Guets-apens homophobes : mode opératoire, profils… Flora Bolter analyse ces agressions - INTERVIEW

La ville de Montreuil a lancé en avril une campagne pour mettre en garde contre les guets-apens homophobes.
Ville de Montreuil/Twitter La ville de Montreuil a lancé en avril une campagne pour mettre en garde contre les guets-apens homophobes.

LGBT+ - C’est une affaire parmi d’autres. Trois hommes sont jugés à partir de ce mardi 28 mai devant la cour d’assises de Paris pour avoir organisé deux guets-apens homophobes en janvier 2022. Les accusés, passés par un site de rencontres pour piéger leurs victimes, sont notamment jugés pour vol en bande organisée avec arme, pour des faits « commis à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la victime ».

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Plusieurs cas de guets-apens contre des personnes LGBT+ ont fait l’actualité ces derniers mois. Nouvelle-Aquitaine, Bourgogne-Franche-Comté… Toutes les régions de France sont concernées. Fin avril, le maire de Montreuil (Seine-Saint-Denis) lançait une campagne de prévention pour lutter contre ces agressions, après en avoir dénombré au moins trois dans sa ville en un an. Son adjoint Luc Di Gallo, lui-même victime après un rendez-vous organisé sur l’application Grindr, a raconté dans la presse cette attaque « éprouvante ».

Dans un documentaire diffusé en avril 2023, Mediapart recensait 300 guets-apens homophobes entre 2017 et 2021. Mais il y a une « sous-déclaration » de ce phénomène, car les victimes n’osent pas toujours porter plainte, souligne Flora Bolter, codirectrice de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean Jaurès. Le 16 mai, elle a publié le premier rapport de l’observatoire consacré aux guets-apens LGBTIphobes. Elle a répondu aux questions du HuffPost.

Le HuffPost. Plusieurs cas de guets-apens homophobes ont été relayés dans les médias ces derniers mois. Ces actes sont-ils en augmentation ?

Difficile de dire s’il y a une augmentation réelle ou une augmentation des signalements. On a très peu de données suffisamment vieilles pour pouvoir analyser l’antériorité du phénomène. Ce n’est que depuis 2016 que nous avons les chiffres de la police sur les actes anti-LGBTI+ et ce sont des données agrégées, donc on ne peut pas précisément identifier les guets-apens.

On sait en tout cas que ces faits sont nombreux. Le phénomène, dans l’absolu, n’est pas tout à fait nouveau, mais il y a vraisemblablement un enjeu lié aux applications de rencontre, qui permettent plus facilement de passer à l’acte pour les auteurs. Ce que l’on peut dire, aussi, c’est que les gens prennent plus la parole là-dessus, et que l’on voit plus de plaintes à ce sujet que par le passé.

Dans votre rapport, vous analysez le profil des agresseurs. Qui sont-ils ?

On n’a pas de profil très détaillé, mais il s’agit plutôt de personnes inconnues de la victime (sauf dans certains cas de guets-apens « de voisinage »), et plutôt violentes, puisque les actes décrits le sont. En fait, c’est surtout le mode opératoire qui est courant. Des personnes – notamment des gens relativement jeunes, mais pas que – se créent des faux comptes sur Internet et vont contacter d’autres personnes, en les sélectionnant sur la base du fait que ces dernières sont LGBTI+, la plupart du temps via des applications de rencontre. Les agresseurs donnent un rendez-vous, et lorsque la personne arrive, elle est isolée, attirée vers un endroit plus calme. L’auteur des faits est ensuite rejoint par plusieurs autres personnes, éventuellement masquées, qui vont passer à tabac la victime, la menacer ou lui extorquer de l’argent. Cela peut aussi se passer au domicile de la victime.

On voit même des gens qui se spécialisent dans ce genre d’atteintes, à un niveau un peu industriel, car aujourd’hui c’est beaucoup plus facile, en créant un seul compte, de lancer toute une série de rendez-vous.

Vous notez également que l’homophobie n’est parfois pas l’unique motivation des agresseurs… Quels sont leurs mobiles ?

Ce n’est pas nécessairement parce qu’ils ont envie de « casser » des hommes gays ou bi. C’est une question d’opportunité. L’idée, c’est qu’on peut facilement rentrer en contact avec les victimes par le biais des applications, les rencontrer dans un lieu isolé, les taper ou les voler. Ces personnes vont aussi moins porter plainte : dans un certain nombre de cas, les victimes ne veulent pas que cela se sache dans leur entourage, sont mal à l’aise, pensent qu’elles auront un mauvais accueil auprès de la police.

Mais il est important de noter que, même dans ces cas-là, ces actes sont toujours discriminatoires à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. C’est le sens du droit de la discrimination en France et en Europe. Le fait de procéder à cette sélection, en fonction de stéréotypes ou de représentations sociales, est en soi problématique et favorise les mécanismes de discrimination.

Toutes les personnes de la communauté LGBT+ sont-elles visées ?

Dans les signalements que l’on a reçus [via l’application FLAG!, qui permet de signaler des actes LGBTphobes, racistes, antisémites, sexistes ou des violences conjugales], c’est un phénomène qui est très largement masculin gay, qu’on ne constate pas autant pour d’autres personnes LGBTQI+. On sait aussi que ce genre d’acte est commun envers les travailleurs et travailleuses du sexe.

Que préconisez-vous pour en finir avec de telles agressions ?

Ce qui est important selon moi, c’est de lutter contre la sous-déclaration. Parce que c’est ce phénomène de « ils ne vont pas porter plainte » qui est le grand justificateur du « on va viser ces personnes en particulier ». Sur les 47 signalements qu’on a reçus, 16 personnes ont porté plainte ou comptent le faire. Mais dans neuf cas, il y a une réticence à aller porter plainte. Il y a donc tout un travail à faire autour de l’accueil en police, pour faire en sorte que les gens se disent que ça vaut la peine d’aller porter plainte. Il est aussi important, pour la police ou la gendarmerie, de bien poser les questions pour réussir à relever le motif discriminatoire.

Enfin, on a besoin de travailler sur les LGBTphobies en général, pour que les gens concernés aient moins peur que cela se sache.

Certaines applications de rencontre sont pointées du doigt, notamment Coco.gg, qui fonctionne sans inscription et dont SOS Homophobie a demandé la fermeture en octobre 2023. Faut-il leur demander des comptes ?

Oui, on a besoin d’agir pour la simplification des procédures en matière de preuve numérique et des garanties au niveau des hébergeurs. Pour pouvoir demander aux opérateurs de ces plateformes un minimum d’informations pour retrouver une adresse IP, mener des enquêtes ou invalider un compte signalé. Dans le cas de Coco.gg, puisqu’il n’y a pas d’inscription, ce n’est pas la bonne réponse. Il faut trouver des garde-fous.

Du côté de la loi, il faut exiger un minimum de transparence et de responsabilité de la part des créateurs de ces sites, pour que l’on puisse faire des requêtes facilement pour obtenir une communication, même quand les serveurs sont à l’étranger, ce qui est souvent le cas. Nous avons besoin d’une concertation internationale sur la preuve numérique, pour protéger les personnes tout en respectant la liberté d’expression.

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