Guerre en Ukraine : un bilan humain toujours difficile à chiffrer après un an de conflit

Comme depuis douze mois maintenant, les soldats ukrainiens comme russes portent les cercueils des militaires tués au combat en Ukraine, au milieu de l’invasion russe.
DIMITAR DILKOFF / AFP Comme depuis douze mois maintenant, les soldats ukrainiens comme russes portent les cercueils des militaires tués au combat en Ukraine, au milieu de l’invasion russe.

GUERRE EN UKRAINE - Trois semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, deux expertes partageaient auprès du HuffPost ce constat : il faudra des années après la fin de la guerre pour que l’on puisse connaître le bilan humain exact.

Un an plus tard, le sujet est toujours autant d’actualité. Le conflit n’a pas cessé et la délicate question du bilan humain se pose toujours avec insistance. Quel est le nombre réel de civils et militaires, ukrainiens comme russes, tués depuis le lancement de l’« opération militaire spéciale » de la Russie en Ukraine ?

Après une année de guerre, de nombreuses données, provenant de sources très différentes permettent seulement d’établir des échelles de grandeur concernant le tribut humain des deux pays.

Pas moins de 100 000 morts dans chaque camp

Parmi ces sources, il y a les médias qui ont régulièrement fait le récit de ce qu’il se passait sur le terrain, tout comme les informations disponibles grâce à l’imagerie satellite, aux réseaux sociaux ou aux interceptions de communications. Mais ce sont surtout des puissances étrangères qui communiquent le plus régulièrement autour des pertes russes et ukrainiennes.

Ainsi, sans préciser ses sources, l’armée norvégienne avançait le 22 janvier que pas moins 180 000 soldats russes ont été blessés ou tués pour 100 000 côté ukrainien. Des estimations assez proches de celles partagées par d’autres alliés de Kiev. Aux États-Unis, l’administration Biden a évoqué à plusieurs reprises des chiffres compris entre 100 000 et 200 000 morts de part et d’autre.

« Je dirais que c’est bien plus de 100 000 maintenant », déclarait en décembre le général Mark Milley, chef d’état-major des armées américaines, tout en précisant que le bilan russe comprenait « l’armée régulière, ainsi que leurs mercenaires du groupe Wagner ». Le New York Times, citait également le 2 février des pertes russes proches de 200 000, selon des responsables américains et occidentaux.

En France, un rapport de l’Assemblée nationale daté de novembre avance toutefois des chiffres moins élevés, notamment côté russe. « Selon nos estimations les plus crédibles, au moins 60 000 combattants russes auraient été tués, pour trois fois plus de blessés, ce qui signifie qu’environ 250 000 combattants russes seraient aujourd’hui ’hors service’ ». Mais Paris note que « paradoxalement, les chiffres ukrainiens sont plus difficiles à obtenir », précisant que « les pertes ukrainiennes sont moins importantes que celles des Russes, mais tout de même considérables ».

Au-delà de l’aspect militaire, plusieurs estimations cherchent également à calculer les lourdes pertes civiles, notamment du côté de l’Ukraine. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a pu établir un bilan qui fait état de 7 031 tués et 11 327 blessés au 15 janvier 2023.

Statistique: Nombre civils tués ou bléssés enregistré par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme lors de la guerre en Ukraine, au 15 janvier 2023 | Statista
Statistique: Nombre civils tués ou bléssés enregistré par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme lors de la guerre en Ukraine, au 15 janvier 2023 | Statista


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Des chiffres qui sous-estiment le bilan réel côté civil à en croire ceux établis par l’armée norvégienne et l’armée américaine, qui respectivement avancent 30 000 et 40 000 Ukrainiens morts. À cela s’ajoutent également les 65 000 cas de crimes de guerre présumés signalés, selon le commissaire européen à la Justice Didier Reynders, laissant présager d’un bilan civil sans doute encore plus important.

Aucun consensus n’émerge autour d’un même bilan. Des écarts qui peuvent s’expliquer par les différentes méthodes de calcul utilisées pour compter les victimes de la guerre. Si certains ne prennent que les morts en considération pour leurs estimations, les États-Unis ont par exemple l’habitude de se référer à la classification MIA (« missing in action », ou disparus au combat en Français) incluant les combattants tués, blessés, capturés, exécutés ou abandonnés.

