Guerre Israël-Hamas : ce que l'on sait sur le "Guantanamo israélien", dénoncé par des ONG

Alors que plusieurs ONG ont saisi la Haute Cour de justice israélienne, l'armée a annoncé l'ouverture d'une enquête sur les conditions de détention à Sde Teiman.

L'armée israélienne assure qu'elle va enquêter sur de possibles exactions commises à Sde Teiman (Photo : Getty Images)

Les semaines passent et les témoignages accablants s'accumulent, poussant les autorités à réagir. Il y a quelques jours, l'armée israélienne a annoncé l'ouverture d'une enquête interne concernant les conditions de détention de prisonniers palestiniens se trouvant dans le camp militaire de Sde Teiman.

Situé dans le désert de Néguev, à quelques dizaines de kilomètres à l'Est de la bande de Gaza, le site est en effet utilisé comme centre de détention depuis le début des opérations militaires consécutives à l'offensive terroriste du Hamas menée le 7 octobre 2023. Plusieurs lanceurs d'alertes et autres ONG ont cependant tiré la sonnette d'alarme ces derniers mois, dénonçant les conditions indignes dans lesquelles sont gardés les prisonniers.

Dans un reportage diffusé il y a quelques jours sur France Culture, un médecin ayant travaillé sur place témoigne anonymement de cette situation. Appelé brièvement par l'armée pour pratiquer une opération, ce chirurgien a passé environ une heure à Sde Teiman. Confirmant plusieurs autres sources, il décrit une base séparée en deux zones - un centre de détention et un hôpital de campagne -, où les prisonniers sont littéralement déshumanisés.

"Je souhaite que l'on ferme Sde Teiman, les détenus ne sont pas traités comme des êtres humains, explique le soignant au micro du reporter de Radio France. Il y a entre 15 et 20 détenus. Les patients n'ont pas de nom. Ils sont tous attachés de la même façon, ils ont les yeux bandés, ils sont nus, ils portent des couches. C'est de la torture physique et psychologique."

Ce témoignage fait écho à d'autres du même type, qui avaient notamment été relayés dans un article de CNN paru en avril dernier. À l'époque, les sources du média américain décrivaient déjà des "détenus attachés à leur lit, portant des couches et nourris à la paille" dans la partie du camp transformée en hôpital rudimentaire.

L'article mentionnait aussi le fait que "les médecins amputent parfois les membres des prisonniers en raison des blessures causées par les menottes portées constamment" ou encore que l'air de Sde Teiman "est empli de l'odeur des plaies négligées en train de pourrir". Un véritable tableau d'horreur donc, complété par la description des conditions de détention dans la partie de la base utilisée comme prison.

Comme le montrent plusieurs photos prises sur place, les prisonniers sont en effet soumis à des mauvais traitements quotidiens et à des conditions de captivité inhumaines, les yeux bandés en permanence et entassés dans des espaces réduits.

"On nous a dit qu'ils n'avaient pas le droit de bouger, ajoute l'une des sources de CNN. Ils doivent s'asseoir bien droit, ils n'ont pas le droit de parler, ni de jeter un coup d'œil sous leur bandeau. Les gardiens ont pour instruction de crier 'Taisez-vous !' en arabe, de choisir les personnes qui posent problème et de les punir."

D'après un infirmier ayant travaillé sur place, et également cité par CNN, l'objectif de l'armée israélienne est clairement de briser physiquement et psychologiquement ces détenus en "les dépouillant de tout ce qui peut les faire ressembler à des êtres humains". Une méthode dénoncée depuis plusieurs mois déjà par l'association Physicians for Human Rights – Israel (PHRI, médecins pour les droits de l'homme en VF), fondée par des médecins israéliens.

Si l'ONG a longtemps comparé les exactions commises à Sde Teiman avec celles qui avaient été commises par l'armée américaine à Guantanamo, pas sûr que l'analogie soit toujours d'actualité. "À Guantanamo, en 20 ans, 20 personnes ont perdu la vie, mais là en 6 mois, on parle de 40 morts, compte Naji Abbas, porte-parole de PHRI, cité par France Culture. C'est peut-être pire que Guantanamo. Personne n'a d'information sur ce qu'il se passe au quotidien là-bas. Ce que l'armée israélienne fait, c'est ce qu'on appelle une politique de disparition forcée."

Après un appel à la fermeture de Sde Teiman en avril, PHRI a continué de se mobiliser sur le sujet et a fini par se joindre à quatre autres associations israéliennes de défense des droits de l'homme pour saisir la Haute Cour de justice du pays, arguant notamment qu'en l'état, le centre de détention et l'hôpital ne respectent ni la loi internationale, ni même la loi nationale en termes de droits des personnes détenues.

Cette initiative a provoqué l'ouverture d'une enquête au sein de l'armée israélienne, annoncée le 26 mai dernier. "À ce jour, 70 enquêtes de la police militaire ont été ouvertes sur des incidents qui ont fait naître des soupçons d’infractions pénales, a précisé à cette occasion Yifat Tomer Yerushalmi, avocate générale de Tsahal, citée par The Times of Israël. Ces enquêtes portent également sur des allégations concernant les conditions d’incarcération au centre de détention de Sde Teiman et la mort de détenus sous la garde de Tsahal. Nous traitons ces allégations très sérieusement et prenons des mesures pour les examiner."

Les nombreuses alertes lancées ces dernières semaines par des ONG israéliennes et par des témoins anonymes ont donc fini par briser le tabou autour de la base de Sde Teiman. La fermeture de cette dernière n'est toutefois pas à l'ordre du jour pour le moment. Par ailleurs, le nombre de prisonniers palestiniens victimes de mauvais traitements pourrait en réalité être plus important : selon le correspondant de Radio France à Jérusalem Thibault Lefèvre, Tsahal aurait improvisé d'autres centres de détention dans d'autres bases militaires du pays.