Guide Michelin : comment le fabricant de pneus est-il devenu la référence des guides gastronomiques ?

Créé il y a 124 ans à l'occasion de l'exposition universelle de Paris, le célèbre livre rouge était au départ un simple guide de voyage.

La cérémonie 2024 de sélection du Guide Michelin s'est tenue ce lundi 18 mars à Tours. (Photo : Alain JOCARD / AFP)

Pour savoir où bien manger, le mieux est de faire confiance à un fabricant de pneumatiques. Plutôt curieuse sur le papier, cette association d'idées correspond pourtant à une réalité incontestable depuis plusieurs générations : parmi les guides gastronomiques, la référence absolue est bien celui édité chaque année par la firme Michelin.

Capables de faire la pluie et le beau temps sur le secteur de la restauration, les étoiles décernées par les inspecteurs de la marque au bibendum retiennent chaque année l'attention de tout le milieu. Ce lundi 18 mars, 700 chefs et professionnels de la restauration sont ainsi réunis à Tours pour assister à la cérémonie de la 115e sélection.

Comment expliquer, cependant, qu'un manufacturier a priori davantage affilié au secteur de l'automobile ait acquis une telle position d'autorité en matière gastronomique ? La question se pose encore davantage lorsque l'on se penche sur les origines du célèbre guide rouge, édité pour la toute première fois en 1900, à l'occasion de l'exposition universelle de Paris.

Un manuel pour les premiers automobilistes

D'après le site officiel du guide, celui-ci serait né de l'imagination des frères André et Édouard Michelin, cofondateurs de l'entreprise, dans une volonté de "donner tous les renseignements qui peuvent être utiles à un chauffeur voyageant en France, pour approvisionner son automobile, pour la réparer, pour lui permettre de se loger et de se nourrir, de correspondre par la poste, télégraphe ou téléphone".

À cette époque où l'automobile n'en est encore qu'à ses balbutiements, on ne compte que 3000 voitures en circulation en France. Michelin décide toutefois de faire tirer son guide à 35 000 exemplaires et de le distribuer gratuitement, dans le but de participer activement à la popularisation de ce nouveau moyen de transport et à l'essor du marché automobile.

"Pratique et précis"

Selon un article publié en 2011 par Gwendal Poullennec, actuel directeur du guide Michelin, dans Le Journal de l'école de Paris du management, le manuel est rapidement adopté par de nombreux automobilistes, en raison de son "caractère pratique et précis". Au fil des années, il change de dimension, tout en cultivant son indépendance.

Après avoir banni les espaces publicitaires en 1907, le guide Michelin devient ainsi payant en 1920. Les frères Michelin auraient alors justifié cette décision en expliquant que "l’homme ne respecte que ce qu’il paye". Dans un premier temps, cette stratégie n'est pas couronnée de succès : de nombreux invendus sont à déplorer pour l'année 1920 et l'année 1921 ne verra pas de nouvelle édition.

Juger (aussi) la régularité des restaurants

Le guide reprend toutefois sa parution annuelle en 1922. Il va ensuite peu à peu gagner son public grâce à l'essor du marché automobile, mais aussi à un soin de plus en plus conséquent apporté aux conseils gastronomiques. À partir de 1926, les meilleures tables du pays sont distinguées par un système d'étoiles qui s'étoffe rapidement et contribue à installer Michelin comme une référence en la matière.

Par rapport aux autres guides gastronomiques, celui édité par la marque au bibendum marque sa différence en proposant de juger la qualité des restaurants, mais aussi leur régularité, "c’est-à-dire la capacité à proposer une qualité constante tout au long de l’année et quels que soient les plats que l’on prend dans la carte", selon Gwendal Poullennec.

Les inspecteurs anonymes, stars du guide Michelin

Pour ce faire, le guide Michelin va recourir, à partir de 1933, à une méthode qui va définitivement asseoir sa notoriété : celle des inspecteurs anonymes. Disposant selon La Croix de "plus de dix ans d’expérience en hôtellerie-restauration", ces experts culinaires ont ainsi pour mission de se faire passer pour des clients ordinaires, en venant à l'improviste, plusieurs fois par an et en payant par leurs propres moyens, de manière à ne pas éveiller les soupçons.

Selon le site officiel du guide, chaque inspecteur "effectue plus de 250 repas anonymes par an – appelés des essais de table – qu’il documente précisément dans ses rapports". Depuis plus de 90 ans, la méthode a fait ses preuves, inspiré des films à succès et assis la réputation du guide Michelin, au-delà des frontières hexagonales.

Un best seller dans les décennies 1970 et 1980

Au fil des années, la précision et l'aspect pratique des conseils fournis par le guide Michelin ne se sont jamais démentis, pour les conseils de restaurants comme pour le reste. Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, les plans et cartes présentes dans le livre rouge auraient, même servi aux Allemands pour envahir la France en 1940, puis aux Alliés pour libérer le pays à partir de 1944. Après guerre, le guide se spécialise toutefois dans la gastronomie, Michelin commençant à éditer d'autres types de guides de voyage.

Best seller incontournable en France dans les décennies 1970 et 1980, où il était vendu chaque année à plus d'un million d'exemplaires, le guide a ensuite subi une forte chute des ventes, à l'image de l'ensemble du secteur de l'édition. Mais il s'est donc diversifié, déployé sur d'autres supports et sur d'autres territoires. En 2024, on compte ainsi 45 éditions différentes du livre rouge, correspondant à autant de destinations différentes tout autour du globe.