Guerre en Ukraine : un an après, cette députée raconte comment elle "vit avec"

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Twitter Lesia Vasylenko

Lesia Valysenko est restée en Ukraine après le début de l’offensive russe. Elle nous raconte son quotidien rythmé par la guerre mais sans oublier la politique.

GUERRE EN UKRAINE - L’image est un peu pixélisée mais le visage de Lesia Vasylenko apparaît bien. La députée ukrainienne, à qui le Huffpost avait déjà donné la parole un mois après le début de la guerre, en mars 2022, nous donne de ses nouvelles alors que le conflit va entrer dans sa deuxième année le 24 février prochain.

Ses enfants réfugiés à l’étranger, les frappes quotidiennes auxquelles elle s’habitue, son travail de parlementaire… Malgré une connexion Internet parfois capricieuse, Lesia Vasylenko raconte depuis Kiev comment sa vie a changé en un an.

La guerre en Ukraine dure depuis presque un an. Comment le vivez-vous ?

Nous nous sommes habitués à vivre avec la guerre en arrière-plan. C’est devenu une partie de ma vie et du quotidien de ma famille. C’est quelque chose que personne ne souhaiterait expérimenter, mais c’est là. Tu ne peux rien y faire alors tu vis avec. Moi, je passe mon temps entre l’Ukraine et l’étranger, où sont réfugiés mes enfants.

Vous avez une petite fille d’un an, mais aussi deux enfants plus grands de 7 et 9 ans. Comment vivent-ils la situation ?

Ils sont à l’étranger et c’est dur pour eux. Ils n’arrivent pas vraiment à expliquer ce qu’il se passe, ils savent que c’est dangereux dans leur ville, dans leur pays et pourtant ils me voient y retourner à chaque fois. Même s’ils ne comprennent pas, psychologiquement c’est compliqué. Je pense qu’on en parlera dans quelques années, quand ils seront adultes. En tout cas, ils ne reviendront pas définitivement en Ukraine tant qu’il y aura des frappes aériennes.

Ce n’est pas l’idéal, mais je leur explique que pour le moment c’est comme ça, c’est ce que la vie nous a donné. Je leur ai appris à dire merci parce qu’ils sont à l’abri, ont une bonne éducation, une enfance. Ils ne souffrent pas des coupures d’électricité, ils ne descendent pas dans les abris quatre fois par jour… Le prix à payer pour la sécurité, c’est d’être loin de leur maison, de leurs amis, de leurs grands-parents et de tout ce à quoi ils sont habitués.

Ils sont tout de même revenus à Noël à Kiev, vous avez posté des photos sur les réseaux sociaux. Comment l’ont-ils vécu ?

J’ai effectivement pris mes enfants pour les vacances de Noël. Ils n’ont pas été épargnés puisqu’il y a eu des frappes russes pendant toute la période, dont une tombée tout près, à seulement quelques quartiers du nôtre. À ce moment-là, je me suis rendu compte à quel point mon niveau d’urgence en cas de danger est bas par rapport à une personne normale et surtout pour une mère de trois enfants.

« Mes enfants sont avec moi à Kiev pour Noël. C’est la première fois depuis le 1er mars, quand je suis partie avec eux. Je suis très excitée malgré les 14 degrés dans la maison, les radiateurs froids et l’électricité qui ne fonctionne pas depuis la mi-journée. »

« Nous nous sommes réfugiés dans un abri qui n’en était pas vraiment un. S’il y avait eu une frappe, il n’y avait aucune chance de survie. »

C’est-à-dire ?

C’était le 31 décembre. Je faisais des courses pour le réveillon. D’un coup, il y a eu des sirènes, des messages sur une attaque imminente et sur l’urgence de se mettre à l’abri. Mais comme la majorité des Ukrainiens, j’ai continué mes courses, je suis allée aux caisses pour payer.

Quand je suis rentrée à la maison, j’avais complètement oublié cette histoire de sirène. J’ai pris deux de mes enfants pour faire un tour au parc et les explosions ont commencé. Je me suis sentie irresponsable, stupide, coupable. Nous nous sommes dirigés vers un abri qui n’en était pas vraiment un, c’était un demi-sous-sol avec une seule entrée et une seule sortie : s’il y avait eu une frappe, il n’y avait aucune chance de survie.

« La sieste de Sofia au parc interrompue par une attaque de missiles russe. Nous sommes accueillis dans un sous-sol transformé en abri. Regardé Pegga Pig, fait de nouveaux amis, discuté des recettes pour le Nouvel An. »

« Compté huit boums venant d’explosions. Avons dû s’abriter dans un sous-sol quelconque avec les enfants. »

Nous sommes restés là, et quand nous sommes sortis j’ai vu à quel point les missiles étaient proches. J’ai compris que j’avais pris la bonne décision de faire évacuer mes enfants. J’ai eu des doutes toute l’année, il y a tellement de familles qui sont restées. Je me disais que je n’aurais pas dû séparer la famille. Mais finalement, c’était la meilleure chose à faire, je ne me serais pas pardonné de voir mes enfants avec des séquelles physiques ou psychologiques.

