Guerre en Ukraine : un Russe et une Ukrainienne livrent un témoignage fort dans ce récit illustré

La couverture de « Journal de guerre, deux témoignages d’Ukraine et de Russie », de l’illustratrice Nora Krug.
Gallimard La couverture de « Journal de guerre, deux témoignages d’Ukraine et de Russie », de l’illustratrice Nora Krug.

CULTURE - Alors que le conflit en Ukraine entre dans sa troisième année ce samedi 24 février, c’est une manière inédite d’en découvrir l’intérieur par deux personnes qui le vivent au quotidien. Dans Journal de guerre, deux témoignages d’Ukraine et de Russie (sorti le 21 février chez Gallimard), l’illustratrice allemande Nora Krug donne la parole tout le long d’un récit illustré à K., une journaliste ukrainienne de terrain et activiste, et D., un artiste russe de Saint-Pétersbourg.

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Pendant la première année de la guerre qui a commencé par l’invasion russe en février 2022, Nora Krug a échangé avec eux par SMS, leur demandant ce qu’ils éprouvaient, ce qu’ils pensaient et ce qui leur était arrivé au cours de la semaine écoulée. Mais son but n’était pas seulement de documenter leur quotidien, ou de relater simplement des faits liés au conflit.

L’illustratrice voulait surtout « mettre en lumière l’empreinte de la guerre, mais à un niveau plus intime, plus existentiel », comme elle l’écrit dans son propos introductif. Il en découle 120 pages dans lesquelles deux personnes se livrent sans tabou sur cette guerre, confiant leurs états d’âme, leurs sentiments les plus profonds, ou décrivant l’inévitable délitement des relations familiales ou amicales, mais aussi leur rapport à l’histoire et à la culture de leur pays.

La mécanique de l’ouvrage fonctionne à merveille : pour chaque semaine de l’année écoulée, une page est consacrée à la journaliste ukrainienne, suivie d’une page pour l’artiste russe, à chaque fois dans un récit brut écrit à la première personne.

En Russie, la notion de culpabilité existe

L’une des forces de ce Journal de guerre réside dans la possibilité de découvrir sous toutes les coutures l’un des trop rares témoignages d’un Russe depuis le début de ce conflit, dans un pays où la liberté de parole peut mener directement en prison. Selon ses calculs, l’artiste D., comme bon nombre de ses connaissances de son milieu, fait partie des 30 % de Russes qui sont contre le régime. Le reste de la population selon lui ? « 30 % des Russes en faveur du régime » et « les 40 % restants s’en fichent tant qu’ils arrivent à joindre les deux bouts ».

Même s’il sait qu’il a moins de chances que d’autres d’être appelé au front en raison de son âge, son année sera marquée par des allers-retours incessants entre chez lui, à Saint-Pétersbourg, et les villes de Riga, Vilnius, Istanbul et même Paris, pour tenter au maximum de s’y dérober. Aussi pour s’échapper d’un pays dont il a bien du mal à s’identifier, comme il le décrit ici avec beaucoup de recul :

« La notion d’identité russe me paraît un peu floue. J’ai des ancêtres sibériens et juifs. Je suis né en Union soviétique mais j’ai grandi en Russie. Comme je suis contre la guerre, aux yeux du gouvernement russe, je suis un traître. Sauf qu’aux yeux du reste du monde, je suis un ressortissant du pays qui a déclenché cette guerre. À mon sens, mon pays, c’est plutôt Saint-Pétersbourg. »

D., père de deux enfants à qui il ne cherche pas à cacher que la Russie est l’envahisseur, s’interroge aussi sur le concept de culpabilité, dans ce passage profond et sincère : « en tant que Russe, je me sens coupable. En même temps, je suis contre l’idée d’une culpabilité collective. À mon sens, cela empêche de se confronter individuellement à ses torts. Est-ce que j’en ai, à titre personnel ? Je ne sais pas. »

La survie avant tout en Ukraine

De son côté, la journaliste K. ne cache pas qu’elle fait partie de ces Ukrainiens qui ont eu la chance de pouvoir mettre en lieu sûr ses deux enfants ; pour elle, c’est à Copenhague au Danemark. Elle y passe aussi une partie de l’année, mais effectue des allers-retours fréquents en Ukraine pour son travail de reporter. Son mari, s’il n’est pas mobilisé sur le front, a lui l’interdiction de quitter le pays comme presque tous les hommes.

Là aussi, elle livre un témoignage encore peu entendu jusque-là, notamment quand elle décrit les stigmates physiques et mentaux de cette guerre, à cause de laquelle « beaucoup d’Ukrainiens sont devenus fous ». « Juste après l’invasion, j’ai remarqué des nouvelles rides au coin de mes yeux. Mes amis ont changé, eux aussi. Ils ont la peau plus pâle, les yeux plus sombres et leur envie de croquer la vie semble avoir disparu, décrit-elle. Je me sens condamnée à faire plus vieille que mon âge. J’ai peur de mourir trop tôt parce que mon corps n’aura pas supporté tous ces traumatismes. »

Quand elle se trouve dans son appartement à Kiev, parfois après avoir monté les 20 étages à pied quand l’ascenseur ne marche plus à cause des coupures de courant fréquentes, difficile pour elle d’imaginer un avenir dans une ville que beaucoup de ses connaissances ont quitté. Ou d’espérer ici un avenir pour ses enfants. Mais comme beaucoup d’Ukrainiens autour d’elle, qui passent « tant de temps à galérer, résister, lutter », la survie continue de l’animer :

« Je ne me demande pas pour quoi je serais prête à mourir. Je compte éviter de mourir, c’est tout. Mon but, c’est de survivre, d’aider les autres à survivre à cette guerre et de garder intact ce qui fait la richesse de l’Ukraine. »

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