Guerre en Ukraine : livrer des avions de combats à Kiev, une ligne rouge à ne pas franchir ?

Mirage 2000 fighter jets fly to Paris to take part in the  the Bastille Day military parade over the Champs-Elysees avenue, on July 14, 2022. (Photo by Christophe SIMON / AFP)
CHRISTOPHE SIMON / AFP Mirage 2000 fighter jets fly to Paris to take part in the the Bastille Day military parade over the Champs-Elysees avenue, on July 14, 2022. (Photo by Christophe SIMON / AFP)

UKRAINE - Après les canons Caesar et les chars Leclerc, les Mirage 2000 ? De Londres à Bruxelles en passant par Paris mercredi 8 et jeudi 9 février, le président ukrainien Volodymyr Zelensky n’a eu de cesse de réclamer des avions de combat à ses alliés de l’Union européenne (UE). « Plus tôt l’Ukraine obtient de l’armement lourd de longue portée, plus tôt nos pilotes obtiennent des avions, plus vite se terminera cette agression russe », a-t-il notamment affirmé à l’Élysée.

Une demande compréhensible, face à la large offensive que préparent les Russes dans la région de Louhansk et à la puissance de sa flotte aérienne, qui ciblait encore ce vendredi matin des « sites énergétiques stratégiques » ukrainiens. Mais une demande complexe à satisfaire pour l’Occident, qui craint l’escalade avec Moscou, notamment après que la France et l’Allemagne ont accepté de fournir des chars lourds à Kiev au mois de janvier.

« Ça ne correspond pas aujourd’hui aux besoins »

Si Emmanuel Macron « n’exclut rien » par principe concernant la fourniture d’avions de chasse à l’Ukraine, il juge en tout cas une livraison impossible « dans les semaines qui viennent » : « Ça ne correspond pas aujourd’hui aux besoins », a justifié le président de la République. « Il est essentiel que les alliés privilégient les matériels qui sont les plus utiles » et « les plus rapides », a-t-il ajouté, estimant que les canons Caesar et le système de défense sol-air de moyenne portée MAMBA fournis par la France répondaient à ces critères.

Dans l’entourage du chef de l’État-major de l’armée de l’air française, on assure, rapporte l’Agence France-Presse, que la France dispose de 13 Mirage 2000-C qui ont été retirés du service il y a quelques mois et qui « ont encore un peu de potentiel ». Mais les remettre en condition prendrait du temps, et il faudrait consacrer trois mois, au minimum, à la formation des pilotes ukrainiens, dont la flotte est exclusivement composée de Mig et Sukhoï soviétiques.

Le Premier ministre britannique Rishi Sunak a justement annoncé la formation prochaine de pilotes de chasse ukrainiens à l’utilisation d’appareils aux normes de l’Otan et se dit prêt à étudier la livraison d’avions de combats.

Où s’arrêteront les demandes de Kiev ?

De l’avis des experts, les avions de chasse occidentaux permettraient de frapper dans la profondeur les troupes russes et de dissuader les bombardiers russes de pilonner le territoire ukrainien. Mais ils ne constitueraient pas à eux seuls la solution militaire miracle, et tous ne seraient pas adaptés au théâtre ukrainien.

« Depuis le début du conflit, les alliés de l’Ukraine s’emploient à ne pas lui fournir d’armement capable de frapper les Russes sur leur territoire. Or, un hélicoptère ou un avion de combat serait capable de les frapper au-delà des frontières de l’Ukraine », explique au HuffPost le général Jean-Claude Allard, chercheur associé à l’Iris spécialisé sur la défense et la sécurité. Le jeu en vaut-il donc la chandelle ?

« L’escalade possible des demandes ukrainiennes doit assurément être discutée au sein des pays de l’Otan », juge le général. Après les jets, l’Ukraine demandera-t-elle à la France d’envoyer des troupes ? Et si le conflit s’enlise, demandera-t-elle à l’Otan de se doter de l’arme nucléaire tactique pour être à jeu égal avec la Russie - alors que cette dernière a évoqué de son côté le recours à cette arme totale ? La ligne rouge n’est pas si clairement délimitée, et c’est sans doute ce qui rend la décision si difficile à prendre pour Emmanuel Macron et les autres dirigeants occidentaux.

Moscou et la rhétorique de la menace

Le Kremlin en est bien conscient, et n’hésite pas à en jouer. « Dans un tel scénario, la moisson sanglante du prochain cycle d’escalade sera sur votre conscience, ainsi que les conséquences militaires et politiques pour le continent européen et le monde entier », a averti mercredi 8 février l’ambassade de Russie au Royaume-Uni.

Une rhétorique de la menace que Moscou utilise déjà depuis près d’un an. En réponse aux sanctions économiques et européennes, elle annonçait « des conséquences irréversibles ». Au début de l’année 2023, elle qualifiait cette fois la promesse de livraison de chars de l’Allemagne et la France « d’engagement direct » dans le conflit.

« Nous avons de quoi répondre et ça ne se limitera pas à des blindés », avait même affirmé Vladimir Poutine dans une référence à peine déguisée à l’arme nucléaire lors du 80e anniversaire de la victoire soviétique à Stalingrad au début du mois de février.

Pour Londres, ni l’UE, ni l’Otan ne sont responsables de la montée des tensions. « Tout ce que nous faisons prend en compte les potentiels risques d’escalade mais une fois de plus je voudrais souligner que c’est la Russie, et non l’Ukraine ou l’Otan, (...) qui provoque une escalade de la situation », a assuré un porte-parole du chef du gouvernement.

Un risque cyber à prendre en compte

Un point de vue partagé par Fédérico Mauro, avocat au barreau de Bruxelles et chercheur associé à Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). « Si la France doit aider l’Ukraine, elle doit l’aider vraiment à gagner la guerre, pas seulement à survivre, a-t-il écrit dans une tribune publiée mercredi dans La Croix. Rappelons-nous qu’en temps de guerre, la seule chose dont il faille avoir peur, c’est de la peur elle-même. Et les Russes ont certainement beaucoup plus peur d’affronter l’Otan que l’Otan n’a de raisons de les craindre. »

« Mais au-delà de la menace physique agitée par la Russie, qui ne tient pas vraiment grâce à la dissuasion nucléaire, les dirigeants occidentaux doivent prendre en compte la menace cyber », nuance le général Jean-Claude Allard. Rien n’exclut en effet que par mesure de retaliation, la Russie, experte dans le domaine, n’attaque massivement des infrastructures européennes.

En Allemagne fin janvier, une série de cyberattaques a justement visé des sites internet d’administrations, d’entreprises et d’aéroports allemands. Selon le quotidien économique Handelsblatt, ces attaques avaient été menées en représailles de l’annonce de la livraison à Kiev par Berlin de chars Leopard 2.

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