Guerre interne, échange électrique, choix contestés… L’arbitrage français sous très haute tension

La réunion "comité arbitrage du comex" organisée par le comité exécutif de la Fédération française de football, jeudi dernier, n’est que la partie émergée de l’iceberg. La crise est bien plus importante et commence à gagner l’ensemble des arbitres français. Certains hommes en noir se posent des questions sur la direction technique de l’arbitrage et les orientations prises depuis plusieurs semaines par les dirigeants de la DTA. Depuis le début de saison, c’est Antony Gautier qui est à la tête de la DTA, le secteur professionnel étant à la charge de Stéphane Lannoy.

Lors l’audition des potentiels successeurs de Pascal Garibian, un candidat a fait forte impression: Antony Gautier, donc. Le comité fédéral chargé de désigner le nouveau DTA (Aulas, Keller, Gerge, Borghini, Parent) l’a choisi. Mais devant la pression du monde professionnel qui soutient Lannoy, une autre organisation a finalement été trouvée. Antony Gautier a été nommé DTA avec trois délégués: Sars délégué au foot amateur, Lannoy délégué au monde professionnel et Frappart déléguée à l’arbitrage féminin.

Lors d’une présentation en août dernier, Gautier et Lannoy étaient apparus unis face aux médias. Ils avaient promis plus de communication et des arbitres beaucoup plus humains sur les terrains de Ligue 1 et de Ligue 2. Dans un entretien accordé à RMC Sport, Antony Gautier avait confié ses premières pistes au sujet des "orientations techniques", avec une volonté de laisser un peu plus de jeu dans les rencontres du championnat. La stratégie semblait claire et l’entente entre les deux hommes était primordiale pour la réussite de cette mission. Lorsqu’il a été nommé à la DTA en charge du secteur professionnel, Stéphane Lannoy avait demandé une large autonomie dans son activité. Cette autonomie n’est pas au rendez-vous. Par exemple, la désignation des arbitres, selon leurs évaluations, doit être validée par la Commission fédérale de l’arbitrage (CFA). "Autonomie ne veut pas dire indépendance", précise Eric Borghini, le président de la CFA avec qui les relations sont tendues.

Fin de l’idylle entre Lannoy et Gautier

Quelques mois après, la lune de miel est terminée. Jeudi dernier à la Fédération, la réunion autour du président Philippe Diallo devait permettre d’exposer les problèmes de l’arbitrage français. Antony Gautier était présent et a pu présenter sa stratégie ainsi que sa vision de la situation. Cette discussion arrive aussi un mois après le rendu du rapport de Dominique Laurent, présidente de l’AFLD (Agence française de lutte contre le dopage), sur les procédures de gestion de l’arbitrage. Mais la discussion s’est éternisée et la relation difficile entre les deux patrons de l’arbitrage français est revenue au centre du débat. Cette réunion s’est tenue sans Stéphane Lannoy, qui n’a étonnamment pas été convié. La relation entre Stéphane Lannoy et Antony Gautier est aujourd’hui, selon plusieurs interlocuteurs, "très tendue".

Les discussions entre les deux hommes se limitent à l’essentiel, un point hebdomadaire le lundi afin de faire le bilan du week-end. Le reste des échanges se limitent à des SMS et des mails, les deux hommes ne se croisent quasiment jamais à la FFF. Il n’y a donc aucun contact direct entre les patrons de l’arbitrage français. "Tant que je serai à la tête de la Commission fédérale de l’arbitrage, je ne veux pas qu’un seul homme décide seul de la vie sportive d’un arbitre. Cela doit être un processus collégial. Stéphane Lannoy vit ça comme une restriction de son pouvoir. Mais ce n’est pas du tout ça", complète Eric Borghini, auprès de RMC Sport.

Des arbitres contactés par RMC Sport s’accordent aussi pour évoquer certaines "incompréhensions" dans la vision de l’arbitrage professionnel. D’autres parlent d’une "orientation technique où l’on ne comprend plus rien". Certains officiels de Ligue 1 et de Ligue 2 sont progressivement en train de "lâcher" Stéphane Lannoy, expliquent plusieurs proches du dossier. Des arbitres "ont senti que le pouvoir était du côté de la CFA", fait savoir un connaisseur du dossier. Et d’ajouter: "il y a clairement une différence de point de vue sur le niveau des arbitres entre Lannoy et la CFA". En clair, le projet présenté par Stéphane Lannoy lors de sa candidature l’été dernier ("les meilleurs arbitres arbitrent, les autres sont écartés"), n’est pas appliqué. Par exemple, le match entre Marseille et Monaco (2-2 fin janvier) a été arbitré par Willy Delajod, alors que ce n’était pas le nom proposé par Stéphane Lannoy. Pour Monaco-Lyon (0-1, mi-décembre), Jérémy Stinat avait été proposé mais c’est finalement Clément Turpin qui a arbitré après intervention du vice-président de la CFA.

Stéphane Lannoy fragilisé?

C’est tout un secteur qui est touché par cette incertitude. La FFF, via son président Philippe Diallo va devoir trancher pour retrouver un peu de confiance chez les arbitres français.

