En Géorgie, pourquoi la contestation face à cette « loi russe » ne cesse de monter depuis le 9 avril

GÉORGIE - La Géorgie, petit pays de 3,7 millions d’habitants dont 80 % de la population est favorable à l’intégration européenne vit des journées et soirées agitées depuis le 9 avril. La fronde quotidienne menée par des dizaines de milliers de citoyens dans les rues prend de l’ampleur face à un texte comparé à une « loi russe ».

Des troubles - dont Le HuffPost fait le point ci-dessous - qui surviennent à quelques mois d’élections législatives, en octobre, considérées comme un test important pour la démocratie dans cette ex-république soviétique habituée aux crises politiques. En décembre dernier, l’UE avait aussi accordé à la Géorgie le statut de candidat officiel, mais lui enjoignant de mener des réformes, tendre vers une plus grande liberté de la presse et limiter le pouvoir des oligarques.

• Quelle est cette « loi russe » qui mobilise les Géorgiens ?

Depuis un peu plus de trois semaines, le peuple géorgien se mobilise contre un texte sur l’« influence étrangère », comparé à une « loi russe » répressive sur les « agents de l’étranger » et vu comme un obstacle aux ambitions européennes du pays du Caucase. Si le projet de loi est voté, les organisations qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l’étranger seront obligées de s’enregistrer en tant qu’« organisations poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère », sous peine d’amendes.

En Russie, une loi similaire est utilisée par le Kremlin depuis 2014 pour persécuter les voix dissidentes, les ONG et les médias indépendants. Celle-ci a notamment permis en quelques années de faire taire l’opposition à Vladimir Poutine.

Le gouvernement, mené par le parti au pouvoir - le Rêve géorgien - dont le président est le milliardaire Bidzina Ivanichvili, considéré comme l’homme fort de la Géorgie, assure lui que cette mesure est destinée à obliger les organisations à faire preuve de davantage de « transparence » sur leurs financements. En filigrane, il faut y voir là une volonté du Rêve géorgien, prorusse, de faire un peu plus le jeu de Moscou, alors que la Russie étend peu à peu son emprise sur son petit voisin. Depuis l’invasion de l’Ukraine, le Kremlin recourt ainsi à tous les moyens pour empêcher l’ex-république soviétique de se rapprocher de l’UE, comme le développe Le Monde dans cette enquête.

• Comment s’organise la fronde ?

Les rassemblements devant le Parlement dans la capitale, Tbilissi (1,1 million d’habitants), sont nombreux depuis le 9 avril ; ils sont désormais quotidiens et massifs. Le 28 avril, environ vingt mille personnes avaient par exemple participé à une « marche pour l’Europe » dans la ville.

Des manifestants brandissant des drapeaux de la Géorgie alors qu’ils protestent devant le Parlement lors d’un rassemblement contre un projet de loi controversé sur « l’influence étrangère », qui, selon Bruxelles, porterait atteinte aux aspirations européennes du pays, à Tbilissi, le 1er mai 2024.
GIORGI ARJEVANIDZE / AFP Des manifestants brandissant des drapeaux de la Géorgie alors qu’ils protestent devant le Parlement lors d’un rassemblement contre un projet de loi controversé sur « l’influence étrangère », qui, selon Bruxelles, porterait atteinte aux aspirations européennes du pays, à Tbilissi, le 1er mai 2024.

Les contestataires qui se comptent en dizaines de millier chaque soir brandissent des centaines de drapeaux du pays et de l’Union européenne. Comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous, l’hymne officielle de l’UE, l’Ode à la joie, est devenue l’un des marqueurs sonores de ces manifestations.

Si ces protestations se veulent avant tout pacifiques, certains éléments tentent le passage à l’action comme mercredi 1er mai quand un petit groupe a tenté de bloquer une entrée latérale du Parlement, tel qu’on le voit dans la vidéo en tête d’article.

Le mouvement s’est aussi étendu à d’autres endroits du pays avec des rassemblements similaires cette semaine, notamment à Batoumi, la deuxième ville de Géorgie, et à Koutaïssi, la principale ville de la région occidentale d’Imereti.

• Comment répondent les forces de l’ordre ?

La police, qui avait dispersé les manifestants à coups de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc mardi 30 avril, en a délogé certains le lendemain soir avec du gaz poivre et des canons à eau. Une soixantaine de manifestants ont été arrêtés mercredi.

Les forces de l’ordre n’hésitent pas non plus à s’en prendre à des journalistes ou même des députés. Levan Khabeichvili, président du Mouvement national uni de l’ex-président emprisonné Mikheïl Saakachvili, principal parti d’opposition, a ainsi été violemment battu et a dû recevoir des soins cette semaine. Il est ensuite apparu en séance au Parlement le visage marqué par les coups, portant un masque de protection. « Regardez-moi ! Ce que vous voyez, ces traces sur mon corps, ce sont les traces de la Russie », a-t-il clamé mercredi devant ses homologues.

• Comment tente de contre-attaquer le parti au pouvoir ?

Les soutiens au projet de loi existent au sein de la population. Lundi 29 avril, des milliers de personnes ont ainsi rejoint un rassemblement organisé devant le Parlement par le Rêve géorgien. Mais il est apparu que de nombreux manifestants, dont des fonctionnaires, avaient été transportés sur place afin d’y participer.

• Quel avenir pour le mouvement de contestation ?

En deuxième lecture mercredi 1er mai, les députés ont voté à 83 pour et 23 contre le texte que le Rêve géorgien compte adopter définitivement d’ici mi-mai. Il doit encore passer une troisième lecture, alors que la présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, devrait y opposer son veto, elle qui reste en conflit avec le parti au pouvoir. Ce dernier dispose cependant d’assez de voix pour pouvoir passer outre.

Les rassemblements pourraient donc logiquement se poursuivre dans le pays et gagnaient en intensité à l’approche du vote définitif du texte. « Leur violence insensée est futile. La manifestation ne fera que s’amplifier car la colère populaire grandit contre notre gouvernement », prédit l’un des manifestants interrogé par l’AFP mercredi soir.

L’année dernière, une première version du texte avait été abandonnée après des manifestations de rue d’ampleur. L’avenir nous dira si le scénario se répétera cette année.

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