"Foon", la parodie de "Grease" en franglais qui aurait pu devenir culte

Sorti dans l’indifférence générale le même jour que Harry Potter et la coupe de feu, Foon (2005) est un des secrets les mieux gardés de la comédie française. Cette hilarante parodie de teen movies intégralement jouée en franglais, qui figure parmi les films préférés de Francis Ford Coppola et de Marion Cotillard, est l’unique film joué, écrit et réalisé par Les Quiches.

Peu connue du grand public, cette troupe comique composée d’Alexandre Brik, Morgan Perez, Vanessa Pivain, Benoît Pétré, Aurélie Saada, Deborah Saïag, Mika Tard et Isabelle Vitari partage avec Les Nuls et les Robins des Bois un amour pour la comédie décalée et absurde. "On a choisi ce nom parce qu'on était des quiches! C'était pour montrer qu’on ne se prenait pas au sérieux", raconte Isabelle Vitari, vue depuis dans Nos chers voisins.

Difficile à résumer tant elle est foisonnante, l’intrigue de Foon se déroule dans un lycée de la banlieue ouest de Philadelfoon, où une règle a été instaurée "a long time ago" par la directrice Miss Smokingkills: le pouvoir appartient aux élèves rebelles, les Foon, tandis que les autres, les Pas Foon, subissent leur courroux. Un jour, le pouvoir change de main...

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Concentré de gags, de jeux de mots outranciers et d’inventions visuelles, Foon ne laisse personne indifférent, prévient Benoît Pétré, devenu réalisateur de clips d’artistes en vogue (Dommage de Bigflo et Oli, La Même de Gims et Vianney, Réfléchir de Wejdene): "Foon, soit tu rentres à fond dans le délire, soit c’est l’aversion totale." "On avait 25 ans. On n’avait peur de rien", note encore Aurélie Saada, désormais ex-moitié du groupe Brigitte. "On fonçait tête baissée. Je pense que maintenant on ne ferait plus ça."

Les successeurs du Splendid et des Monty Python?

Foon est l’adaptation de Grease Side Story, court-métrage parodique des Quiches primé au festival Jemmapes à Paris. En le découvrant, le producteur Louis Becker (Un Indien dans la ville), président du jury du festival, est séduit par leur audace. Il voit en eux les successeurs du Splendid et des Monty Python. "Je les trouvais vraiment nouveaux et modernes dans leur façon désinvolte de faire les choses. J’étais guidé par l’envie de déconner." Il les contacte aussitôt et leur propose de produire leur premier film: "On pensait qu’on allait avoir de l’argent pour faire un vrai court-métrage et il nous propose d’écrire un long-métrage!", se souvient Aurélie Saada. "On a été sous le choc!" Le choc est tel que la troupe met un mois à rappeler le producteur.

Le sujet du film s’impose naturellement: "On s’est dit que le truc le plus farfelu et qui nous ressemblait le plus, c’était certainement de développer ce court-métrage Grease Side Story. C'était totalement absurde, avec des personnages hauts en couleur. C’était tout ce qui nous plaisait", ajoute Vanessa Pivain. Louis Becker leur offre carte blanche. Déborah Saïag salue son courage: "Il a été complètement fou de croire en nous de cette façon. C'est un pirate!" Louis Becker n’est pas le seul à avoir repéré à l’époque le potentiel de la troupe. Sur le tournage, la productrice associée Virginie de Clausade contactera Harvey Weinstein - qu'elle "connaissait très bien", précise Louis Becker - pour lui proposer "de mettre de l’argent dans Foon": "Heureusement, il a refusé."

Des références impossibles à repérer

L’écriture à huit se déroule dans une atmosphère de folie, où chacun rebondit sur la fantaisie des autres. "On a fait partir notre imaginaire dans tous les sens, en essayant de mettre le maximum de références qui ont marqué notre enfance: Grease, Scream, Carrie, les films de John Waters...", détaille Mika Tard Rien que le mot "Foon" est un millefeuille de références: contraction des mots fun et cool, c’est aussi un clin d’œil à la secte japonaise Moon - doublé d’un jeu de mots grivois.

