Guerre en Ukraine: la reconquête de la ville de Kherson peut-elle être un tournant dans le conflit?

Guerre en Ukraine: la reconquête de la ville de Kherson peut-elle être un tournant dans le conflit?

Sitôt annexée, sitôt reprise? Alors que Vladimir Poutine a officiellement signé la semaine passée l'annexion de quatre régions d'Ukraine à la Russie au terme de simulacres de référendums, l'une d'entre elles, celle de Kherson, est actuellement le théâtre d'une contre-offensive rapide de la part des forces ukrainiennes qui y enchaînent les victoires.

Mardi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a revendiqué des avancées "puissantes" dans la zone, évoquant des "dizaines" de localités reprises. Plus tôt, une carte militaire présentée par le ministère russe de la Défense lors de son briefing quotidien faisait état d'un recul important des forces russes, et montre que les soldats ont quitté un grand nombre de localités, dont Doudtchany, sur la rive occidentale du fleuve Dnipro. À date, le front se trouve à une soixantaine de kilomètres au nord de Kherson.

Importance symbolique et géographique

Une potentielle reconquête de la ville de Kherson aurait une forte portée symbolique. Dès les premiers jours du conflit, la ville - qui comptait un peu moins de 300.000 habitants en début d'année - avait été la cible d'intenses bombardements. Elle avait été conquise début mars par Moscou.

Il s'agit, depuis le début de "l'opération militaire spéciale", de la seule prise significative réalisée par les soldats du Kremlin et de la plus grande ville encore contrôlée par la Russie.

"Il s'agit de la seule capitale administrative occupée par les Russes depuis le début de l'invasion", estime Oleskiy Goncharenko, député ukrainien de la circonscription d’Odessan interrogé par BFMTV ce mercredi.

Géographiquement, cette ville portuaire est un enjeu majeur pour la Russie. Située à proximité de la péninsule ukrainienne de Crimée annexée en 2014, elle permet à la fois de contrôler les abords de la mer d'Azov, comme c'est également le cas pour Marioupol, mais aussi de créer une "zone tampon" entre le territoire ukrainien actuel et les régions du Donbass.

Kherson est également une porte ouverte directement sur la Russie. Après l'annexion de la Crimée, la Russie a rapidement construit un pont sur la péninsule de Kertch, reliant le territoire russe à cette dernière. Tout à l'ouest, l'autre bout de la Crimée est reliée à la région de Kherson par l'isthme de Perekop, qui lui permet d'assurer le ravitaillement de ses troupes directement depuis ses terres.

Les Russes pris en tenaille?

Malgré les impressionnantes avancées des forces ukrainiennes, la reprise de Kherson est bien loin d'être actée. Actuellement, 15.000 à 25.000 soldats russes se trouvent encore dans la ville "qui est devenue totalement fortifiée et avec des troupes d'élite à l'intérieur", détaille Patrick Sauce, éditorialiste politique internationale de BFMTV, qui souligne que ces dernières semaines, Kiev a utilisé "les brèches russes qui se sont ouvertes et devenues de plus en plus grandes"..

Pour Kiev, l'objectif est désormais de reprendre Kherson sans combattre en son sein afin de ne pas mettre en danger les citoyens qui s'y trouvent encore. Selon le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV, la meilleure carte à jouer pour les Ukrainiens est de prendre les soldats russes en tenaille, comme cela a été fait avec succès à Lyman.

"Il y a ces soldats bloqués sur la rive droite de la ville. L'objectif des Ukrainiens est de poursuivre cette offensive le long du fleuve Dniepr pour éviter de combattre dans la ville. Si les Russes descendent, il va falloir qu'ils franchissent le fleuve à un moment", décrit-il. Or, en septembre lors de frappes stratégiques, l'armée ukrainienne a détruit les différents ponts qui relient les deux rives de la ville, empêchant toute fuite.

"Les Ukrainiens vont devoir être intelligents" reprend Patrick Sauce, mais "si l'embouchure du Dniepr saute, alors le reste peut très vite partir en direction de la Crimée", ajoute-t-il.

L'apathie de Moscou comme réponse

Vladimir Poutine a prévenu, "si jamais les intérêts nationaux de la Russie sont menacés", alors le pays pourra utiliser "toutes les armes à sa disposition", laissant de nouveau planer l'emploi d'armes nucléaires en Ukraine. Or, depuis les référendums de fin septembre reconnus uniquement par Moscou, la région de Kherson est pour Moscou une entité russe à part entière, bien que les frontières n'en sont pas encore clairement définies.

Face à l'avancée ukrainienne, Vladimir Poutine peut-il mettre ses menaces à exécution, lui qui est poussé par plusieurs de ses proches dont le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov a employer des moyens plus forts? "C'est la grande menace et Poutine peut considérer cette possibilité. Mais ce serait un suicide pour la Russie", doute l'élu Oleskiy Goncharenko, toujours sur notre antenne.

Force est de constater que depuis le début de la contre-offensive ukrainienne, l'armée russe semble apathique et largement dépassée par les événements. "C'est un système militaro-politique post-soviétique incapable de faire preuve de flexibilité, c'est l'effondrement de ce système", décrit Jérôme Pellistrandi.

Alors, comme c'est le cas dès qu'elle essuie un revers, l'armée russe emploie la stratégie de la "terre brûlée" et tente de frapper tous azimuts. Or, les réserves en munitions des Russes s'amenuisent et l'état-major est forcé de se tourner vers du matériel de production iranienne, dont des drones, pour répliquer. Mardi, une personne a été blessée par l'un d'entre eux dans la région de Kiev, une réponse bien légère compte tenu de la débâcle que subit actuellement l'armée russe.

"On peut faire un parallèle avec l’histoire, les fameux V1 et V2 que Hitler a utilisé, censés faire basculer la guerre. On a l’impression qu’ils essaient de faire ce qu’ils peuvent pour maintenir la pression mais la réalité objective est que les Russes sont sur la défensive et qu’ils sont obligés de se replier dans la région de Kherson", conclut le général Pellistrandi.

Article original publié sur BFMTV.com