Nicolas (5,5 millions) et Astérix et Obélix: Au service de sa Majesté (3,8 millions). Mais le réalisateur se méfie. Le mot "remake'' l'effraie. Il accepte tout de même de regarder le film, "par politesse professionnelle".

"Tout a été évident, presque trop"

Contre toute attente, ce film aux allures de télénovelas le séduit. Il est touché par la souffrance de cet homme de petite taille qui ne trouve pas la femme idéale: "C'est une comédie avec une vraie histoire d'amour, pas une comédie romantique de trentenaires où on se court après." Laurent Tirard y voit surtout un conte de fées moderne, avec un prince charmant de 1m36. Soudain, le concept de "remake" ne l'effraie plus. Au contraire, il le stimule: "C'est une histoire que personne n'aurait vue en France."

Laurent Tirard écrit avec son complice de toujours Grégoire Vigneron. "Ça s'est fait super vite, comme le film existait déjà", raconte le scénariste. "On a fait un premier scénario, qu'on a ensuite repris une fois ou deux, et c'était bon. Tout a été évident, presque trop. On n'a pas bossé comme des malades pendant un an." L'adaptation est fidèle à la virgule près. "On a changé seulement cinq ou dix lignes! Il n'y avait rien à changer", précise Vanessa van Zuylen. Ils se contentent de modifier (un peu) la fin d'origine.

Pour porter à l'écran une telle proposition de cinéma, ils ont besoin d'une star. Ils portent dans un premier temps leur dévolu sur José Garcia. Une rencontre a lieu, mais la star de La Vérité si je mens! refuse de tourner avec le scénario en l’état. Connu pour son humour outrancier, l'acteur veut plus de situations burlesques et de gags visuels liés à la petite taille du personnage. Le projet tombe aussi mal pour le comédien qui s'est alors installé aux Etats-Unis et souhaite prendre six mois "off" pour peindre.

"Il fallait un héros sexy"

Ils se tournent ensuite vers Jean Dujardin. "Il fallait un héros sexy et c'était justement l'occasion pour lui de montrer une facette un peu différente de lui-même", dit Laurent Tirard. "Beaucoup de gens m'ont dit que c'était la première fois qu'ils le trouvaient aussi émouvant." Le choix de ne pas prendre un acteur de petite taille a été mûrement réfléchi: "Il aurait fallu en trouver un qui joue aussi bien que Jean. Ce n'est pas évident. Il aurait été inconnu et on n'aurait pas pu financer le film de la même façon."

Laurent Tirard évite ainsi tout pathos: "À partir du moment où c'est Jean Dujardin, le public sait qu'il ne fait pas vraiment 1m36. Une convention est passée entre le film et le spectateur. On raconte une histoire. Émotionnellement, on a de l’empathie, mais on ne souffre pas autant que si c'était vraiment une personne [de petite taille]", argumente Laurent Tirard, pour qui Un homme à la hauteur aborde déjà "quelque chose d'assez dur et d'assez cruel sur le fait d'avoir un handicap".

"Aujourd'hui, on a tendance à dire que si on veut parler de choses graves, il faut en parler de façon grave, il faut y aller premier degré. Je ne saurais pas le faire, très honnêtement. Je préfère le faire sous forme de comédie et me dire que le message passe malgré tout. Pour reprendre la phrase de Voltaire, il faut parler légèrement des choses graves. Je préfère distraire le conscient du spectateur pour pouvoir atteindre son inconscient."

La production n'est pas complètement hermétique à la diversité et engage Brice Simien Baron, un homme de 1m40, pour doubler Jean Dujardin dans ses scènes de dos. Le jeune homme, atteint d'hypochondroplasie, une dysplasie du squelette, se rend chaque jour sur le plateau. Jean Dujardin est bouleversé par cette rencontre et discute longuement avec lui pour mieux s'imprégner de son expérience et enrichir sa prestation", note Laurent Tirard.

Virginie Efira, une révélation

Pour Diane, Laurent Tirard hésite entre plusieurs actrices. Le nom de Virginie Efira, alors habituée aux comédies romantiques, l'effraie un peu. "J'avais justement cette image d'elle. Quand on m'en a parlé, ça me paraissait presque un peu trop évident." Puis il lui fait passer des essais. "Ça a été une révélation. Je l'ai vue jouer. Je me suis rendu compte de son potentiel de jeu et d'émotions. Ça ne pouvait être qu'elle." "C'est une espèce de Julia Roberts à la française", s'enthousiasme Grégoire Vigneron.