Et le reste de votre famille ?

Mes parents sont toujours en Ukraine, par choix. Ils ont été à l’étranger quelques mois, puis sont revenus. Ils n’ont pas l’intention de repartir et je ne peux pas les faire changer d’avis. L’inquiétude est permanente avec l’électricité, les coupures d’eau dans leur immeuble… Il y a beaucoup de choses à régler et je viens d’une famille où l’entraide est primordiale donc nous nous adaptons. Mais entre mon travail, ma famille, et mes parents, il est difficile de tout gérer.

Professionnellement, à quoi ressemble votre quotidien ?

Chaque jour est différent et présente de nouveaux défis. Il y a les projets législatifs, les organisations des visites des parlementaires européens… J’ai l’opportunité de m’exprimer dans le monde entier pour parler de la reconstruction, de comment faire pour arrêter cette agression et garantir qu’elle ne se reproduise pas en Ukraine ou ailleurs.

Mais tout devient plus difficile, car nous savons ce qu’il se passe : la Russie prolonge la guerre pour affaiblir les Ukrainiens et tous ceux qui nous aident. Or, nous sommes dépendants des armes que les Occidentaux nous fournissent. C’est compliqué de les critiquer, mais il faut aller plus vite dans la livraison des armes afin de repousser l’armée russe.

Et les institutions ? Les députés arrivent à se voir, à travailler ensemble ?

Absolument, le Parlement n’a pas cessé de fonctionner. Nous sommes en session depuis l’année dernière, nous avons encore eu une réunion hier [lundi 6 février]. Le processus législatif continue, le travail du gouvernement aussi. Nous exerçons toujours le contrôle parlementaire sur l’exécutif et ses actions.

Ce qui a changé, c’est la manière dont nous travaillons : nous avons conservé le régime mis en place pendant le Covid. Les commissions parlementaires se déroulent en ligne mais pas les sessions parlementaires avec vote. Je peux en témoigner, tout se passe selon la Constitution ukrainienne. Nous faisons des efforts pour défendre la démocratie.

« Pour l’instant, l’adrénaline nous tient. C’est l’après qui m’inquiète. »

Vous êtes une députée de l’opposition, mais vous souteniez Volodymyr Zelensky au début de la guerre. Est-ce toujours le cas ?

Le président a su unifier le pays et les partis politiques depuis le 24 février 2022. J’espère que cette unité se prolongera jusqu’à la victoire ukrainienne. Cela ne nous empêche pas d’avoir des débats parlementaires, d’examiner des projets de loi, et de déposer des amendements comme en tant de paix.

Pensiez-vous que la guerre durerait aussi longtemps ?

Jusqu’à l’automne, il y avait cet espoir, le cœur parlait plus fort que le cerveau. On pensait que tout le monde allait pouvoir revenir rapidement. C’était un vœu pieux. Aujourd’hui, je veux la victoire ukrainienne, c’est la condition pour une paix de long terme. Si la Russie garde le contrôle des territoires, son armée va se reformer pour lancer une nouvelle attaque et occuper encore plus notre pays.

Comment faites-vous pour tenir ?

C’est comme un marathon. Nous pensions qu’il allait durer six mois, finalement une année est passée. Nous ne savons pas quand ça va s’arrêter, nous ne pouvons pas planifier nos vies. Nous ne savons pas quand auront lieu les prochaines élections [la présidentielle est prévue en 2024, ndlr]. Mais en tant que députée, seul un énorme problème de santé ou dans ma famille m’arrêteront.

J’essaie de vivre chaque jour en disant merci, en faisant le plus possible en fonction d’où je me trouve : si je suis avec mes enfants je passe un maximum de temps avec eux; si je suis en Ukraine, je fais le plus possible pour mon travail. Pour l’instant, l’adrénaline nous tient. C’est l’après qui m’inquiète : comment nous allons parler de tout ce que nous avons vécu, gérer les problèmes de santé…

Comment appréhendez-vous 2023 ?

Normalement, je fais des plans pendant la période de Noël pour l’année qui vient. Malgré la guerre, j’ai décidé de ne pas faire d’exception. J’ai plein de projets afin de vivre la meilleure vie possible, au vu des circonstances.

Mes enfants vont revenir à Pâques, je suis en train de prendre les billets parce qu’il faut prendre l’avion jusqu’en Pologne, puis prendre le train ou la voiture. C’est une dizaine d’heures en voiture et 17 heures en train.

C’est l’occasion pour eux de recharger les batteries dans leur maison, leur lit, revoir des amis même si la plupart sont partis. Comme le dit le proverbe ukrainien, « tes propres murs peuvent te guérir ». Dans ta maison il y a cette énergie qui te permet d’avoir de l’énergie pour continuer à vivre. Mes enfants ont peur de ne plus jamais vivre en Ukraine. Revenir chez eux, ça leur redonne de la force.

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