Forme des lettres, tracé, syntaxe... Comment identifier les auteurs de courriers anonymes?

"Je vous ferez votre peau (sic)", tonnait en 1983 le corbeau de la Vologne menaçant les époux Villemin. Un an plus tard, le 16 octobre 1984, leur fils Grégory était assassiné sans qu’aucun auteur n’ait, à ce jour, été identifié. Depuis plus de trois décennies, les enquêteurs tentent de mettre un nom sur la ou les mains qui ont rédigé ces écrits, dont l'un revendique le meurtre du petit garçon de 4 ans.

Vainement, les experts ont comparé les espacements des lettres, la syntaxe, la ponctuation ou encore les habitudes graphiques sur plus de 20 lettres.

"Le diable se cache dans les détails", nous glisse Christine Navarro.

Cette spécialiste passe au crible depuis plus de 22 ans des courriers anonymes afin de remonter jusqu’aux corbeaux malveillants. Experte en documents et écritures près la cour d’appel de Paris, agréée par la cour de cassation, elle réalise, dans le cadre d’enquêtes criminelles, des "examens intrinsèques" de ces obscurs pamphlets.

La vengeance comme principale motivation

"Généralement, les corbeaux sont des gens frustrés qui veulent se venger de quelque chose", estime Christine Navarro. "On a aussi des obsédés sexuels ou encore des gens qui s’adressent eux-mêmes des lettres pour se faire passer pour victime et attirer l’attention."

Dernièrement, ce sont des personnalités politiques qui ont fait l’objet de ce type d’envois. Ce lundi, Yaël Braun-Pivet a publié une photo d'un courrier anonyme reçu au siège de sa permanence, sur lequel une étoile jaune a été dessinée. Ce n'est pas la première fois que la présidente de l'Assemblée nationale est la cible de lettres de menaces et d'insultes teintées d'antisémitisme.

Fin mars, l’ancien Premier ministre et actuel maire du Havre, Edouard Philippe, avait déposé plainte après avoir reçu une lettre contenant de la poudre et comportant l'inscription "Allah-Akbar", avec des menaces de mort.

Afin de préserver au maximum les éléments de preuves que ces courriers peuvent contenir - empreintes digitales, ADN, etc. - les autorités recommandent aux victimes de "les manipuler avec précaution, le moins possible et avec des gants" avant de les remettre aux enquêteurs.

"Les lettres doivent toujours être conservées avec les enveloppes. S'il y a des photographies, un support magnétique ou autre à l'intérieur, ils ne doivent pas être détruits, même s'ils peuvent déranger la ou les personne(s) concernée(s)", est-il conseillé.

Identifier les "modes de déguisement"

Le document litigieux est ensuite soumis à des experts qui tentent de déterminer le nombre d’auteurs, d'établir un profil, et de percer les "modes de déguisement". "On recherche si le corbeau a modifié la forme de son écriture. Pour brouiller les pistes, certains écrivent en majuscules, utilisent une écriture scolaire, changent l’axe des lettres, écrivent en attaché alors que leur écriture classique est en lettres détachées…", énumère Christine Navarro.

"Ils peuvent également écrire avec leur main gauche s’ils sont droitiers, et inversement. On regarde donc si le tracé est maladroit, brouillon. Mais ça peut aussi être un mode de déguisement pour nous induire en erreur", prévient-elle.

"Globalement, les corbeaux ne font, malgré tout, pas vraiment preuve d’imagination pour brouiller les pistes", sourit l’experte, concédant garder secrètes les techniques les plus "inventives" pour ne pas nuire aux enquêtes. "La plupart du temps, les corbeaux font des erreurs sur des caractéristiques d’écriture dont ils n’ont pas conscience et qu’ils ne pensent pas à modifier. C’est ce qui nous permet de les identifier."

Impairs inconscients

D'autres sont rattrapés par les révélations qu'ils font dans leurs courriers. C'est le cas dans l'affaire dite du "tueur de l'Essonne", se souvient Christine Navarro. En 2012, Yoni Palmier est interpellé pour les meurtres de deux femmes et deux hommes avec un pistolet semi-automatique. Mais durant sa détention provisoire, une lettre anonyme sème le trouble et innocente le mis en cause sur deux des crimes. Piste sérieuse ou manipulation du "tueur de l'Essonne"?

"Il donnait des détails sur les meurtres que personne ne pouvait connaître et il avait imité l'écriture de sa petite amie de l'époque", souligne Christine Navarro qui a ainsi pu conclure que le suspect avait lui-même écrit la lettre le disculpant.

Yoni Palmier a finalement été reconnu coupable des quatre meurtres et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Aussi scrupuleux et inventifs que puissent être les faussaires, ils finissent toujours par commettre des impairs sur le papier.

Des écarts qui se payent aussi sur le plan juridique. Les menaces de morts entraînent une peine pouvant aller jusqu'à 3 ans d'emprisonnement, tandis que les dénonciations calomnieuses peuvent grimper jusqu'à 5 ans de prison.

Article original publié sur BFMTV.com