Harcèlement scolaire: que sont ces cours d'empathie venus des pays nordiques dont Attal veut s'inspirer?

En cette rentrée 2023, le harcèlement scolaire s'impose comme un défi phare pour le gouvernement. Le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal a notamment annoncé vouloir s'inspirer des pays nordiques pour lutter contre ce fléau qui a conduit au suicide de Nicolas, 15 ans, début septembre.

Au Danemark ou en Finlande sont mis en place des programmes spécifiques pouvant être qualifiés de "cours d'empathie". Le but? "Développer les aptitudes psychosociales", soit "l'émotion, l'estime de soi et l'empathie", explique à BFMTV.com Catherine Verdier, psychologue, thérapeute, analyste pour enfants et adolescents.

"Même si dans les faits, l'empathie ne s'enseigne pas. C'est un état d'esprit qu'ils se transmettent", ajoute-t-elle. "Ce sont des cours de citoyenneté, des cours sur les émotions".

Un enfant qui connaît le vocabulaire des émotions pourra davantage exprimer son ressenti et comprendre celui des autres, mettre le doigt sur une situation de harcèlement. "Comprendre pourquoi son copain pleure, de quoi il a besoin... C'est le travail par rapport aux émotions qui amène à l'empathie", souligne la spécialiste, autrice du livre L'écologie scolaire (Ed. Dunod).

Le travail sur l'estime de soi, présent dans ces programmes, est aussi primordial car le harceleur en manque souvent. "Le harceleur va agresser pour avoir une estime de lui-même plus importante que sa victime, il a besoin de rabaisser quelqu'un d'autre", analyse Catherine Verdier.

Prévention, intervention, suivi

En Finlande, le programme KiVa, lancé en 2009, a été développé par l'Université de Turku en s'appuyant sur des "recherches approfondies sur les brimades et leurs mécanismes", est-il écrit sur le site internet consacré à cette initiative. En trois mots, KiVa repose sur la prévention, l'intervention et le suivi. Concrètement dans les 75% des établissements scolaires qui y ont adhéré, les élèves participent par exemple à des jeux de rôle permettant de se mettre dans la peau de la victime, de l'agresseur ou d'un témoin.

"Des équipes antibullying sont aussi mises en place. En cas de harcèlement, l'enfant victime sait qu'il peut aller voir un adulte formé et qu'il y aura une réelle aide derrière, détaille la psychologue. Aujourd'hui en France, le problème est qu'il n'y a pas d'accueil concret".

Selon les données recueillies dans plus de 200 écoles finlandaises, la part des enfants se disant harcelés est passée de plus 16% en 2009 à moins de 12% en 2018.

Une amélioration également liée au système scolaire nordique dans son ensemble.

"Il n'y a pas de notes, on ne compare pas les enfants entre eux, remarque Catherine Verdier, contrairement à la France où le système est axé sur la compétition, la performance".

Une méthode danoise déjà testée en France

Si Gabriel Attal souhaite généraliser ces "cours d'empathie", ils existent en réalité déjà en France. Depuis septembre 2022, 18 écoles des cités éducatives du 18ème arrondissement de Paris et de Saint-Ouen-sur-Seine suivent la méthode importée du Danemark "Fri for Mobberi", "Libéré du harcèlement" en français, pour les enfants de 3 à 6 ans. Un programme créé en 2005 et effectif dans plus de 60 % des crèches, 62 % des écoles maternelles et 45 % des écoles élémentaires au Danemark.

Dans ce pays nordique, les enfants sont par exemple invités à dessiner avec le doigt dans le dos de leur voisin pour apprendre à avoir des contacts chaleureux, à être plus proches des uns des autres.

"Comme ça, ils n'auront pas peur d'aller voir un camarade et de lui faire un câlin s'il se sent triste", explique Michelle Kelly, enseignante au Danemark au micro de France 2. Dans cet exercice, l'accent est aussi mis sur le consentement. Les élèves demandent si le camarade peut lui prêter son dos et le remercie en retour à la fin de l'activité.

"En France, on a par exemple adapté cette activité, car le rapport au corps est différent. On va davantage être sur de l'automassage", explique David Brée, chef de projet de la Cité éducative de Paris 18e et salarié de la Ligue de l'enseignement à Paris chargée de déployer le dispositif sur le territoire à BFMTV.com.

Des planches de conversation, illustrant des situations que les enfants peuvent rencontrer dans leur quotidien, sont aussi utilisées afin de favoriser le dialogue.

Cette activité phare a permis, selon les premiers retours en France, a développé le langage oral chez les petits. "Ce sont des situations qu'ils vivent, donc des enfants qui prenaient peu la parole ont davantage eu envie de participer", remarque Margot Neuvialle, coordinatrice du programme à la Ligue de l’enseignement de Paris contactée par BFMTV.com.

Autres outils pour ces cours destinés aux enfants de 0 à 9 ans: un ourson en peluche. "La mascotte du programme [...] est présente dans de nombreuses activités", détaille-t-elle.

Posé dans chaque classe, et sur le temps périscolaire, "les enfants peuvent aller le voir quand ils ont un chagrin ou, étant donné qu'ils n'ont pas forcément les mots, le donner à un camarade pour le réconforter".

Cette peluche violette est aussi le symbole de la continuité éducative tout au long du dispositif. D'une année sur l'autre, l'enfant la retrouvera. "Elle permet de se sentir plus à l'aide, d'avoir une transition plus douce entre les niveaux", note Margot Neuvialle.

Des premiers retours positifs

Au Danemark, 70% des professionnels trouvent que les enfants font preuve de davantage de bienveillance grâce à ce programme. Et en France, s'il est trop tôt pour observer des résultats - Thomas Villemonteix, psychologue clinicien et maître de conférences à l'université Paris 8 se charge du suivi scientifique -, les premiers retours semblent "plutôt positifs", observe la coordinatrice du programme à la Ligue de l’enseignement de Paris. Quatre ou cinq autres écoles françaises et plusieurs crèches devraient rentrer dans le dispositif cette année.

Cette méthode de prévention, basée sur la dynamique de groupe, permet "d'avoir quelque chose d'abouti, de structuré, d'avoir de la suite dans les idées et d'étaler sur le temps long, là où en France ce n'est pas encore le cas", commente David Brée.

Toutefois, pour Catherine Verdier, il est dommage de "lâcher au milieu de la primaire" et prône comme en Finlande, un suivi tout au long de la scolarité.

Article original publié sur BFMTV.com