Guerre en Ukraine: polémique en Allemagne après l'espionnage d'échanges militaires par la Russie
Une affaire qui embarrasse l'Allemagne. Ce vendredi 1er mars, un enregistrement de plus d'une demi-heure d'une conversation entre des officiers allemands de haut rang a été diffusée sur les réseaux sociaux par la rédactrice en chef de la chaîne d'État russe RT, Margarita Simonyan.
Un échange dans lequel les officiers parlent notamment de l'hypothèse de la livraison à Kiev de missiles de longue portée Taurus, de fabrication allemande. Et de ce qui serait nécessaire pour permettre aux forces ukrainiennes de les utiliser, de leur impact éventuel.
Les officiers évoquent en particulier l'option de frappes visant le pont de Crimée reliant la péninsule de Kertch et le territoire russe, l'un d'eux soulignant qu'il faudrait entre 10 et 20 missiles pour en venir à bout. La péninsule de Crimée a été annexée en 2014 par Moscou.
Ces échanges - préparatoires semble-t-il à un briefing pour le gouvernement allemand- placent Berlin, qui a conformé l'authenticité de l'enregistrement, en situation inconfortable.
Livraison de missiles, secrets alliés...
Car d'une part l'Allemagne refuse jusqu'ici officiellement toute livraison de missiles Taurus, pourtant réclamés haut et fort par Kiev, de crainte d'une escalade de la guerre. Ces engins ont une portée de plus de 500 kilomètres et pourraient atteindre Moscou.
Dans l'enregistrement, les militaires s'interrogent ainsi sur les réticences du chancelier allemand Olaf Scholz à l'envoi de ces missiles.
"Personne ne sait vraiment pourquoi le chancelier bloque", entend-on de la part de l'inspecteur général de la Lutwaffe (l'armée de l'air allemande), le général Ingo Gerhartz qui anime la réunion en visioconférence.
Dans l'enregistrement, les participants évoquent aussi des détails sur les livraisons et l'emploi de missiles de longue portée Scalp fournis depuis l'an dernier par la France et la Grande-Bretagne à l'Ukraine.
Cette partie de l'écoute est l'une des plus gênantes pour Berlin car elle dévoile des secrets de pays alliés. Le chancelier allemand Olaf Scholz a déjà récemment suscité l'irritation en Grande-Bretagne pour avoir affirmé que les Britanniques et les Français aidaient les soldats ukrainiens pour le maniement de ces missiles et la définition des cibles.
"Ce qui est fait par les Britanniques et les Français en matière de contrôle des objectifs, et d'accompagnement de ce contrôle, ne peut pas être fait en Allemagne", avait déclaré le chancelier.
Ce à quoi, la cheffe de la commission des affaires étrangères du Parlement britannique, Alicia Kearns avait estimé que ces propos, "faux", étaient "irresponsables" et constituaient une "gifle à la face des alliés"
Une enquête ouverte par Berlin
Il s'agit d'"une affaire très grave et c'est la raison pour laquelle elle fait désormais l'objet d'une enquête très minutieuse, très approfondie et très rapide", a déclaré le chancelier allemand ce dimanche.
Pour l'Allemagne, il est clair que Vladimir Poutine cherche à les "déstabiliser", à les "insécuriser".
Cela "fait partie d'une guerre de l'information que Poutine mène", a affirmé le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius.
"Il s'agit clairement de saper notre unité (...), de semer la division politique sur le plan intérieur et j'espère sincèrement que Poutine n'y parviendra pas", a-t-il ajouté.
La chaîne de télévision publique ARD parle de "catastrophe" pour les services secrets allemands, accusés de légèreté dans leurs mesures de sécurité. Selon l'hebdomadaire Spiegel, la visioconférence a eu lieu via la plateforme publique WebEx, et non un réseau interne ultra-sécurisé de la Luftwaffe. Et l'un des officiers se trouvait dans un hôtel de Singapour, dont la chambre pourrait avoir été piégée avec des micros, selon certains médias.
Le contre-espionnage militaire va devoir déterminer si "la bonne plateforme a été choisie" pour la conversation, a reconnu le ministre allemand de la Défense.
Il a précisé qu'il n'était pas au courant d'autres fuites mais qu'il attendrait le résultat d'une enquête la semaine prochaine avant de tirer des enseignements.
L'affaire fragilise le chancelier Olaf Scholz, qui tentait depuis plusieurs semaines de s'afficher en fer de lance de l'augmentation des livraisons d'armes européennes à l'Ukraine, suite au blocage de l'aide américaine au Congrès.
Moscou dénonce "l'implication directe" de l'Occident en Ukraine
Côté russe, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov a voulu voir dans cette affaire l'illustration "que le camp de la guerre en Europe est toujours très, très fort".
Le Kremlin a dénoncé "l'implication directe" de l'Occident en Ukraine ce lundi 4 mars.
Ces échanges montrent "une fois de plus l'implication directe de l'Occident collectif dans le conflit en l'Ukraine", a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Le numéro deux du Conseil de sécurité russe Dmitri Medvedev a jugé lui sur son compte Telegram que "nos rivaux de toujours, les Allemands, sont redevenus nos ennemis jurés" et préparent des tirs de missiles pour frapper "la patrie" russe.
Alors que les agences de presse russes ont affirmé que l'ambassadeur d'Allemagne en Russie a été convoqué ce lundi 4 au ministère des Affaires étrangères à ce sujet, Berlin dément et affirme qu'un "rendez-vous était prévu de longue date".