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"On pensait que les gens allaient comprendre les références et allaient rire, mais en fait ils n’ont rien compris. Certaines sont impossibles à repérer!", rigole Benoît Pétré. "Il y en a une dont on est très fier, sur Bibifoc, un dessin animé de notre enfance sur un bébé phoque vivant sur la banquise", déclare Isabelle Vitari. "Dans les toilettes, les Foon essayent de saouler Maria et il y a plein de bip parce qu’il y a plein de gros mots. On a mis plein de bip et à la fin, elles disent 'fuuuck' et ça fait le générique de Bibifoc! Moi, ça me fait encore rire. Rien que pour ça, ça valait le coup!"

Elephant (2003), film choc de Gus Van Sant sur la fusillade de l'école Columbine aux Etats-Unis en 1999, et Battle Royale (2002), satire de Kinji Fukasaku sur des lycéens rebelles contraints par le gouvernement japonais de s’entretuer, nourrissent aussi Foon. Après un début parodique, le film bascule dans un récit plus cauchemardesque, qui se conclut avec la mort de tous les personnages. "Au-delà de la parodie, on voulait parler de l’idée de la guerre de tous contre tous. Il y a une vraie dimension politique, même si on l’a fait de manière ludique", complète Déborah Saïag. "On a vachement conçu Foon d'après nos vies, ce qu'on a vu dans les écoles, dans les groupes, quand il y avait des conflits", explique Mika Tard.

"I will shit it and récupère it tomorrow"

L’idée de faire un film en franglais vient naturellement. "On pensait que c’était un truc qui ne s’était jamais fait - et pour cause", s’étrangle de rire Benoît Pétré. L’idée est en tout cas géniale: les répliques mêlant phrases anglaises et idiomes français sonnent comme des dialogues des Schtroumpfs et donnent des perles comme "I will shit it and récupère it tomorrow" ou "Go devant on s’en occupe".

L’idée d’un film en anglais, avec des sous-titres incohérents, n’est pas retenue pour des questions de production: "Il faut 51% de français pour espérer avoir un financement du CNC", explique Louis Becker, qui appuie l’idée du franglais en souvenir d’une savoureuse anecdote sur Georges Descrières. Le célèbre interprète cathodique d’Arsène Lupin avait un jour lancé à une hôtesse de l’air: "I am Georges Descrières of la Comédie-Française and I've never been traité de la sorte."

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"Chiant à écrire", le franglais "se fait beaucoup à l’oreille", précise Morgan Pérez: "Il faut trouver le bon équilibre entre français et anglais." "Il fallait que ça sonne bien. On essayait plusieurs tournures et on choisissait celle qui sonnait le mieux", ajoute Isabelle Vitari. "C'était aussi important que l’on comprenne bien les répliques même si on ne parle pas anglais", complète Vanessa Pivain. Pour Mika Tard et Déborah Saïag, le franglais était aussi un commentaire sur l’américanisation du cinéma: "On voulait vraiment dire qu’on était complètement influencé en France par le cinéma américain."

"On a choisi de tuer tout le monde"

Avec un budget d'à peine 600.000 euros, pas facile de reconstituer la Californie en France. Les Quiches dégotent à Cherbourg un hôpital militaire transformé en école de cinéma, l'EICAR. Le lieu, avec son allée de palmiers, a des faux airs de Beverly Hills. Les Quiches sont aidés par les étudiants de l’école, appelés à renforcer l’équipe technique et à faire les figurants.

"On a tous appris notre métier sur ce tournage", salue Benoît Pétré. "Tout le monde était très dévoué. L'équipe a été en osmose avec notre délire. On avait une espèce d’émulation de groupe." "Le scénario avait emballé tout le monde, même l’équipe technique. Ils ont accepté de travailler à moitié prix", ajoute Déborah Saïag. Quelques stars amies (Ludivine Saignier, Thierry Lhermitte, Michel Fau) font aussi une apparition. Tout comme Denis Ménochet, vu depuis dans Inglourious Basterds et Jusqu’à la garde, qui s'occupe aussi du making-of de Foon.

