Handicap: qu'est-ce que le dispositif d'accompagnement gynécologique que le gouvernement veut généraliser?

Emmanuel Macron a annoncé mercredi, lors de la Conférence nationale du handicap, "le déploiement de l'action gynécologique dans les établissements et services médico-sociaux". Le dossier de presse de cette conférence qui se tient tous les trois ans détaille que sur la période 2024-2026, le dispositif Handigynéco doit être "généralisé".

Ce dispositif, qui relève des agences régionales de santé (ARS), a été instauré en Île-de-France en 2016 et a commencé à être déployé en Normandie et en Bretagne ces dernières années. Il permet l'intervention de sages-femmes libérales, volontaires et formées aux questions liées au handicap dans des établissements médico-sociaux.

Ces structures accueillent les personnes en situation de handicap selon leurs besoins: il s'agit par exemple des instituts médico-éducatifs ou des foyers d’accueil médicalisé. Fin 2018, "311.700 personnes étaient accompagnées dans des établissements et services médico-sociaux pour adultes handicapés", selon des données de la Drees, la direction des études du ministère de la Santé, publiées en novembre 2022.

Un suivi adapté aux femmes handicapées

L'ARS Île-de-France explique sur son site que la logique qui sous-tend le dispositif handigynéco est l'"aller-vers". Concrètement, il propose aux femmes en situation de handicap un suivi gynécologique adaptés à leurs besoins, avec des consultations plus longues notamment, mais aussi de la sensibilisation sur les violences faites aux femmes et de l'information sur la vie affective et sexuelle (contraception, infections sexuellement transmissibles...)

Les besoins sont nombreux dans ces domaines. Comme beaucoup d'autres sphères de la société (transports, université...), les structures de soins sont souvent peu adaptées aux personnes en situation de handicap. "Ce problème peut avoir pour origine un refus du praticien d'admettre une personne handicapée ou une impossibilité d'accès pur et simple à un cabinet médical", explique un rapport sur l’accès aux soins et à la santé des personnes handicapées remis au gouvernement en 2013.

Un article de 2019 de la Haute autorité de santé déplorait aussi que "le parcours des personnes en situation de handicap à l’hôpital ressemble parfois à celui du combattant".

Le personnel soignant peut renforcer ce sentiment de ne pas être le bienvenu à l'hôpital. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) souligne ainsi sur son site que "le manque de connaissances, les attitudes négatives et les pratiques discriminatoires parmi les agents de santé" alimentent les inégalités en matière de santé auxquelles les personnes handicapées sont confrontées.

L'incompréhension du personnel soignant

Ces situations, Leitha les a vécues. Atteintes d'un handicap moteur, elle raconte à BFMTV.com avoir déjà appelé des cabinets de gynécologie et s'être vue dire qu'ils n'étaient pas accessibles.

"On est aussi soumis à plus de maltraitances et de mauvaises pratiques professionnelles", estime-t-elle.

Elle dit avoir été confrontée lors de ses grossesses au jugement de soignants qui ne comprenaient pas qu'elle souhaite devenir mère avec son handicap. "La première fois que je suis tombée enceinte, je voulais continuer ma grossesse et un médecin a refusé de m'accompagner parce que je ne voulais pas faire d'IVG", raconte Leitha. Elle a fini par interrompre cette grossesse, ce qu'elle regrette aujourd'hui. Elle a créé un site de ressources sur les grossesses imprévues pour les personnes qui connaissent des difficultés similaires.

Un "impensé" sur la sexualité des personnes handicapées

Elle raconte également avoir fait face à l'étonnement du personnel de santé face à sa grossesse: "il y a un impensé sur la sexualité des handicapés, les soignants ne pensent pas qu'on a une vie sexuelle".

"La personne handicapée est toujours considérée comme un enfant, qui n'a donc pas de vie intime", déplore aussi Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone de femmes autistes (AFFA).

Cette membre de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) juge aussi que les dispositifs comme Handigynéco sont importants pour accueillir la parole des personnes handicapées victimes de violences sexuelles. Selon une enquête de la Drees et du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure menée entre 2011 et 2018, 7,3% des personnes handicapées déclarent des violences physiques et/ou sexuelles au cours des deux années précédant leur interrogation, contre 5,1% pour les personnes non handicapées.

Les associations donnent des chiffres bien supérieurs. Une enquête de l'Ifop pour l'association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (Ladapt) publiée en novembre note par exemple que près d’une femme handicapée sur cinq déclare avoir déjà été violée (16%) contre 9% pour l’ensemble des femmes.

Dans la sphère médicale, mais pas uniquement, ces femmes "ne sont pas crues, ou on ne cherche pas à comprendre ce qu'elles racontent", affirme Marie Rabatel.

Détecter les signaux de violences sexuelles

Une personne handicapée qui communique de manière non-verbale peut exprimer qu'elle a été victime d'une violence par un changement soudain de comportement par exemple.

"Les professionnels ont tendance à mettre ces comportements en lien avec le handicap alors que c’est un psychotraumatisme. La personne s’exprime mais si on ne connaît pas ces signaux non-verbaux, on passe à côté", explique la présidente de l'AFFA.

Le dispositif Handigynéco doit permettre de ne plus ignorer ces signaux. Lors de son expérimentation en Île-de-France, une étude a été menée entre 2018 et fin 2019: elle rapporte que sur les 434 femmes vues en consultation gynécologique, 111 ont déclaré des violences parfois multiples (sexuelles, physiques...).

Un dispositif qui devrait "être la norme"

Leitha voit cette mesure d'un bon œil, mais elle pointe que "le dispositif vient proposer des consultations respectueuses, ce qui devrait être la norme".

"Le but, c'est de créer des consultations qui prennent en compte les besoins des personnes handicapées et ça devrait être la base", appuie-t-elle.

Elle juge aussi qu'il s'agit d'une "bonne rustine sur une situation qui ne devrait pas exister: l'institutionnalisation de personnes handicapées". Cette politique consiste à placer sur le long terme une personne handicapée dans une structure séparée en raison de son handicap. En 2021, le Comité des Nations unies pour les droits des personnes handicapées a appelé la France à mettre fin à "l’institutionnalisation systématique sur la base du handicap", qui favorise les violences et les discriminations.

En attendant, "il y a aujourd'hui des personnes qui sont dans des institutions et elles ont aussi le droit d’avoir accès à des soins gynécologiques et d’être protégées contre les violences sexuelles", juge Marie Rabatel.

Article original publié sur BFMTV.com