Génocide, crime de guerre, crime contre l'humanité: en Ukraine, de quoi parle-t-on?

Des enquêteurs français arrivent à Boutcha pour enquêter sur les crimes de guerre. (Photo: Valentyn Ogirenko via Reuters)
Des enquêteurs français arrivent à Boutcha pour enquêter sur les crimes de guerre. (Photo: Valentyn Ogirenko via Reuters)

Des enquêteurs français arrivent à Boutcha pour enquêter sur les crimes de guerre. (Photo: Valentyn Ogirenko via Reuters)

UKRAINE - “L’Ukraine est une scène de crime.” En visite à Boutcha, où des centaines de civils ont été retrouvés morts, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) Karim Khan a dit ce mercredi 13 avril avoir “de bonnes raisons de penser que des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis” en Ukraine.

Mais de quels crimes parle-t-on? Pour le président américain, c’est un génocide. “Il est de plus en plus clair que Poutine essaie simplement d’effacer l’idée même de pouvoir être un Ukrainien”, a-t-il jugé mardi.

Interrogé un peu plus tard sur cette sortie, Emmanuel Macron a mis en garde contre l’“escalade des mots”, qui serait contre-productive pour négocier et obtenir la paix. Le président français a en revanche parlé de “crime de guerre”. Vendredi, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian dénonçait de son côté des “crimes contre l’humanité”.

Point commun entre ces termes: ils peuvent tous être jugés par la CPI, qui s’occupe des crimes “les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale”, et sont imprescriptibles. Mais quelles sont les différences? Le Huffpost fait le point.

Le terme de génocide, mot employé par Joe Biden (mais aussi par Volodymyr Zelensly, le président ukrainien), a été utilisé pour la première fois en 1944 par l’avocat polonais Raphaël Lemkin pour qualifier l’élimination des Juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a ensuite été entériné en 1948 dans la Convention sur le génocide puis dans le statut de Rome, traité qui crée la Cour pénale internationale en 1998.

Le génocide est défini comme un crime “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux”. L’intentionnalité, élément psychologique, s’ajoute aux éléments matériels:

  • “Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

  • Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

  • Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

  • Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.”

Un génocide n’est pas forcément commis en temps de guerre, précise l’ONU.

La qualification de génocide est cependant difficile à établir, notamment la volonté délibérée d’éliminer un peuple. Le terme est aussi en débat dans de nombreux cas, souvent pour des raisons politiques. Certains pays reconnaissent par exemple le génocide des Arméniens par l’Empire Ottoman en 1915 et 1916 comme la France ou l’Uruguay, mais pas la Turquie.

Des condamnations pour crime de génocide ont été rendues après celui des Tutsis par les Hutus en 1994 dans le cadre du Tribunal pénal international pour le Rwanda, ainsi que celui de Srebrenica, en Bosnie en 1995, avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Outre ces tribunaux ad hoc, les tribunaux nationaux et maintenant la CPI sont aussi compétents pour juger les génocides.

Les crimes de guerre, terme utilisé par Emmanuel Macron, sont “des violations du droit international humanitaire (traité ou droit coutumier). (...) À l’inverse des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, les crimes de guerre ont toujours lieu lors d’un conflit armé, international ou non”, définit l’ONU.

Le statut de Rome de 1998 liste des dizaines d’exemples de ce qui peut constituer un crime de guerre: l’homicide intentionnel, la torture, la destruction et l’appropriation de biens, la déportation, la prise d’otages, l’attaque ou le bombardement des lieux non défendus ou qui ne sont pas militaires...

Avec la CPI, les tribunaux nationaux peuvent juger les criminels de guerre. La procureure générale d’Ukraine Iryna Venediktova a d’ailleurs indiqué avoir ouvert plus de 5600 enquêtes pour crimes de guerre russes sur son sol.

Selon l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter, les crimes commis en Ukraine sont des crimes de guerre, “aucun doute là-dessus”, a-t-il estimé sur Franceinfo. “On ne massacre pas des civils, on ne bombarde pas des hôpitaux sans qu’on commette des crimes de guerre”, dénonce-t-il.

Le crime contre l’humanité enfin est le terme utilisé par Jean-Yves Le Drian après l’attaque sur la gare de Kramatorsk, ainsi que par l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ce mercredi 13 avril.

C’est le seul terme qui n’est pas défini dans le cadre d’un traité spécifique. La CPI donne tout de même une définition puisqu’elle a la compétence pour les juger: le crime contre l’humanité est “commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque”. Cela concerne par exemple l’extermination, l’esclavage, la déportation forcée, le viol, la torture...

L’ONU donne deux points pour le différencier du génocide. Premièrement, les crimes contre l’humanité ne visent pas forcément une population en particulier mais peuvent cibler tous les civils, peu importe leur identité. Deuxièmement, le crime de guerre ne suppose pas une intention spécifique, dans le but d’atteindre un objectif. “Il suffit qu’il y ait eu une simple intention de commettre l’un des actes énumérés”, indique l’institution.

Contrairement au crime de guerre, le crime contre l’humanité ne se déroule pas nécessairement en temps de guerre mais les deux peuvent coexister.

La CPI peut juger les crimes contre l’humanité, tout comme les États qui ont inscrit ce crime dans leur droit pénal.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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