Le tournage n’est pas facile pour les cinéastes en herbe, qui manifestent au grand dam de Louis Becker des signes de fatigue à l’approche de la fin: "Ils n’arrivaient pas à faire la fin. A un moment donné, j’en ai eu marre, je voulais terminer et ils ont fait une fin qui n'était pas complètement maîtrisée. Tout le monde meurt, mais c’est mal mis en scène, pas anticipé! C’est dommage, parce que ça discrédite tout ce qu’il y avait de frais et de marrant dans le film." "On avait lu des manuels de scénariste", rétorque Benoît Pétré. "Ils disaient qu’il ne fallait surtout pas tuer tous les protagonistes à la fin. Or on avait ce problème: on n’avait pas de fin. Donc on a choisi de tuer tout le monde."

Le montage nécessite aussi pas mal de travail, l’humour des Quiches n’étant pas à la portée de tout le monde: "Les premiers monteurs n’avaient pas compris le film", raconte Benoît Pétré. "lls avaient ajouté une espèce de bruitage: dès qu’on faisait une vanne il y avait un klaxon." "C’était un humour tellement spécial qu’il fallait qu’on le reprenne en main", ajoute Isabelle Vitari. "On avait une idée très précise. Si tu ne faisais pas partie des huit, tu ne pouvais pas comprendre." Quand Louis Becker découvre Foon, il lance: "à l’entrée, il faudra donner un pétard avec le billet pour rentrer dans l’univers!"

Des critiques d’une "violence sans nom"

Il aurait dû mettre son plan à exécution. Sorti une semaine après Palais Royal de Valérie Lemercier et le même jour que Harry Potter, Foon attire seulement 50.000 curieux. "On avait conscience que ça n’allait pas plaire à tout le monde, mais à ce point…", glisse Isabelle Vitari. Selon elle, ils payent leur absence de notoriété: "Les gens ne connaissaient pas notre univers. Ils ne savaient pas qu’ils allaient voir un film si absurde. Ils n’avaient pas les clefs de notre humour." Les jours suivants sont difficiles à vivre, se souvient Morgan Pérez: "Pendant un temps, on nous disait même qu’il ne fallait pas mettre Foon sur notre CV!"

Le distributeur, Pyramides, habitué au cinéma d'auteur, avait tenté de faire un coup et de positionner Foon comme un petit blockbuster, avec plus de 150 copies. "C’était une erreur. C’était trop important", estime Mika Tard. "Il aurait été préférable de le sortir de manière plus indépendante, de laisser le film à sa place", ajoute Morgan Pérez. La presse se montre sans pitié, d’une "violence sans nom" presque étonnante compte tenu de la modestie du projet, ajoute-t-il: "On peut reprocher au film une facture un peu approximative, mais les gens qui ont critiqué le film se sont complètement plantés sur nos intentions."

L’échec de Foon porte un coup au moral des Quiches. A l'approche de la sortie, la légèreté de la troupe s'était déjà envolée face aux considérations marketing. "On prenait les choses un peu trop au sérieux. On ne s’était jamais disputé, et là on commençait à ne plus être d’accord", regrette Aurélie Saada. Ils écrivent plusieurs scénarios, dont une parodie de film d’horreur intitulée Le Chalet, sur la vengeance d’une femme aveugle, qui finissent tous dans un tiroir. Les Quiches sont prolifiques, mais "trop dilettantes", estime Louis Becker: "Ils avaient un sujet et puis le lendemain un autre. J'ai financé deux scénarios."

Ils collaborent ensuite brièvement avec Thomas Langmann. Sans succès. La troupe se délite et se consacre désormais à des projets en solo. Certains sont passés à la réalisation, comme Benoît Pétré, d'autres à la chanson, comme Aurélie Saada, ou à l'écriture, comme Mika Tard et Déborah Saïag, qui se sont lancées récemment dans une carrière d'autrices avec le roman Ta main sur ma bouche.

Les Quiches restent très fiers de Foon et continuent de se voir. Ils rêvent de tourner à nouveau ensemble: "On a envie de retrouver cette énergie. On y arrivera un jour!" Le public pourrait être au rendez-vous. Depuis dix ans, Foon a tout de même une petite notoriété: "On commence à nous reconnaître dans la rue et dans les concerts d'Aurélie, il y avait toujours quelqu’un avec une pancarte Cindy Pam!" Une idée a été lancée: le retour des personnages de Foon, mais cette fois sous forme de zombies...

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Article original publié sur BFMTV.com