Guerre en Ukraine : Trois Russes exilés à Paris nous racontent comment ils imaginent le futur pour leur pays
De l’Ukraine à Israël, de Gaza à la Russie en passant par l’Arménie, « Le HuffPost » donne la parole à des citoyens directement touchés par la guerre. Ils formulent leurs vœux de paix pour 2024.
RUSSIE - « Il y a toujours un espoir de paix. Mais je n’ai pas de grandes espérances pour 2024 », dit d’emblée Vladimir Pirogov. Le jeune étudiant de 23 ans, qui a quitté la Russie à la fin de l’été 2022, termine son master de physique à Paris. « À court terme, le plus probable est que la guerre avec l’Ukraine se transforme en un conflit gelé », estime Vladimir Pirogov.
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Dans le cadre d’une série de témoignages destinés à recueillir les attentes et espoirs, pour 2024, des hommes et des femmes directement touchés par la guerre, Le HuffPost a pris contact avec des Russes exilés à Paris pour contrer la difficulté de recueillir librement la parole de citoyens restés dans leur pays.
À l’aube d’une nouvelle année, quelle est leur analyse sur l’évolution de la guerre en Ukraine ? « Il y a toujours de l’espoir » d’un arrêt des hostilités, veut croire Andrey Pertsev, qui s’attend plutôt à « l’arrêt réel d’une confrontation sérieuse, avec de rares escalades ». Le journaliste âgé de 40 ans travaille pour Meduza, un média Internet russophone spécialisé dans l’investigation basé à Riga, en Lettonie.
« J’espère que la guerre prendra fin en 2024, même si je crois comprendre qu’elle pourrait se prolonger », répond également Guennady Goudkov, 67 ans, ancien député et homme d’affaires. « L’Ukraine a besoin d’avoir la capacité d’infliger une défaite militaire à l’agresseur », à condition que l’aide internationale fournisse « les aéronefs, les chars, les missiles, l’artillerie et des munitions suffisantes ». « Sans cela, ou si les approvisionnements sont trop lents, la guerre peut durer des années », ajoute l’opposant.
En ce début d’année, l’Ukraine est prise dans des vents contraires sur la scène internationale, avec une aide américaine toujours en question et une unité européenne chancelante. Sur le terrain, sa contre-offensive militaire face aux Russes n’a en outre pas donné les résultats escomptés.
Si « la voie de la paix pour la Russie réside dans sa défaite militaire », l’ancien député met aussi dans la balance « l’effondrement du régime de Poutine ». Selon lui, « la coalition démocratique, l’Ukraine et l’opposition russe en exil doivent avoir un plan et une stratégie commune », mais celui-ci « fait actuellement défaut ».
« N’importe qui peut être déclaré extrémiste »
Ce qui ressort du témoignage des trois interlocuteurs du HuffPost, c’est aussi que la guerre se déroule aussi depuis bien longtemps depuis l’intérieur de la Russie, entre le pouvoir oppressant exercé par Vladimir Poutine et une opposition se réduisant bien souvent au silence par peur de représailles.
« Pour beaucoup d’activistes, de politiciens et de journalistes russes, la répression n’est pas liée à la guerre, mais aux attaques contre l’opposition, la liberté d’expression et de pensée », explique ainsi Andrey Pertsev, qui estime que « si Vladimir Poutine reste au pouvoir, cela ne disparaîtra pas ». Le président russe a déjà annoncé le 8 décembre qu’il sera candidat pour un cinquième mandat à la présidentielle du 17 mars 2024.
Actuellement, « n’importe qui peut être déclaré extrémiste : les écologistes, les athées… », cite-t-il en exemple. « L’exemple du “mouvement LGBT” en témoigne aussi. » Depuis le 30 novembre, la Cour suprême russe a banni pour « extrémisme » le mouvement « international » LGBT+, ouvrant la voie à des poursuites judiciaires et à des peines de prison pour les homosexuels et militants défendant leurs droits.
Aujourd’hui, « il est pratiquement impossible de manifester ouvertement », poursuit le journaliste russe. « Certaines personnes s’opposent à la guerre, mais elles ne peuvent pas la critiquer publiquement, ni critiquer les actions de l’armée, sinon, elles seront persécutées. Rares sont ceux qui prennent le risque d’exprimer publiquement leur position. »
« Aujourd’hui, les gens se tournent vers l’action partisane. Ils deviennent des partisans sémiotiques », éclaire Vladimir Pirogov, qui était observateur indépendant lors des élections de 2021 à Saint-Pétersbourg. « Par exemple, ils trouveront le slogan “нет вобле” –“non au gardon” – qui est très proche de “нет войне” – “non à la guerre”. L’objectif principal est de montrer que nous ne sommes pas seuls et que la norme n’a pas changé. »
Pour réprimer la population russe, forte de 143 millions de citoyens, « une armée massive de plus de 1,2 million de “siloviki” » est mobilisée et « dotée d’un pouvoir absolu », selon Guennady Goudkov. En Russie, les siloviki sont les agents des différents organismes chargés de veiller à l’application de la loi, des organismes de renseignements, des forces armées et autres structures auxquels le pays délègue son droit d’utiliser la force.
« Un potentiel anti-Poutine de 30 millions de Russes »
En attendant, loin de rester inactifs, les Russes en exil ont leur part à jouer dans la situation actuelle. « Nous sympathisons avec nos semblables vivant en Russie, nous les soutenons moralement et informatiquement et nous essayons de leur fournir une assistance juridique en cas d’arrestation et de détention », explique l’ancien député au HuffPost. « Le potentiel anti-Poutine en Russie est estimé à pas moins de 30 millions d’adultes. Un jour, ces gens participeront à la construction d’une nouvelle Russie démocratique », veut croire celui qui a siégé à la Douma de 2001 à 2012.
« Nous pensons qu’un coup d’État intra-élite avec une période et un gouvernement de transition pourrait être le scénario le plus rapide et le plus efficace pour un changement de pouvoir en Russie », imagine désormais Guennady Goudkov, décrit en 2012 par le Moscow Times comme « l’un des critiques les plus virulents et charismatiques du Parlement » à l’égard de Vladimir Poutine.
Enfin, nous leur avons demandé s’ils comptaient un jour revenir s’installer dans le pays où ils sont nés, alors que des centaines de milliers de Russes ont fui leur pays depuis le 24 février 2022.
Si les conditions venaient à être réunies, « de nombreuses personnalités de l’opposition, dont moi-même, sont prêtes à retourner en Russie et à participer aux réformes et à l’établissement d’une gouvernance démocratique », répond Guennady Goudkov. « Le retour de nombreuses personnes exilées ne sera associé qu’à l’abrogation des lois répressives adoptées ces dernières années », souligne de son côté Andrey Pertsev.
C’est ce qui ressort aussi du témoignage de Vladimir Pirogov, qui pour l’instant ne se fait guère d’illusions, même si le conflit avec l’Ukraine devait cesser : « Je ne retournerais pas en Russie parce que je ne suis pas sûr qu’après la signature d’un traité de paix, le pays deviendra un État démocratique. Et je continuerais à craindre pour ma vie et ma liberté. »
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