Pour incarner Coralie, la secrétaire de Diane, Laurent Tirard fait appel à Camille Chamoux. Mais la comédienne, alors enceinte de sept mois, quitte brutalement le projet: "Je me suis aussi fait virer du film [...], parce que j’étais enceinte. Ils m’ont évincée à trois semaines du tournage", assurera-t-elle à Cheek. "Il était prévu que mon personnage attende un enfant, on avait tout réécrit pour que ça colle. Sauf que d’un coup, ils ont réalisé que j’étais enceinte de sept mois, et ils m’ont dit que c’était trop dangereux."

"C'était une décision de production", se défend Laurent Tirard. "[Mais] je pense qu'elle exagère un petit peu. Ce n'était pas 3 semaines avant le tournage. C'était pendant le processus de casting." Camille Chamoux est remplacée par Stéphanie Papanian, que Laurent Tirard a déjà dirigée dans Les Vacances du Petit Nicolas. Le casting est complété par Cédric Kahn, qui incarne le rival amoureux d'Alexandre, et Bruno Gomila, acteur malentendant vu dans La Famille Bélier qui joue le beau-père de Diane.

"C'est 'Plus belle la vie'?!"

Le choix est fait de tourner le film dans le plus grand secret. Le 5 février 2015, Variety officialise le projet et évoque "une comédie romantique avec un concept fort" et un "twist inattendu", sans préciser qu'il s'agit d’un remake. Trois mois plus tard, Le Figaro consacre un article à Vanessa van Zuylen et adoube Un homme à la hauteur comme "le film français le plus mystérieux de l'année".

Pour éviter de divulgâcher le twist, le film est rebaptisé Un homme… "On a fait très, très attention", raconte Vanessa van Zuylen. "On ne voulait pas que des photos de Jean faisant 1m36 sortent trop tôt dans la presse. C'était le retour de Jean Dujardin à la comédie depuis The Artist et l'Oscar. Tout le monde l'attendait au tournant." "Si on en avait parlé un an avant, les gens se seraient habitués à l'idée et il y aurait eu aussi moins d'effets de surprise", estime de son côté Laurent Tirard.

C'est à Marseille que l'équipe pose ses caméras. La Cité Phocéenne baignée de soleil offre au conte imaginé par Laurent Tirard un cadre idéal, "qui fait penser à ces films californiens où tout est presque un peu trop beau". "Laurent voulait une directrice artistique très chic", précise Grégoire Vigneron. "Son idée, c'était que les gens s'asseyent dans un fauteuil de cinéma et qu'ils se laissent embarquer."

Le tournage à Marseille donne lieu à des scènes cocasses, se souvient Laurent Tirard. "Systématiquement, dans la rue, les gens s'arrêtaient et nous disaient, 'C'est Plus belle la vie?! C'est Plus belle la vie?!' On disait, 'non, non, c'est un film de cinéma avec Jean Dujardin et Virginie Efira.' Et ils étaient super déçus."

L'ambiance sur le plateau est joyeuse et les comédiens très investis. Pour la scène où Alexandre et Diane échangent pour la première fois au téléphone, Jean Dujardin insiste pour donner la réplique à Virginie Efira bien qu'il n'apparaisse pas à l'écran. "Il a passé toute la journée dans la camionnette de l'accessoiriste à lui lire le texte au téléphone, avec une lampe sur la tête. Je connais beaucoup de stars qui auraient demandé à la scripte de le faire à leur place", salue Clément Inglesakis, second assistant réalisateur.

"C'était surréaliste!"

Le principal défi reste de rapetisser Jean Dujardin avec des effets spéciaux. Une mise en place qui allonge les journées, raconte Vanessa van Zuylen. "Là où sur un tournage traditionnel il faut quatre prises pour une scène, sur Un homme à la hauteur, il fallait en faire huit à douze à chaque fois. C'était très, très long. Il fallait faire jouer Jean, puis sa doublure, puis faire les gros plans, etc. Ça a rallongé d'un bon quart le temps du film. On a eu la chance que Laurent soit quelqu'un qui tourne très rapidement."

