Sur le harcèlement à l’école, une semaine de prise de conscience politique et médiatique

Le harcèlement scolaire a été au cœur de l’actualité cette semaine, avec deux polémiques et des prises de position remarquées de Gabriel Attal. Une mise à l’agenda médiatique bienvenue pour les associations spécialistes du sujet.

ÉCOLE - Une lettre et une arrestation en pleine classe. Deux polémiques qui ont marqué la semaine politico-médiatique et continué de faire du harcèlement scolaire l’un des grands sujets de cette rentrée.

Samedi 16 septembre, les parents de Nicolas, un adolescent de 15 ans qui s’est donné la mort le 5 septembre dernier à Poissy (Yvelines), rendaient publique la lettre qu’ils avaient reçue en avril, de la part du rectorat de Versailles, après avoir signalé des faits de harcèlement envers leur fils. Le courrier les menaçait de poursuites pour dénonciations calomnieuses.

« Une honte », pour le ministre de l’Éducation Gabriel Attal, qui a fait du harcèlement scolaire la « grande cause » de son ministère. Il s’est adressé dès lundi à l’ensemble des recteurs et rectrices pour leur demander « un électrochoc à tous les niveaux ».

Une arrestation disproportionnée ?

L’actualité autour du harcèlement scolaire s’est poursuivie avec l’arrestation polémique d’un collégien en pleine classe, lundi 18 septembre, à Alfortville (Val-de-Marne). Il est accusé d’avoir insulté et menacé de mort une élève transgenre.

L’intervention a tout de suite fait débat, certains, à l’image de Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), dénonçant « une disproportion totale ». Dans un communiqué, la CGT-éducation condamne, elle, une « méthode inacceptable ».

Même son de cloche du côté de Johanna Dagorn, sociologue chercheuse à l’Université de Bordeaux, spécialiste du harcèlement scolaire, qui reconnaît, auprès du HuffPost, que la sanction pour l’auteur du harcèlement « doit être lourde » mais dénonce une arrestation « qui a dû traumatiser l’enseignant et les élèves sur place ».

Pourtant, sur cette intervention, les trois associations de lutte contre le harcèlement scolaire que nous avons interviewées sont au diapason : si elles reconnaissent qu’une arrestation en pleine classe peut être choquante, toutes saluent cet « électrochoc » promis par Gabriel Attal.

« Il faut qu’il y ait des actions électrochoc »

« On a affaire à des propos d’une violence inouïe. À un moment donné, il faut savoir ce qu’on veut, soit on continue à laisser traîner les choses avec des drames toutes les deux semaines, soit on agit une bonne fois pour toutes », estime David Allouche, coprésident de l’association Parle, je t’écoute. « Il y avait une sorte d’impunité – sous prétexte que c’était des jeunes, ce n’était pas grave, c’était des paroles en l’air, ce n’était finalement pas pris au sérieux. Ce genre d’action envoie un message très fort à l’ensemble des acteurs des cas de harcèlement. »

Noémya Groha, fondatrice de l’association Gener’action solidaire et ancienne victime de harcèlement scolaire elle-même, souligne le contraste entre cette arrestation très médiatisée et le manque de réactivité traditionnel dans ce genre d’affaires. « C’est du jamais vu dans ce type de situation. Quand il y a un dépôt de plainte sur ces affaires, généralement l’enfant qui est auteur est convoqué parfois 2, 3, 4 mois après les faits », rappelle-t-elle.

Une inertie décourageante, à laquelle les acteurs associatifs sont depuis longtemps confrontés dans les dossiers qu’ils traitent. « Même au sein de l’éducation nationale, il y a des inspecteurs ou des directeurs d’école qui ne croient pas vraiment au harcèlement, qui disent “oh, mais c’est une histoire de gamins” », raconte Wilfrid Issanga, directeur de l’Association de lutte contre le harcèlement et la maltraitance en milieu scolaire (ALCHM) « Depuis 2010, le harcèlement est une cause nationale, mais rien n’a changé. Il faut qu’il y ait des actions électrochoc, pour dire à l’ensemble de la communauté, des élèves et des enseignants, que le gouvernement prend à cœur ce fléau qui perdure dans notre pays. »

Les déclarations d’Attal saluées par les associations

Les prises de position de Gabriel Attal depuis plusieurs semaines sur le sujet ne sont pas passées inaperçues auprès des associations, qui y voient un changement bienvenu. « Pour être très franc, on a rarement été d’accord avec le gouvernement, précise David Allouche. On pense qu’il n’en a jamais fait assez, qu’il n’a jamais pris le problème à bras-le-corps. Pire, qu’il a protégé des situations qu’il aurait fallu diffuser. Aujourd’hui, franchement, on n’a rien à ajouter aux déclarations de Monsieur Attal. Quand il dit que son rôle n’est pas de protéger son institution à tout prix mais de protéger les enfants, pour nous, c’est exactement ça ! »

Parmi les décisions saluées par Wilfrid Issanga, la mesure gouvernementale annoncée le 18 août dernier, qui permet le transfert de l’élève harceleur vers un nouvel établissement. « On a demandé ça pendant un an à Monsieur Pap Ndiaye et on s’est entendus dire que c’était compliqué, qu’il fallait changer la réglementation, relate le directeur de l’ALCHM. Le ministre Attal arrive, il y avait ce dossier sur sa table, et en une semaine il a pris une décision. »

« Il parle, mais derrière il faut voir les faits »

Du côté de Johanna Dagorn, l’enthousiasme est bien moins prononcé. Le transfert des élèves harceleurs est, selon la sociologue, une mesure « technocrate » difficilement applicable en dehors du milieu urbain, un déplacement vers un autre collège ou lycée pouvant s’avérer bien plus compliqué en milieu rural en raison de la distance entre les établissements. Plus généralement, elle dénonce surtout une approche gouvernementale focalisée « sur la lutte plutôt que sur la prévention » ainsi qu’un manque de formation des équipes éducatives.

La sociologue voit néanmoins une raison d’être optimiste : le harcèlement scolaire est de plus en plus présent dans la conversation médiatique. « J’ai fait ma thèse sur ce sujet et, à l’époque, c’était considéré comme un objet secondaire, comme les violences faites aux femmes d’ailleurs, se souvient-elle. Donc, en ça, ça avance. Et qu’il y ait une mise en priorité sur l’agenda politique et médiatique, je ne peux que m’en féliciter. »

Le 3 septembre, Élisabeth Borne annonçait la présentation d’un plan de lutte contre le harcèlement scolaire « d’ici la fin du mois » dont on connaît à peine les contours. Un rendez-vous que tous attendent avec impatience pour voir les mesures proposées par le gouvernement, alors que « tout reste à faire », selon David Allouche. « Gabriel Attal, c’est un politique : il parle, mais derrière il faut voir les faits », conclut quant à elle Noémya Groha.

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