Gérald Darmanin répond à Dominique Simonnot sur les gardes à vue « préventives »

La contrôleuse générale des prisons s’inquiète des interpellations et gardes à vue « préventives » lors des manifestations. Gérald Darmanin balaye les accusations.

POLITIQUE - La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté interpelle à son tour Gérald Darmanin. Dans un courrier adressé au ministre de l’Intérieur, Dominique Simonnot dénonce « des atteintes graves aux droits fondamentaux » par la police lors de gardes à vue de personnes interpellées à Paris dans des manifestations contre la réforme des retraites.

Dans cette lettre datée du 17 avril, Dominique Simonnot brocarde un « recours massif » par les forces de l’ordre à des interpellations et gardes à vue « préventives ». « Certains agents, écrit-elle, avaient eu pour “consignes et ordres hiérarchiques d’interpeller sans distinction” toute personne se trouvant dans un secteur ou un autre de la capitale. »

Dans sa réponse en date du 2 mai Gérald Darmanin fait valoir que la contrôleuse « excède ses compétences, notamment lorsqu’elle dénonce “une instrumentalisation des mesures de garde à vue à des fins répressives” ».

Ce mercredi 3 mai au micro de Franceinfo, Dominique Simonnot a répondu aux critiques de Gérald Darmanin : « C’est de bonne guerre après tout. (...) Mais c’est quoi notre travail sinon d’aller vérifier sur place que les droits des gens sont respectés, on est exactement dans notre rôle ? »

Egalement invité de Franceinfo, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a de son côté affirmé « que toutes nos actions s’effectuent dans le cadre républicain ». « Je voudrais apporter tout mon soutien aux forces de l’ordre qui sont attaquées, harcelées, agressées en permanence » par des « personnes qui viennent pour casser », a-t-il ajouté.

Interpellations « préventives » et « arbitraires »

Dès le début de la contestation de la réforme des retraites, associations, partis politiques, magistrats et avocats ont dénoncé des « interpellations préventives » et « arbitraires » lors des manifestations. Le 21 mars dernier, la Défenseure des droits Claire Hédon s’était elle aussi alarmée de ces interpellations.

À plusieurs reprises, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez s’est inscrit en faux contre ces accusations. Sur CNews ce mercredi, il insiste : « Je ne passe aucune instruction de procéder à des interpellations préventives. Je me sens un peu insulté, offensé quand j’entends dire ça. Moi ce que je demande aux fonctionnaires de police, c’est d’interpeller les individus qui commettent ces infractions et uniquement ces infractions. »

Au regard des « très nombreuses interpellations », Dominique Simonnot explique dans son rapport avoir « diligenté en urgence des visites dans certains locaux de gardes à vue de Paris ». C’est ainsi que « les 24 et 25 mars, trois équipes de contrôleurs ont visité neuf commissariats parisiens pour contrôler les conditions de prises en charge des personnes interpellées » et « s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux ».

La conclusion de ces contrôles est accablante, Dominique Simonnot faisant état « d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes enfermées ». D’une part « en raison des conditions matérielles de prise en charge dans certains locaux » et d’autre part du fait « du nombre important de procédures conduites en méconnaissance des normes et principes qui régissent la procédure de garde à vue, voire, dans certaines situations, en violation des textes applicables ».

80 % des procédures classées sans suite

Elle dénonce ainsi des « irrégularités dans les documents relatifs à l’interpellation et l’indigence des éléments permettant de caractériser l’infraction ou la tentative d’infraction en cause ». « Ces carences, affectant les documents de procédure, ajoute-t-elle, sont particulièrement alarmantes. »

La contrôleuse note en outre qu’alors que « 80 % des procédures sont classées sans suite une fois opéré le contrôle de l’autorité judiciaire, la minorité des personnes déférées (...) quitte le tribunal libre ». « Étrangement, le CGLPL se fonde pour cela sur l’unique référence à des données chiffrées relatives à la période du 16 mars à la nuit du 22 au 23 mars », réplique le ministre.

Ce dernier conteste également le raisonnement de Dominique Simonnot en faisant valoir que la recherche de preuves pour établir la responsabilité individuelle lors de « scènes collectives de violence » est « souvent entravée par les mis en cause rompus aux techniques d’enquête ». Pour lui, le fait que l’autorité judiciaire considère ensuite les infractions « comme insuffisamment caractérisées » ne signifie « nullement une absence d’infraction initiale ».

« Instrumentalisation des mesures de gardes à vue »

Dans certaines situations, « rien ne permet d’établir que le [comportement des gardés à vue] aurait justifié une intervention des forces de l’ordre » estime aussi la contrôleuse générale des prisons. Une conclusion irrecevable pour le ministre : les gardés à vue « contest(ent) les infractions mentionnées sur les fiches d’interpellation », mais c’est « doute l’affirmation de la plupart des personnes mises en cause pour n’importe quelle infraction », souligne-t-il.

Dominique Simonnot considère ainsi que les « instructions données par la préfecture de police et le parquet de Paris notamment (...) révèlent un recours massif, à titre préventif, à la privation de liberté à des fins de maintien de l’ordre public ».

Pour la contrôleuse générale, « cette approche du maintien de l’ordre révèle non seulement une instrumentalisation des mesures de gardes à vue à des fins répressives mais également un dévoiement du rôle de l’autorité judiciaire dont le rôle (...) n’est pas de garantir la sécurité juridique des mesures de police, a fortiori lorsqu’elles sont sciemment prises en méconnaissance de la loi ».

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