Grenelle, Ségur, Beauvau... à quoi servent réellement ces grandes concertations ?

Les conclusions du "Ségur de la Santé", en juillet 2020

Emmanuel Macron a annoncé la tenue d’un Beauvau de la Sécurité, pour “améliorer les conditions d'exercice" des forces de l'ordre” dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis des policiers.

Grenelle des violences conjugales, Ségur de la Santé, Beauvau de la Sécurité... depuis plusieurs années, ces discussions de plusieurs mois, organisées par le gouvernement sur un sujet précis, se multiplient, sans que le résultat ne soit unanimement salué.

VIDÉO : Police : Macron annonce un "Beauvau de la sécurité" en janvier

L’annonce d’un “Beauvau de la sécurité” a fait grincer des dents l’opposition et certains observateurs politiques, qui pointent du doigt la multiplications de ces “opérations de com”. Le député LFI Loïc Prud’homme ironise ainsi, “Après le "Ségur de la Santé" voilà le "Beauvau de la sécurité". J'attends avec impatience le "Rivoli des riches", a-t-il tweeté.

Même son de cloche à droite, où Eric Ciotti, Serge Grouard ou encore le sénateur Jean-François Husson rivalisent d’ironie pour moquer cette nouvelle annonce. “On nous parle de Grenelle, de Ségur, de Beauvau... on ne va peut-être pas faire toutes les rues de Paris...”, explique-t-il à une journaliste de Public Sénat.

Ces “Grenelles” qui se multiplient sous différents noms, sont-ils une succession d’opérations de communication ou réelles avancées ?

Des Accords de Grenelle historiques en 68

Le terme de Grenelle entre dans le langage courant en mai 1968, lorsque des négociations se tiennent au ministère du Travail, situé rue de Grenelle. Les accords de Grenelle aboutissent en pleine crise de mai 68 et après 30 heures de négociations, à une hausse de 35% du salaire minimum et de 10%, en moyenne, des autres salaires. Une quatrième semaine de congés payés est accordée et le temps de travail passe de 48h à 40 heures hebdomadaires. Enfin, ces accords aboutissent à la création de la section syndicale et du délégué syndical dans les entreprises de 50 salariés.

Des accords de Grenelle entrés dans l’Histoire et qui vont marquer les esprits. Ainsi, à partir du début des années 2000, le terme “Grenelle” revient dans le champ politique, pour désigner des consultations majeures sur des sujets.

Des “Grenelles” sur tous les sujets à partir de 2007

Ainsi, en 2007, Nicolas Sarkozy lance le “Grenelle de l’environnement”, réunissant membres du gouvernement, ONG et associations environnementales. A cette époque, la symbolique du Grenelle était celle “d’un moment important pour la société. Des mesures très fortes, dans un domaine pas encore abordé, devaient sortir de ces discussions”, explique Christian Delporte, professeur spécialisé dans l’histoire politique.

Lors de la conclusion du Grenelle, 238 engagements sont pris. L’abandon de la taxe carbone, en 2010, pousse la Fondation Hulot à quitter les groupes de travail. Autre critique, le sujet du nucléaire, qui n’a pas été évoqué.

“Beaucoup d’annonces, peu mises en oeuvre”

En novembre 2010, le réseau Action Climat dresse le bilan : “le Grenelle a été l'occasion de beaucoup d'annonces mais de très peu de mises en œuvre”, aucun accord contraignant n’ayant été pris. Une dizaines d’associations impliquées dans le processus publient un bilan du Grenelle dans lequel elles dénoncent l'absence d'applications concrètes et l'abandon des “mesures efficaces”.

Le site Vie publique, qui dépend du gouvernement, conclut que “la seule mesure réellement passée dans les faits à la fin de cette année (2008, ndlr) concerne le bonus-malus sur les véhicules neufs.”

Depuis cette date, les “Grenelle s’enchaînent”. Grenelle de l’insertion, du très haut débit, de la mer, des ondes. Ces “grand-messes sous l’égide du gouvernement se sont enchaînées, sans beaucoup plus de résultats concrets. Ils sont toujours très ambitieux, mais parfois décevants”, analysait Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, en octobre 2019.

Un “Grenelle du bullshit”

Depuis, la liste s’est allongée avec un nouveau Grenelle : celui des violences conjugales. Organisé durant trois mois, il aboutit à plusieurs mesures visant à faciliter le recueil de plaintes avec la formation des agents de police, l’extension du numéro dédié, le 3919, ou encore la création de nouvelles solutions d’hébergements pour les victimes

Mais là aussi, le compte n’y est pas pour certaines associations qui ont pris part au Grenelle. La Fondation des Femmes, qui a participé au Grenelle, reconnaît de bonnes mesures, sa présidente déplore auprès de France Culture le résultat du Grenelle, dont elle fait un “bilan mitigé” et pointe du doigt le manque de moyens. Sandrine Bouchait, présidente de l’Union nationale des familles de féminicide, est encore plus dure et dénonce des mesures qui ne vont pas assez loin, au-delà du problème de manque de moyens. “C’est le grenelle du bullshit”, s’indignait de son côté Anaïs Leleux, militante Nous Toutes.

Le concept de “Grenelle” a depuis été décliné selon les rues où se situent les ministères concernés. Ainsi, le Ségur de la Santé, du nom de l’avenue de Ségur, a occupé, entre mai et juillet 2020 syndicats et collectifs de personnels hospitaliers invités à négocier avec le gouvernement. La crise à l’hôpital, qui couvait depuis plusieurs mois, a été accentuée par la première vague du Covid-19 qui a incité le gouvernement à organiser ce Ségur.

Le Ségur de la Santé, dernier des “Grenelles”

Ces discussions, qui aboutissent notamment sur une augmentation salariale et une amélioration du financement de l’hôpital, n’apaisent pas la colère des soignants, qui dénoncent des mesures qui ne prennent pas en compte la crise structurelle de l’hôpital public. Dans la foulée des conclusions du Ségur, une nouvelle manifestation est organisée, le 14 juillet. Concernant la hausse des salaires annoncés, les manifestants rappellent qu’il ne s’agit que d’un rattrapage du pouvoir d’achat perdu depuis le gel de leur salaire.

Symbole de cette colère, en pleine cérémonie du 14 juillet, un message passe derrière le président : “Macron asphyxie l’hôpital”.

Après la rue de Grenelle, et l’avenue de Ségur, c’est au tour de la place Beauvau d’être mise à l’honneur pour accueillir une grande concertation : en janvier 2021 un "Beauvau de la sécurité" sera organisé pour améliorer les conditions d'exercice de la police et consolider le lien de confiance avec les Français, selon les vœux d’Emmanuel Macron.