Gabriel Attal, Nicole Belloubet : pourquoi ce double langage au ministère de l’Éducation nationale ?

Attal, Belloubet (ici le 14 mars 2024) : ce que veut dire le double langage au ministère de l’Education
GUILLAUME SOUVANT / AFP Attal, Belloubet (ici le 14 mars 2024) : ce que veut dire le double langage au ministère de l’Education

POLITIQUE - Emmanuel Macron en fait « son domaine réservé. » Gabriel Attal a emmené la cause de l’école avec lui à Matignon. Que reste-t-il, alors, pour Nicole Belloubet, la véritable titulaire du ministère de l’Éducation nationale ? La question se pose quelques semaines après son arrivée rue de Grenelle, tant le chef du gouvernement rechigne à lâcher l’affaire.

Sur les groupes de niveau, Benjamin Lucas a posé à Nicole Belloubet une question digne du bac philosophie

Il n’est pas rare, en effet que la juriste, ancienne rectrice (1997-2005), garde des Sceaux sous Édouard Philippe (2017-2020), se retrouve flanquée du Premier ministre lors de déplacement ou de réunion. Le 14 mars dernier par exemple, c’est ensemble qu’ils visitent un collège à Chartres (Eure-et-Loir). Et c’est lui qui s’adresse dans la foulée en visioconférence aux chefs d’établissement, laissant la ministre dans un rôle de spectatrice, ou presque.

Rebelote une semaine plus tard. Nicole Belloubet a pris part, ce jeudi 21 mars, à une réunion sur la sécurisation des établissements scolaires… présidée par Gabriel Attal à Matignon. Un fauteuil, deux ministres. Et deux ministres, deux langages.

« Sur les modalités et l’objectif tout le monde est d’accord »

Dans ce tango, il est effectivement intéressant de noter que Nicole Belloubet se distingue par quelques pas de côté. Après avoir rechigné face aux « groupes de niveau », l’un des totems bousculés par Gabriel Attal quand il était rue de Grenelle, elle lui préfère l’expression « groupe de besoin » et se refuse - avec constance - à prononcer les termes que le locataire de Matignon martèle tout aussi invariablement.

Des différences sémantiques qui cachent des vues idéologiques divergentes ? Voire philosophiques ? Rien de tout cela, à en croire la porte-parole du gouvernement. « Peu importe le nom, sur les modalités et l’objectif tout le monde est d’accord », tranche Prisca Thevenot auprès du HuffPost, en insistant sur « l’importance d’appliquer la politique publique » promise. Ou l’enjeu de « délivrer » les sujets, selon le vocable de la Macronie.

En d’autres termes : ces groupes différenciés en fonction des résultats des élèves doivent être « mis en place pour les jeunes » en mathématiques et en français, pour les élèves en classe de 6e et 5e à la rentrée 2024, et de 4e et 3e un an plus tard, sans « ajouter de la complexité pour les enseignants. » Après, « vous l’appelez comme vous voulez. »

Double langage, double public ?

De fait, le décret qui entérine ce changement ne fait pas mention des « groupes de niveau », si cher à Gabriel Attal. Un premier succès pour l’ancienne élue socialiste ? Pas forcément, tant les différences concrètes entre la version « assouplie » poussée par Nicole Belloubet depuis plusieurs semaines et celle plus offensive de Gabriel Attal sont tenues. Voire introuvables.

« Elle a obtenu une petite victoire puisque l’expression groupe de niveau n’est pas dans le décret », pointe la députée socialiste Fatiha Keloua-Hachi, « mais c’est dérisoire » puisque le texte précise « ce qu’Attal voulait. » À savoir : « Les élèves seront dans leur groupe toute l’année. La souplesse promise ne concerne que 10 semaines maximum, soit la rentrée pour évaluer les gamins et le mois de juin », déplore l’élue spécialiste des questions d’éducation.

En réalité ce double discours - sinon langage - entretenu rue de Grenelle semble construit pour s’adresser à des publics différents. C’est ce que Nicole Belloubet sous-entendait elle-même le 14 mars dernier, en assumant « parler à notre communauté éducative » pour qui « le terme “groupe de besoin” correspond mieux à ces préoccupations » afin de justifier son refus d’obstacle sur les groupes de niveau.

Belloubet, « une perception beaucoup plus fine de l’Éducation »

En creux, l’on comprend assez aisément que l’ancienne rectrice, appelée à la rescousse en février pour remplacer Amélie Oudéa-Castéra, fait ce qu’elle peut pour ne pas braquer les enseignants et les parents d’élèves, massivement hostiles à ces histoires de « groupes », qu’ils dénoncent comme un « tri social. » « Belloubet a pris le ministère dans un moment très tendu, elle ne peut pas faire la moindre faute… Elle marche sur un fil », résume en ce sens un conseiller de l’exécutif, au fait des « nombreuses colères » au ministère.

Pour Fatiha Keloua-Hachi, cette répartition des rôles s’explique aussi par l’ambition du Premier ministre qui s’adresse davantage aux Français qu’au monde enseignant avec sa réforme sur « le choc des savoirs. »

Selon elle, le ministre laisse donc de côté l’expression « groupe de besoin », préférée par les enseignants pour la souplesse qu’elle induit, mais mal comprise dans l’opinion publique, pour lui préférer « groupe de niveau » afin de satisfaire son envie « de marquer le terrain, de passer à la postérité. » Une façon de capitaliser encore sur son court bail rue de Grenelle, un passage marqué par une popularité grandissante acquise sur des sujets prisés par les Français.

En face, Nicole Belloubet « a une perception beaucoup plus fine de l’Éducation nationale que Gabriel Attal », estime la députée de Seine-Saint-Denis. Les mains beaucoup moins libres, aussi. Pas de quoi faciliter le tango.

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