Malgré le confort apporté par le budget (13 millions d'euros - dont 10 dédiés à la fabrication pure du film), la technologie contraint les comédiens à jouer d'une certaine manière et interdit toute spontanéité. Au début du tournage, Laurent Tirard a même quelques sueurs froides. "Il y avait des fonds verts et ils devaient tous marcher sur les cubes verts pour être plus haut [que Jean]. Je me demandais à quoi ça allait ressembler… C'était surréaliste!"

Alexandre ne faisant que 1m36, Jean Dujardin donnait la réplique à ses partenaires sans les regarder dans les yeux. "Jean regardait toujours au-dessus de la tête de Virginie et elle devait regarder son bouton de chemise en dessous de son menton pour qu'on ait l'impression, une fois qu'il est réduit, qu'ils se regardent vraiment dans les yeux", précise Laurent Tirard. Dans la rue, les passants les scrutent, étonnés. "Ils devaient croire que nous faisions une performance d’art contemporain!", s'amuse Virginie Efira dans le dossier de presse.

"A quel point on veut être perfectionniste"

"On s'est demandé quels effets faire pour éviter toute redite avec le film argentin, mais on s'est rapidement aperçu que si c'était une bonne idée en théorie, c'était compliqué dans la pratique", glisse Clément Inglesakis. "Chaque plan devait être pensé indépendamment pour arriver à fonctionner, car on s'est rendu compte que si on appliquait toujours la même méthode, ça ne marchait pas à chaque fois. Chaque plan a été réfléchi par Laurent pour que ça ait l'air bien."

Afin de faciliter le travail des comédiens, décision est prise de mêler effets numériques et trucages réalisés sur le plateau. Pour les scènes où il doit marcher, Jean Dujardin s'installe sur un petit fauteuil roulant pour donner l'illusion qu'il mesure réellement 1m36. Laurent Tirard réduit aussi au maximum l'usage des effets spéciaux pour les scènes d'émotion, car "ce qui comptait, là, c'était le jeu des acteurs." Les effets numériques sont réservés aux plans larges, "qui sont spécifiquement faits pour nous rappeler qu’il est tout petit."

Si ces aménagements aident les comédiens à livrer le meilleur d'eux-mêmes, Jean Dujardin n'a pas toujours les mêmes proportions d'une scène à l'autre. "Après, jusqu'à quel point veut-on être perfectionniste", répond Laurent Tirard. "C'est le genre de film où le spectateur a accepté le principe. Ce n'est pas très grave si les proportions ne sont pas exactement les mêmes dans le plan large et dans le plan serré."

"Il y a quelques plans assez bluffants", insiste Clément Inglesakis, avant de préciser: "Il y aurait eu des problèmes de proportion sur Jean quoi qu'on fasse. C'est malheureusement les limites de l'exercice. Il aurait fallu que l'on soit Le Seigneur des Anneaux, où ils ont eu les moyens de refaire l'intégralité des décors à chaque plan. De toute façon, on est dans une comédie. L'idée n'est pas forcément d'être dans la prouesse technique. Si une scène est réussie, mais que l'effet spécial est moins bien, c'est la comédie qui l'emporte." Sentiment partagé par Vanessa van Zuylen:

"On ne pouvait pas 'morpher' Jean Dujardin dans sa doublure, parce qu'ils n'ont pas les mêmes proportions. On aurait pu faire aussi des effets spéciaux sur Brice, mais il l'aurait mal vécu. C'était joué avec un homme de petite taille qui était très bien dans sa peau et qui était ravi de jouer ce rôle. Ça devenait pervers... On a fait ce qu'on sentait être le plus humain possible. Même si c'est du cinéma et qu’il faut être dans la perfection, il fallait que chacun ait sa propre existence. Brice n'allait pas juste être le fantôme de Jean."

"Nabot à ressorts"

La foi inébranlable de l'équipe dans le projet ne sera pas partagée par les critiques. Si l'alchimie entre Jean Dujardin et Virginie Efira est saluée dans la presse, le concept impressionne peu, voire déçoit. Le Figaro dénonce un manque de risques: "On imagine ce que les frères Farelly auraient fait avec un sujet pareil." Métro juge le résultat "embarrassant". Et pour Le Monde tout "s’effondre dès qu’intervient le personnage de Jean Dujardin, prisonnier d’un effet spécial qui le transforme en nabot à ressorts."