Stéphane Lannoy, soutenu par le secteur professionnel depuis son arrivée, n’est pas dans les petits papiers de tous les dirigeants. Certains espèrent son départ dans les prochaines semaines afin d’apaiser la situation. D’autres arbitres expliquent aussi qu’il n’est pas le seul "responsable" de cette situation. Philippe Diallo pourrait donc décider de revoir l’organigramme présenté en début de saison. Certains dirigeants reconnaissent que cette organisation "était bancale" dès sa présentation.

Une scène électrique après PSG-OM

Un "bateau sans commandant", décrit un arbitre de Ligue 1. Le mercredi matin crispe souvent la situation. La réunion technique hebdomadaire de la Direction technique de l’arbitrage est le moment capital pour évoquer le sujet de l’arbitrage. Normalement, seuls des techniciens participent à cette réunion. Mais selon plusieurs arbitres, des membres "politiques" ont participé à certaines réunions, ce qui a fortement déplu à plusieurs officiels de Ligue 1 et de Ligue 2. Des personnes présentes dans cette réunion confirment que deux membres de la CFA avaient intégré à trois ou quatre reprises la réunion du mercredi habituellement réservée aux membres "techniques" de la DTA.

Une ingérence qui gêne certains arbitres. Parmi eux, Willy Delajod, qui a déploré cette situation dans un mail écrit en septembre à Eric Borghini et Antony Gautier. Et cette situation peut entraîner des moments de tensions dans les vestiaires de première division. A la fin du match PSG-OM, le 24 septembre dernier (4-0), Willy Delajod qui arbitre le Classique reçoit la visite dans le vestiaire du Parc des Princes de Patrick Lhermite, observateur CFA du match. L’échange sera électrique. Les décibels vont monter durant cette discussion très vive entre les deux hommes. "C’est quoi ton problème? Tu peux décrocher ton téléphone plutôt que de faire des mails Willy?", lui lance Lhermite en colère. L’explication aurait été très bruyante, à tel point qu’un agent de sécurité devant le vestiaire a ouvert la porte pour s’assurer que tout allait bien.

Stéphane Lannoy, patron des arbitres professionnels, ne fait plus vraiment l’unanimité. En fin d’année 2023, les arbitres de l’élite demandent un moment d’échange avec Eric Borghini et Antony Gautier à Clairefontaine, en marge d’un stage, et sans la présence de leur manager Stéphane Lannoy, afin d’exprimer librement leur position et faire remonter les soucis. Ils auraient déploré lors de cette entrevue un manque de cohérence de la ligne technique et l’indigence des stages organisés toutes les trois semaines à Clairefontaine. "Heureusement qu’on a les stages UEFA et Fifa, parce que là, on s’emmerde", lance un des arbitres.

Des conséquences sur les terrains?

Mais est-ce que cette situation a un impact sur les terrains? "Oui", répondent certains arbitres qui mettent en avant que la voix d’Antony Gautier ne "porte pas assez" et répètent que certains stages "sont incompréhensibles". "Évidemment que quand la direction est déstabilisée et que les tensions éclatent au grand jour, ce n’est pas positif pour nous", complète un officiel de Ligue 1. Et d’ajouter: "C’est rare d’avoir autant de polémiques. On aimerait que la direction prenne la parole pour faire des points. Comme en Italie, ils débriefent après toutes les journées".

Sur la VAR, "personne n’est sur la même ligne de conduite", reconnaît un homme en noir qui dénonce quand même les attaques de plusieurs présidents après les rencontres de Ligue 1. Un autre explique que tous les arbitres "connaissent le processus". Avant de poursuivre: "J’espère aussi que la situation avec les dirigeants va s’améliorer car on a besoin de sérénité". "Un arbitre est un sportif de haut niveau. C’est comme une Formule 1. La moindre perturbation dérègle la machine. Et aujourd’hui, les arbitres son perturbés. Et ça rejaillit malheureusement sur le terrain. Mais ils ne sont pas devenus mauvais d’un coup. Ils doivent se reconcentrer et retrouver de la sérénité", ajoute le membre du Comex, Eric Borghini.

Borghini lance un appel au calme

Certains constatent une augmentation des tensions depuis le début de l’année 2024. Les arbitres mettent en avant qu’une Ligue 1 à 18 et l’entrée du championnat dans son sprint final peuvent expliquer une augmentation de la pression autour des clubs. Les lettres envoyées par plusieurs clubs à la DTA montrent aussi que l’arbitrage est au centre des tensions. Les prises de parole dans les médias des hommes en noir sont aussi moins nombreuses depuis le début de l’année. "Je souhaite qu’on s’ouvre", conclut un arbitre de l’élite. "Je lance un appel au calme à tous les clubs. Il y a une saison à finir. Il faut que le foot et le jeu reprennent leurs droits", termine Eric Borghini.

Après la réunion de la semaine dernière avec son comité arbitrage du Comex, le président de la FFF Philippe Diallo pourrait trancher et prendre une décision cette semaine afin de modifier l’organisation de l’arbitrage français.

Article original publié sur RMC Sport