Une hausse de la délinquance des mineurs en France ? Ce n’est pas ce que disent les chiffres
SÉCURITÉ - Gabriel Attal a promis « de l’action, de l’action, de l’action ». Face à l’actualité chargée de ces derniers mois, marquée par la violence des meurtres de Grande-Synthe (Nord), Romans-sur-Isère (Drôme) ou Viry-Châtillon (Essonne), le Premier Ministre a sonné la « mobilisation générale » face à « l’addiction à la violence » d’une partie des adolescents.
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Comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans, réduction voire suppression de l’atténuation de peine pour minorité dans les condamnations pénales, internat pour les jeunes « à la dérive », punition des parents pour les infractions commises par leurs enfants… Le gouvernement ne manque pas d’idées pour contrer cette supposée flambée de la violence chez les jeunes. Mais y a-t-il réellement une augmentation des délits et des crimes commis par des mineurs en France ces dernières années ?
C’est plutôt l’inverse que soulignent les professionnels du monde judiciaire et associatif. « Soutenir que les jeunes seraient de plus en plus violents est un postulat qu’aucun chiffre ne vient étayer », affirme dans un communiqué le collectif Justice des enfants, qui rassemble notamment le Conseil national des barreaux, la Conférence des bâtonniers, le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche) et la Ligue des droits de l’homme (LDH).
[🚨 JUSTICE PÉNALE DES MINEURS] En réponse aux propositions du Gouvernement contre la « violence des mineurs » , le collectif 'Justice des enfants', dont le #CNB est membre fondateur, rappelle que « Soutenir que les jeunes seraient de plus en plus violents est un postulat… pic.twitter.com/pofr8MVqSp
— Conseil national des barreaux - les avocats (@CNBarreaux) April 25, 2024
« Difficile d’en tirer des conclusions réelles et définitives »
Comme le soulignait Libération en 2020, les statistiques de la délinquance nécessitent de la prudence dans l’interprétation des chiffres, selon si l’on regarde la délinquance constatée par les forces de l’ordre, les condamnations par la justice ou les enquêtes de victimation et de délinquance déclarée.
Un rapport du Sénat datant de 2022 l’indiquait d’ailleurs : « Il n’existe de statistiques fiabilisées des mineurs mis en cause par les forces de sécurité que depuis 2016, et elles posent toujours plusieurs difficultés. Dès lors, il est difficile d’en tirer des conclusions réelles et définitives », reconnaissaient ses rapporteurs. Il n’empêche que le discours politique, porté par l’actualité, se focalise sur la violence des mineurs.
« Il y a deux fois plus d’adolescents impliqués pour coups et blessures, quatre fois plus pour trafic de drogue, et sept fois plus dans les vols avec armes que dans la population générale », a soutenu le Premier Ministre à Viry-Châtillon le 18 avril. Un constat tout relatif : selon les chiffres du ministère, les coups et violences volontaires comptent en 2022 pour 21 % des contentieux les plus fréquents chez les personnes mineures, contre 19 % pour les auteurs majeurs. Les autres proportions avancées par Gabriel Attal ne sont pas non plus étayées par les statistiques publiées par le ministère de la Justice.
Une baisse des mineurs mis en cause
Et quand bien même les mineurs seraient surreprésentés dans certaines catégories, cela ne signifie pas une hausse de la violence chez les adolescents au fil du temps. « La délinquance des mineurs est plus violente qu’autrefois (...) On ne peut pas rester les bras ballants », affirmait pourtant sur RTL le 19 avril le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.
Un discours que les professionnels dénoncent. « Au contraire, d’après les statistiques du ministère de la justice, une baisse de 24 % du nombre de mineurs mis en cause a été observée entre 2019 et 2022, et, si la proportion de poursuites est restée stable sur cette période, le nombre de mineurs jugés devant les tribunaux a baissé de plus de 30 % », affirme le collectif Justice des enfants.
Selon les chiffres du ministère de la Justice, en 2022, les affaires relatives à la délinquance des mineurs traitées par les parquets ont mis en cause 168 900 mineurs, soit 2,5 % de la population âgée de 10 à 17 ans. En 2021, ces affaires concernaient 198 100 mineurs. Selon le rapport du Sénat, ce chiffre est resté, entre 2010 et 2019, plutôt stable, « entre 190 000 et 200 000 selon les années ».
Des fluctuations à la baisse qui ne sont pas non plus une conséquence d’une justice plus laxiste envers les plus jeunes. « Il est également erroné de soutenir que de nombreux mineurs demeurent impunis : le taux de réponse pénale à leur égard est de plus de 90 %, elle intervient […] de manière plus systématique mais aussi plus vite que pour les majeurs », indique le collectif dans son communiqué.
Omniprésence médiatique
C’est aussi ce qu’Éric Achard, secrétaire fédéral de la CFDT justice et éducateur de formation soulignait en février : c’est un « lieu commun » de penser que la justice des mineurs serait laxiste. « Alors qu’au contraire, il y a un suivi des actes délinquants posés par les mineurs qui est en général supérieur à ce qui existe pour les majeurs », avançait-il sur Le HuffPost.
Le sociologue et chercheur au CNRS Christian Mouhanna souligne, quant à lui, que les sanctions visant les jeunes délinquants se sont durcies et non assouplies, entre 2018 et 2022. « La baisse du nombre de mineurs sanctionnés par l’appareil judiciaire est d’autant plus remarquable que la période considérée se caractérise par un durcissement des lois visant les comportements jugés inappropriés ou incivils des jeunes, notamment dans l’espace public », argumente-t-il dans une tribune publiée par Le Monde le 24 avril.
Si les violences entre jeunes ont toujours existé, la différence aujourd’hui serait peut-être à chercher dans la perception de ces violences, alimentée par l’écho politique et médiatique, et l’omniprésence des images. « Au lieu de replacer ces événements dans un cadre plus large, les discours n’hésitent pas à monter en généralité à partir de faits divers certes réels, mais qui ne reflètent pas une situation d’ensemble », conclut Christian Mouhanna.
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