Un lourd tribut russe

Évidemment, côté russe, comme côté ukrainien, le bilan humain a très vite viré à la bataille de communication. D’ailleurs, l’ONU ne les considère pas comme fiables et a plusieurs fois appelé à la prudence sur le sujet.

Contrairement à la Russie, l’Ukraine s’est très vite emparée du sujet et n’a pas hésité à rapidement communiquer autour des pertes ennemies. Ce qu’elle fait encore quotidiennement sur ses réseaux sociaux officiels. Ainsi, au 24 février, 146 820 soldats russes auraient été tués selon l’état-major général des Forces armées ukrainiennes.

Ce décompte donne une idée des lourdes pertes qu’aurait subie la Russie durant cette année. Ces données ont été récemment relayées par le ministère britannique de la Défense. Dans ce graphique, on voit le nombre moyen de soldats russes décédés quotidiennement depuis le 24 février 2022, ce qui permet par ailleurs d’observer des périodes de combats acharnés, comme à Bakhmout sur ce début d’année 2023.

Un bilan potentiellement encore plus sanglant pour le Kremlin si l’on se fie aux données partagées par la Conflict Intelligence Team, récemment citée par le magazine Forbes. Cette organisation russe indépendante et fondée en 2014 par un proche d’Alexeï Navalny a mené une enquête open-source et donne « une fourchette de 130 000 à 270 000 tués et blessés » du côté de la Russie. L’organisation reste en revanche prudente en rappelant que les chiffres étudiés peuvent avoir inclus des soldats blessés à plusieurs reprises. De quoi faire dire au magazine américain que « statistiquement parlant », tous les Russes entrés en Ukraine au début du conflit ont été tués ou transportés à l’hôpital depuis.

Le grand flou ukrainien

Quant aux pertes ukrainiennes, elles sont bien moins documentées - sans doute du fait de son statut de pays agressé - et sont plus difficiles à estimer avec précision. « D’une part, les pertes infligées sont fortement gonflées. D’autre part, les pertes sont largement sous-estimées pour des raisons évidentes de propagande », détaillait au Monde l’historien militaire et ancien colonel de la marine Michel Goya.

L’historien explique aussi que la nature même de ce conflit empêche l’Ukraine comme la Russie d’établir un bilan humain précis. En cause ? La place de l’artillerie lourde à distance dans les conflits modernes, capable de faire disparaître des corps en quelques secondes et à plusieurs kilomètres. Et l’Ukraine a particulièrement été victime de ce type d’attaques depuis un an. Ce qui rend de toute manière le décompte des victimes difficile pour les deux pays, qu’ils souhaitent communiquer dessus ou non.

Un homme marche parmi les tombes de soldats ukrainiens dans « l’allée de la gloire » d’un cimetière de Kharkiv, en Ukraine, le 16 février 2023.
SERGEY BOBOK / AFP Un homme marche parmi les tombes de soldats ukrainiens dans « l’allée de la gloire » d’un cimetière de Kharkiv, en Ukraine, le 16 février 2023.

Parmi les derniers chiffres avancés par l’Ukraine, on retrouve ceux donnés par le général Valery Zaloujny, commandant en chef de l’armée ukrainienne. Le 22 août 2022, il estimait alors à 9 000 le nombre de ses soldats tués, et à 30 000 le nombre de blessés depuis le début de l’invasion russe. Un rare exemple d’estimation venue d’Ukraine, mais sans doute loin de la réalité, près de six mois plus tard.

Début décembre, ce bilan n’était guère plus élevé à en croire Mykhailo Podolyak, conseiller du chef du bureau du président Volodymyr Zelensky, qui avançait le chiffre de 13 000 morts dans les rangs de l’Ukraine.

Le ministère de la Défense russe indiquait pour sa part le 21 septembre que 61 207 soldats ukrainiens avaient été tués et 49 368 autres blessés depuis le début de l’opération militaire en Ukraine.

Dans cette rare déclaration sur les chiffres russes, Sergueï Choïgou avait par ailleurs indiqué que 5 937 soldats de l’armée russe étaient décédés sur le front depuis le début des combats. Le précédent chiffre avancé par Moscou datait de fin mars et estimait à 1 351 le nombre de militaires russes tués. À titre de comparaison, la BBC rappelle que l’on estime que 15 000 soldats soviétiques sont morts dans le conflit afghan de 1979 à 1989.

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