Hélène Romano, docteur en psychopathologie : "L’inceste, c’est un génocide identitaire, les victimes peuvent aller jusqu’au suicide"
Chaque année, 160 000 enfants subissent des violences sexuelles, un chiffre effarant qui a de quoi interloquer. Pour Yahoo, Hélène Romano, psychothérapeute et autrice de nombreux ouvrages, est revenue sur cet indicible fléau et plus particulièrement sur le rôle tenu par la mère dans ces cas de figure.
Pendant que certains jouent à la marelle ou aux petites voitures, d’autres traversent un véritable cauchemar auprès de ceux qui sont censés les protéger. L’inceste est une réalité vécue par 160 000 enfants chaque année, des enfants dont le destin est brisé à tout jamais. Pour Yahoo, Hélène Romano, psychothérapeute et co-autrice de "Inceste, quand les mères se taisent" (Ed. Larousse), est revenue sur ce fléau et plus particulièrement sur le rôle tenu par la mère dans ces cas de figure.
"L’inceste, c’est un génocide identitaire"
Comme elle tient à le rappeler, l’inceste est un dysfonctionnement relationnel. Concrètement, ce terme désigne une relation sexuelle entre proches parents, entre un père et sa fille par exemple, une mère et son fils ou encore un frère et sa sœur. "C'est une transgression majeure d’un interdit fondamental", explique-t-elle tout en rappelant les conséquences désastreuses de ce fléau. "Au niveau psychique, c’est un génocide identitaire dans le sens où ça détruit psychiquement l’identité de la personne qui le subit." La victime peut alors avoir des pensées suicidaires et dans certains cas même, passer à l’acte. "Parfois, c'est trop insupportable de vivre avec les cauchemars et les reviviscences liés aux agressions subies."
Car bien souvent, des odeurs ou des sensations viennent réactiver l’agression et peuvent véritablement empoisonner la personne concernée. À tel point que dans certains pays, des jeunes femmes victimes d’inceste ont demandé à être euthanasiées. Des requêtes acceptées en raison de la lourde incidence sur leur vie quotidienne. Du côté des conséquences physiques, elles sont, elles aussi, nombreuses. Parmi elles, la rupture de l’hymen.
"Dans un cas d’inceste, l’agresseur utilise souvent la culpabilité pour maintenir l’enfant sous pression"
Des maux qui peuvent s'étioler avec le temps grâce à une thérapie de reconstruction, des séances pendant lesquelles la notion de culpabilité est également évoquée, un sentiment important chez les victimes d’inceste. Le "c’est de ma faute" revient généralement beaucoup lors des séances de psy. "Un enfant agressé essaie de théoriser quelque chose qui n’a pas de sens. Cette phrase permet de s'approprier les choses, cela évite d'être passif psychiquement par rapport à la situation vécue et de redonner du sens", déclare-t-elle tout en tentant d’expliquer la complexité de ce phénomène. Comme elle le rappelle, cette façon de penser peut, à un moment donné suite au traumatisme, permettre de se ré-humaniser. "Si je suis coupable, je ne suis pas qu’un objet. Donc si je suis coupable et que quelque chose de similaire se reproduit, j’aurais probablement les ressorts pour l’empêcher."
Mais cette culpabilité, parfois nécessaire dans le processus de guérison, est malheureusement bien souvent entretenue par l’agresseur lui-même afin de maintenir l’enfant sous pression ou sous son contrôle en lui disant qu’il est le principal fautif. Il s’agit d’une "véritable arme".
"Le silence des mères face à l’inceste, c’est extrêmement violent pour l’enfant"
Face à cette situation, certaines mères au courant préfèrent garder le silence. Pour l’enfant, qui le prend comme un rejet familial, cette attitude est synonyme de déshumanisation extrême. Le sentiment d’abandon et d’insécurité est alors bien présent. La victime se retrouve complètement démunie, sans le moindre repère. "C’est extrêmement violent. Les conséquences pour la victime sont majeures en termes de troubles post-traumatiques."
Mais depuis le phénomène #metoo et #metooinceste, de nombreuses victimes d’inceste ont décidé de briser le tabou, de prendre la parole et de reprendre leur vie en main. Et elles ne sont pas les seules. De nombreuses mères de victimes ont emboité le pas, bien décidées à leur rendre justice. Seulement voilà : leurs propos ne trouvent généralement aucun écho auprès des instances juridiques. "Elles sont maltraitées par le système judiciaire, accusées d’être aliénantes, d’avoir des troubles et de manipuler leur enfant. Elles finissent donc par se taire", déplore Hélène Romano.
"Face à l’inceste, certaines mères imposent le silence. Les raisons sont multiples"
D’autres en revanche ne prennent pas le risque d’en parler et préfèrent se murer dans le silence dès le départ. "Il y a un certain nombre de mères qui ne vont pas protéger leur enfant lorsqu’il va parler" et ce, pour plusieurs raisons. "Soit parce qu’elles-mêmes ont vécu des situations similaires d’inceste ou des traumas de ce type-là." Dans ce cas-là, en parler réactive les souvenirs et devient donc insupportable.
Soit parce qu’elles risquent de "s’effondrer par rapport à tout un qu'en dira-t-on sociétal, social". Dans ces cas-là, elles finissent même parfois par mettre elles-mêmes une pression sur l’enfant en lui disant de ne surtout pas en parler autour de lui. Et si certaines sont au courant des agissements de l'agresseur dès les premiers temps, d'autres l’apprennent parfois bien plus tard, une temporalité différente qui ne fait souvent, pas grande différence. "C’était il y a longtemps" ; "il faut passer à autre chose" ; "tu ne vas pas ruminer le passé" sont autant de phrases qu’entendent les victimes.
"Le silence de ces mères-là est souvent décrit par les enfants blessés psychiquement comme pire que les actes incestueux eux-mêmes", confie-t-elle rappelant l’impact psychologique désastreux de ce comportement sur les victimes. "Celles qui vont le plus mal psychologiquement sont celles dont les mères ne les ont pas protégées ou celles qui ont été ambivalentes dans leurs réactions."