"Depuis très longtemps, je ne lis plus les critiques", déclare Laurent Tirard. "Je ne fais pas de film pour les critiques, mais pour le public." Grégoire Vigneron leur donne un peu raison: "Il y a quelque chose de très lisse dans le personnage. Il n'est jamais en colère, jamais révolté de sa petite taille, de cette injustice qu'il vit au quotidien."

Le public sera aussi peu réceptif au film que la critique, et ce malgré une campagne promotionnelle imaginative, avec des colonnes Morris réduites. En un peu moins de deux mois d'exploitation, Un homme à la hauteur attire 700.000 spectateurs. Un résultat "très décevant" pour le réalisateur: "Tout le monde pensait qu'avec ce concept et ce casting le film ferait 2 millions." "On pensait tous qu'il allait cartonner!", s'exclame Vanessa van Zuylen. "Je pensais qu'on allait faire cinq millions d'entrées!"

"Le film n'a pas été un gouffre financier"

Chez Gaumont, "tout le monde faisait grise mine", se souvient Grégoire Vigneron. Mais le film, vendu en Europe et en Amérique latine, ne fera perdre aucun argent au studio. "Il a très bien marché à l'international. Ça a été une super bonne surprise. C’était numéro 1 en Pologne", s'enthousiasme Vanessa van Zuylen. "On était parmi les dix films français qui avaient le mieux marché à l'international." Et d'ajouter:

"Le film était très bien financé. Comme c'était le retour de Jean à la comédie, tout le monde était allé dessus: Canal, M6, etc. Le jour où le film a été 'greenlighté', il a été financé. Les 700.000 entrées font que le film n'a pas été un gouffre financier. Il marche bien à la télévision ou sur les plateformes et il se rentabilisera dans les prochaines années. Même si ce ne sera pas des sommes dingues, c'est déjà super. Un homme à la hauteur sera toujours dans le paysage français."

Plusieurs raisons permettent d’expliquer l’échec de la sortie française d'Un homme à la hauteur. La date de sortie, le 6 mai 2016, juste avant le week-end de l’Ascension, n'était pas forcément la bonne stratégie. Le film aurait dû sortir en février, pendant les vacances scolaires, mais avait été repoussé pour accommoder l'emploi du temps de Jean Dujardin, qui venait d’être à nouveau père et qui s'apprêtait à repartir en tournage pile au moment où devait avoir lieu la promotion.

"A la crise des gilets jaunes, j'ai compris"

L'échec est surtout lié au film, qui déconcerte: "Les gens s'attendaient à une comédie avec Jean Dujardin et des gags", reconnaît Laurent Tirard. "Je pensais que ça ferait kiffer les gens de voir un mini Jean Dujardin", dit Grégoire Vigneron. La star, qui excelle dans les rôles de crétins, n'était peut-être pas le bon choix pour ce rôle, poursuit le scénariste: "Ce n'est pas un acteur sentimental." Lors des avant-premières, un autre détail dérange: la fortune du personnage, se souvient Laurent Tirard:

"Je ne comprenais pas pourquoi, donc j'expliquais: je disais qu'il était riche parce que c'est un conte, c'est le prince charmant, il est intelligent, il réussit bien dans la vie, donc il a de l'argent. Quand a éclaté la crise des gilets jaunes, j'ai compris. Une espèce de fracture était en train de se créer. Il était difficile pour un spectateur français de s'attacher à un personnage riche, tout simplement."

"Dans le film argentin, ce n'est pas un problème, parce que les Sud-Américains n'ont pas ce problème de la relation à l'argent", analyse encore le réalisateur. "Je n'y ai pas du tout pensé quand j'ai fait la transposition culturelle." Malgré la déconvenue d'Un homme à la hauteur, Laurent Tirard et Jean Dujardin se lient et enchaînent avec Le Retour du héros. Mais cette comédie picaresque dans le style des films de Philippe de Broca (Le Magnifique), plus appréciée par la critique, ne fera pas mieux au box-office.

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Article original publié sur BFMTV.com