Guerre en Ukraine: pourquoi la relation entre Kiev et Varsovie se tend en pleine contre-offensive

Crispation entre Kiev et Varsovie. La Pologne a annoncé ce jeudi qu'elle ne fournira plus à l'Ukraine que la livraison d'armes "convenues antérieurement", un jour après avoir assuré vouloir mettre fin aux envois à Kiev. Après les livraisons de céréales et la convocation d'urgence de l'ambassadeur ukrainien en Pologne, c'est le dernier épisode en date d'une série marquant un coup de froid dans les relations entre les deux pays.

Des livraisons d'armes réduites

Ce jeudi, la Pologne, pourtant grande alliée de l'Ukraine depuis le début du conflit face à la Russie, se montre ferme sur la question des livraisons d'armes et prévient que désormais, elle "réalise(ra) uniquement les livraisons de munitions et d'armements convenues antérieurement. Y compris celles résultant des contrats signés avec l'Ukraine".

Pas de fin complète et immédiate des livraisons d'armes à Kiev donc, contrairement à ce que Varsovie avait déclaré la veille. "La Pologne continue d'être une plaque tournante pour l'aide internationale" à l'Ukraine, assure ainsi le porte-parole polonais.

Pour autant, la Pologne indique clairement sa volonté de réduire, au moins provisoirement, son aide militaire à l'Ukraine.

La Pologne poursuit son embargo sur les céréales

Par ailleurs, en plus des livraisons d'armes, Kiev et Varsovie sont également en conflit sur la question des céréales ukrainiennes. De fait, la Pologne a choisi, comme la Hongrie et la Slovénie, de prolonger son embargo sur ces livraisons, alors qu'il a été levé par l'Union européenne.

Cet embargo est une façon pour ces pays de protéger leurs agriculteurs locaux, alors qu'une partie des denrées venues d'Ukraine sont restées un temps bloquées sur leurs territoires en lien avec l'invasion russe en Ukraine.

Kiev a ensuite riposté en portant plainte contre la Pologne, mais aussi la Hongrie et la Slovaquie, à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Des déclarations "dures" de Kiev envers Varsovie

Enfin, autre signe de tensions entre les deux pays, la Pologne a convoqué mercredi "d'urgence" son ambassadeur en Ukraine. La décision intervient en réponse aux propos de Volodymyr Zelensky à la tribune de l'ONU. Il avait en effet accusé "certains pays" de "fein(dre) la solidarité en soutenant indirectement la Russie".

Des "déclarations très dures et violentes", juge de fait auprès de BFMTV.com la professeure de science politique à Science Po Aix et membre honoraire de l'Institut universitaire de France Dorota Dakowska.

"La relation n'est pas au beau fixe", abonde auprès de BFMTV.com Gaël Guichard, ancienne journaliste et envoyée en mission spéciale d'observation de l'OSCE en Ukraine entre 2014 et 2016, évoquant "beaucoup de tensions" entre les deux pays voisins.

La Pologne, grande alliée de l'Ukraine

Pour Dorota Dakowska, les déclarations du président ukrainien passent particulièrement mal en Pologne, alors que Varsovie est le pays a été "un des plus grands alliés de l'Ukraine" depuis le début du conflit.

La Pologne a notamment fourni beaucoup d'armes à l'Ukraine, l'a soutenu sur les livraisons d'avions de combat et a accueilli le plus de réfugiés ukrainiens depuis le début de l'invasion russe, plus d'un million.

"C'est une énorme gifle" pour la Pologne qui estime ces propos comme "injustes", résume-t-elle.

Un enjeu électoral en Pologne

Ces crispations interviennent dans un contexte difficile pour l'Ukraine: Kiev est en pleine contre-offensive à la Russie et son armée n'avance pas aussi vite que prévu. Or, depuis le début du conflit, la Pologne constitue un fournisseur d'armes précieux pour l'Ukraine.

Pour Gaël Guichard, ces déclarations montrent "une volonté évidente de la Pologne de faire un geste envers sa population", alors qu'elle a vu arriver sur son territoire plus d'un million de réfugiés ukrainiens.

Dorota Dakowska estime, de son côté, que la position de la Pologne s'explique d'abord par des questions de politique intérieure, alors que des élections parlementaires sont prévues en octobre.

"PiS, le parti conservateur, est donné premier dans les sondages, mais s'il n'a pas de majorité, il faudra qu'il fasse une coalition avec le parti d'extrême droite Confédération qui est ultra-libertarien et qui n'est pas pro-ukrainien", explique la professeure de science politique.

En défendant l'embargo sur les céréales, le gouvernement polonais entend ainsi séduire son électorat agricole, précieux pour les élections à venir, et tendre déjà la main à un possible futur allié politique.

Une situation "assez désespérée" pour Kiev

Pour autant, la professeure de science politique estime que ce refroidissement des liens entre les deux pays ne devrait pas signer un tournant dans le conflit.

"C'est trop tôt pour le dire", assure-t-elle. "Cela montre surtout les difficultés des Ukrainiens et que leur situation est assez désespérée, puisqu'ils ne reçoivent pas assez d'armes et de soutien" de façon plus globale pour mener une contre-offensive efficace, estime-t-elle.

Pour elle, c'est après la tenue des élections polonaises qu'il "faudra reprendre la température", afin d'évaluer si Varsovie se désengage véritablement de son soutien envers l'Ukraine. Elle rappelle par ailleurs que la Pologne a consacré "20% de son budget défense à l'Ukraine". "Ils ont de la marge", conclut-elle.

Pas de conséquences visibles sur le front

"Tant que le conflit (usso-ukrainien) n'arrive pas à son terme, l'approvisionnement en armes restera un enjeu majeur", analyse Gaël Guichard.

Mais "pour l'instant, on n'est pas au stade où il n'y a plus du tout de soutien" de la Pologne envers l'Ukraine, souligne-t-elle, évoquant d'abord des décisions d'ordre "symbolique".

"Le tournant dans le conflit surviendrait si (les décisions de la Pologne) avaient des conséquences qui se voient sur le front", ce qui n'est pas encore le cas, et surtout "si elle était suivie par d'autres pays", estime Gaël Guichard.

Article original publié sur BFMTV.com