Groupes de niveau au collège : ces anciens élèves l’ont vécu et leurs souvenirs sont mitigés
ÉDUCATION - « Je me rappelle avoir pleuré quand on me l’a annoncé. » Quinze ans plus tard, Justine se souvient encore du moment où on lui a dit qu’elle allait être séparée de sa classe de troisième pendant toute l’année pour les cours de maths, et être placée dans un « groupe de soutien ».
Le dispositif que la vingtenaire a connu se rapproche des « groupes de niveau » que souhaite mettre en place Gabriel Attal. Ces derniers seront « constitués en fonction des besoins des élèves », comme cela est écrit dans l’arrêté du Journal officiel, publié le 17 mars dernier, et concernent les classes de sixième et cinquième, en maths et en français.
Si des enseignants pouvaient déjà mettre en place des groupes (de niveau ou autre) entre les élèves, le Premier Ministre souhaite qu’ils soient dorénavant « la règle » appliquée « les trois quarts de l’année au moins », et les cours en classes entières « l’exception ».
Mais cette mesure, pensée pour rehausser le niveau des élèves, se heurte à une très vive opposition du corps enseignant et des syndicats. En cause ? Les groupes de niveau seraient compliqués à mettre en place, faute de moyens. Surtout, ils ne permettraient pas de faire progresser les élèves et stigmatiseraient encore un peu plus ceux qui ont des difficultés. Le HuffPost s’est tourné vers des personnes qui ont été placées dans des groupes de niveau durant leur scolarité, pour savoir comment elles l’avaient vécu.
Du positif chez les bons élèves
Sans trop de surprise, celles placées dans les groupes estampillés « bons élèves » que nous avons interrogées en ont globalement tiré une expérience positive. Comme François*, 31 ans, habitant d’Amiens, qui a suivi tous ses cours de langues en seconde dans des groupes de niveau, lui qui avait des facilités dans ces matières. Lorsque l’établissement a des moyens, comme c’était le cas dans son lycée, il estime que cette méthode peut être bénéfique.
Et ce, dans son souvenir, même pour les élèves de groupes plus en difficulté. « On était notés au regard du groupe dans lequel on était. Ceux qui étaient dans les groupes les plus bas pouvaient donc avoir un 16 ou un 17 », détaille-t-il.
Selon lui, être en cours avec des camarades de son niveau permettait aussi d’avancer au même rythme, et enlevait une certaine charge, en particulier en langue : « Il n’y avait pas cette pression en expression orale de passer après un élève qui parle vraiment mieux. »
Claude*, 50 ans, garde lui aussi des souvenirs très positifs de cette pratique. Pour une raison bien précise : « Ce n’était pas si facile dans mon collège d’être classé intello quand tu étais un peu timide. » Il se souvient s’être parfois retenu de répondre aux questions du prof, « parce que c’était mal vu ». Il redoutait « d’aller dans certains cours ou d’être à côté de certaines personnes ». Être placé dans un groupe de niveau avec seulement les bons élèves, en maths et en français, a donc été pour lui un « soulagement ».
Aujourd’hui, il se souvient de ces groupes comme « un espace où on pouvait être bon élève sans avoir cette pression », comme une « oasis où on était un peu protégé ».
« Foutue pour foutue »
Mais ces dispositifs ont leurs défauts. François n’a pas vécu de stigmatisation, mais il sait que le ressenti de ses camarades a pu être différent du sien. « Des élèves avaient un peu mal pris d’être placés dans un groupe de niveau qu’ils estimaient inférieur au leur. Certains ont réussi à passer au-dessus, d’autre pas », se souvient-il.
Et si Justine, 28 ans, avait bien conscience d’avoir des progrès à faire en maths, elle a tout de même mal vécu son placement dans un groupe de soutien. « J’étais déjà victime de harcèlement scolaire, et je me suis retrouvée dans le groupe des plus “nuls”… La stigmatisation venait des élèves qui nous faisaient des réflexions. On était vus différemment car on était nuls en maths », explique-t-elle.
Côté résultats scolaires, le bilan n’est pas plus positif. Elle estime même que ce groupe l’a tirée vers le bas. « J’étais à côté d’un garçon, et je dessinais, je parlais avec lui. Alors qu’en quatrième, ma meilleure amie qui était forte en maths m’aidait à faire les exercices », ironise-t-elle.
Résultat : Justine a été « dégoûtée des maths ». « Ça m’a fait décrocher et me dire que cette matière n’était pas faite pour moi. Je me suis dit : foutue pour foutue… », se rappelle celle qui n’a finalement pas eu la moyenne au brevet, et s’est plus tard orientée vers la filière littéraire.
« Les écarts de niveau restaient les mêmes »
« Aujourd’hui encore, ça me tétanise de devoir faire du calcul mental ou de voir des chiffres », témoigne-t-elle, même si elle reconnaît qu’avoir été placée dans groupe de niveau n’est pas la seule raison de son décrochage dans la matière.
Mais les critiques peuvent aussi venir des personnes placées dans les groupes de « bons élèves ». Youssef*, qui a été scolarisé en Algérie, a été dans des classes de niveau du début du collège jusqu’au bac. Des classes qui ne changeaient pas vraiment d’une année sur l’autre.
« Les premières classes sont restées les premières et les dernières sont restées les dernières, et les écarts de niveau restaient globalement les mêmes. Ça n’a fait que créer de la frustration pour certains et de l’orgueil pour d’autres », se rappelle-t-il. « Même les profs comparaient tout le temps les classes, surtout en manière de discipline. Je pense que rien ne peut justifier d’imposer ça aux élèves. »
*Ces prénoms ont été modifiés
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