"On en garde une trace" : un an après l'attaque d'Annecy, les témoins et intervenants se souviennent
Le 8 juin dernier, dans le parc du Pâquier, qui borde le lac d'Annecy, un homme armé d'un couteau a blessé six personnes, dont quatre enfants, avant d'être interpellé. Un an après, témoins et primo-intervenants se rappellent de cette journée.
Il est 9h40, ce 8 juin 2023, quand la ville d'Annecy bascule dans l'horreur. Ce jour-là, un jeudi, un homme de 31 ans pénètre dans le parc du Pâquier, qui borde le célèbre lac de cette ville de Haute-Savoie. Vêtu de noir, portant un turban et des lunettes de soleil, Abdalmasih H., armé d'un couteau, va blesser six personnes en cinq minutes, dont quatre enfants, âgés de 22 mois à 3 ans.
Interpellé par les forces de l'ordre, le suspect est de nationalité syrienne. Entré en situation régulière sur le territoire français, il avait déposé une demande d'asile dans l'Hexagone en novembre 2022, mais avait obtenu le statut de réfugié en Suède, où il avait vécu dix ans.
"C'est juste inconcevable"
À 9h41, soit quelques secondes après le début de l'attaque, les forces de l'ordre sont prévenues. Et très rapidement, les premiers secours arrivent sur place. Pour France Bleu, la première équipe de soignants du SMUR - composée d'une médecin urgentiste, une infirmière et un ambulancier - est revenue sur les 27 minutes passées sur place, avant de rejoindre l'hôpital.
Marion Lumé, médecin urgentiste, se rappelle que l'intervention était la "première" de la journée. Les premières informations font état d'un homme blessé au couteau, et la médecin "sent la panique" quand elle appelle la régulation. "Je dis au reste de l'équipe avec mes mots bien à moi, ça va être la merde", confie-t-elle.
Le trajet jusqu'au parc dure quatre minutes. Quand l'équipe du SMUR arrive sur les lieux, c'est le chaos. "On descend pour comprendre ce qui se passe, les gens semblent affolés", se remémore Pauline Reymond, l'infirmière de l'équipe. Les soignants découvrent avec effroi que des bébés ont été poignardés.
"Ce sont des enfants de moins de trois ans avec du trauma pénétrant, c'est-à-dire des coups de couteau qui ont été volontairement donnés à plusieurs reprises (...) En tant que maman, c'est juste inconcevable", explique Marion Lumé.
"Ce qui marquera à vie, c'est vraiment l'arrivée dans ce parc, où on tombe sur deux enfants qui sont clairement moribonds. Et nous, on n'est pas un bloc opératoire! On n'est pas chirurgiens! On se sent quand même assez limités et démunis", ajoute la médecin.
"On vit un truc qu'on pensait ne jamais vivre"
Lors de ces premières secondes, l'horreur prend le dessus. "Je sors de mon corps, je vois la scène et je me dis: 'Mais je ne peux pas gérer ça' (...) C'est grâce à mon équipe, je pense, que j'ai réussi à prendre, ce jour-là, les décisions qui ont été prises", confie la médecin.
Passé le choc initial, la formation et les "automatismes" reprennent le dessus, pour sauver des vies. Après 27 minutes de premiers secours, l'équipe repart avec les blessés. Marion Lumé reste hantée par la vision d'un petit garçon "inconscient", "translucide", "vraiment moribond". Dès que les enfants ont été pris en charge par les équipes de l'hôpital, Marion "vacille".
"J'ai perdu pied. Clairement, je n'ai pas honte de le dire. Je n'ai pas pu reprendre le cours de ma journée. Il y a une sidération, il y a une émotion, on vit un truc qu'on pensait ne jamais vivre", confie-t-elle.
Les soignants ne sont pas les seuls à être marqués à vie par cette journée du 8 juin 2023. Dans ou à proximité de ce parc, de nombreuses personnes flânent, font leur jogging, se prélassent. Parmi elles, Maryline, assistante maternelle et réserviste de la gendarmerie, qui passait à vélo avec les trois enfants dont elle avait la garde.
"Une scène de guerre"
"Quand je suis rentré dans le parc, j'ai vu qu'il y avait la poussette avec les deux enfants poignardés. Il y avait la petite et moi, j'étais avec le petit. Leurs vêtements étaient déchirés, il y avait du sang", se souvient-elle pour TF1. L'assistante maternelle entame les premiers secours pour la fillette de 24 mois et son cousin de 22 mois.
"J'ai mes deux mains sur les plaies, je ne peux pas les enlever et à un moment donné, il s'enfonce. Donc, je lui mords à l'intérieur du bras. Et en fait, il rouvre les yeux, il revient un peu à lui. Il a les yeux qui sont attachés aux miens, ils sont vraiment accrochés aux miens. C'est comme s'il m'avait dit que ça allait aller, qu'il était revenu et que c'était bon", se rappelle-t-elle. Après trois jours en réanimation, les enfants sont tirés d'affaire.
Lilian, lui, 19 ans, était également sur place ce jour-là. Il décrit "une scène de guerre". À l'instar de l'homme "au sac à dos", décoré de la Légion d'honneur depuis pour son geste, il tente de mettre en fuite l'assaillant.
"Je lui demande en anglais: 'qu'est-ce que tu fais?', 'Pourquoi tu fais ça?' Je crie, j'ai jamais crié aussi fort. J'essaye de comprendre avec des grands gestes, toujours et dans la communication. Et lui, il dit: 'pour ma fille, pour ma femme'", se rappelle Lilian.
Un an après, le jeune homme reste très affecté. "C'était dur. Il y avait le Lilian avant le 8 juin et le Lilian après le 8 juin (...) On en garde une trace".