La folle histoire d'"Everything Everywhere All at Once", phénomène du web devenu favori des Oscars

Michelle Yeoh dans
Michelle Yeoh dans

Véritable phénomène de société aux Etats-Unis, la comédie de science-fiction Everything Everywhere All at Once (EEAAO, disponible sur la plateforme OCS) s'apprête à entrer ce dimanche dans l'histoire du cinéma. Nommé à onze reprises lors de la 95e cérémonie des Oscars, ce film indépendant sorti de nulle part, produit avec 25 millions de dollars, et qui en a rapporté plus de 107, s'apprête à tout rafler.

Le triomphe annoncé de ce film, qui conte les mésaventures d'une propriétaire de laverie (Michelle Yeoh) soudainement plongée dans des univers parallèles, est un beau symbole. Il y a pile un an, le 11 mars 2022, ses réalisateurs, les Daniels - Daniel Kwan et Daniel Scheinert - le présentaient en avant-première au festival SXSW à Austin au Texas. Personne, alors, n'aurait pu prévoir un tel succès.

"Un classique instantané"

Diffusée pour la première fois le 14 décembre 2021, juste avant la sortie de Spider-Man: No Way Home, un autre film consacré aux multivers, la première bande-annonce d'Everything Everywhere All at Once avait été vivement saluée. Mais son succès viral (plus de vingt millions de vues en quelques jours) ne lui avait pas permis de s'imposer dans les listes des films de 2022 les plus attendus de la presse américaine.

Il faut dire qu'EEAAO ne ressemble à aucune autre production hollywoodienne. Et que son ton atypique, qui le rend si inclassable, en a dérouté plus d'un. L'engouement autour du film a réellement démarré à sa sortie américaine, le 25 mars 2022. La presse salue alors "un classique instantané" et se met à décortiquer chaque aspect du film.

Everything Everywhere All at Once commence à quitter la bulle des réseaux sociaux pour toucher un large public, séduit par ce spectacle jouissif, comme Marvel n'en propose plus. Depuis, l'emballement médiatique et public autour de ce film encensé par Guillermo del Toro et Edgar Wright n'est jamais retombé.

"Le film n'a cessé de gagner des fans au cours du printemps et de l'été 2022", a expliqué récemment le critique Bilge Ebiri dans le magazine New York. "Le bouche à oreille a transformé ce film indépendant en phénomène de société à une époque où ce type de miracle n'est plus censé se produire."

Une histoire de come-back

Comme Parasite avant lui, EEAAO devrait rafler l'essentiel des Oscars pour lesquels il est nommé. Après avoir décroché les prix des principaux syndicats de l'industrie, sa victoire dans les catégories du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur second rôle masculin, du meilleur scénario original et du meilleur montage ne fait plus aucun doute, portée par un storytelling bien huilé.

Michelle Yeoh, une légende du cinéma hongkongais qui n'avait pas réussi à percer à Hollywood malgré des rôles remarqués dans un James Bond et Tigre et Dragon, s'est imposée dans la campagne des Oscars face à Cate Blanchett, pourtant unanimement saluée pour sa prestation dans Tar. Michelle Yeoh a désormais toutes ses chances de l'emporter face à l'actrice australienne.

Son partenaire à l'écran, Ke Huy Quan, un enfant star des années 1980, connu pour ses rôles dans Indiana Jones et le temple maudit et Les Goonies, a réalisé le come-back de la décennie. Il coiffe au poteau Brendan Fraser, lui aussi revenu des limbes de Hollywood avec The Whale, drame de Darren Aronofsky où il incarne un homme atteint d'obésité morbide. Sa bonhomie et ses discours sur le racisme anti-asiatique de cinéma ont fait mouche.

Cette belle histoire ne s'arrête pas là. Jamie Lee Curtis a elle aussi décroché la timbale. Fille de deux légendes de Hollywood, Tony Curtis et Janet Leigh, l'ancienne "scream queen" des années 1980, dont l'heure de gloire s'est arrêtée depuis les succès d'Un poisson nommé Wanda, True Lies ou Freaky Friday, a décroché grâce à Everything Everywhere All At Once sa première nomination aux Oscars.

Everything Everywhere All At Once marque aussi le triomphe d'un duo inventif, les Daniels, qui devraient emporter l'Oscar du meilleur réalisateur, devant Steven Spielberg (nommé pour The Fabelmans). Ces touche-à-tout se sont faits repérer en signant le clip de Turn Down for What de DJ Snake (1,1 milliard de vues sur YouTube) et un film avec Daniel Radcliffe en cadavre prouteur (Swiss Army Man en 2016).

Le film parfait pour les Oscars?

Le destin d'Everything Everywhere All at Once est d'autant plus fabuleux que sur le papier, il n'a rien du favori des Oscars. Au premier abord, il est même tout l'inverse: un film foutraque, pastichant des dizaines de genres cinématographiques, où l'on retrouve un combat de kung fu avec des plugs anaux, une romance entre deux femmes aux "doigts saucisses" et des cailloux mélancoliques.

A y regarder de plus près, il a pourtant tout du film parfait des Oscars. Comme beaucoup de films multi-primés (The Artist, Le Discours d'un roi), EEAAO rend hommage à la puissance du cinéma et aux artifices du spectacle tout en les démythifiant. "C'est comme si le film se moquait de cette échappatoire qu'est le multivers, [et donc du] cinéma", avait ainsi reconnu Daniel Scheinert dans Trois Couleurs.

Surtout, comme CODA, le remake américain de La Famille Bélier qui a remporté l'année dernière la statuette du meilleur film, Everything Everywhere All At Once met en scène une famille dysfonctionnelle. Et malgré la dimension science-fictionnelle des multivers, ce film résolument feel good a selon les médias américains fait fondre le cœur des votants avec son message fédérateur sur le rassemblement des générations.

Article original publié sur BFMTV.com