Fluo pastel et écriture cursive: quand Tiktok et Instagram investissent les cahiers des élèves français

Instagram, Tiktok et Pinterest regorgent de comptes d'étudiants, de lycéens et de collégiens qui partagent leurs fiches de révisions. - @studygram_mthld et @medecine_studygram
Instagram, Tiktok et Pinterest regorgent de comptes d'étudiants, de lycéens et de collégiens qui partagent leurs fiches de révisions. - @studygram_mthld et @medecine_studygram

Une nouvelle mode gagne les cahiers et les copies des élèves français. Ces derniers mois, le fluo pastel, l'écriture cursive romantique et le style calligraphique s'invitent dans la titraille des travaux des collégiens. Et cette tendance se remarque aux quatre coins du territoire: de Paris aux Pyrénées, en passant par le Pays de la Loire ou encore la Savoie.

"Ils sont en train de lancer une mode", notait mercredi un professeur parisien sur Twitter, partageant des photos de deux copies décorées de façon originale. Sur les deux, la matière "français" est écrite en grosses lettres capitales fluo, avec par dessus la même inscription en lettres fines et espacées en cursive.

Une tendance surtout chez les collégiennes

Un message qui n'a pas manqué de faire réagir ses confrères sur le réseau social. "J'en ai plein aussi sur mes copies!", réagissait par exemple une jeune prof de Lettres modernes à Metz, tandis que d'autres s'exclamaient: "J'ai ça aussi dans mon collège en Savoie! Dingue!", ou encore: "j'en ai eu deux comme ça dans mon dernier paquet" de copies.

"Ce type de présentation revient de plus en plus sur tous les niveaux du collège, majoritairement des filles, mais des garçons aussi", confirme-t-il à BFMTV.com.

"En effet c'est nouveau, et c'est une mode qui se décline dans toutes les disciplines", rapporte à BFMTV.com Alexis, professeur d'histoire-géographie en collège dans les Pyrénées-Atlantiques. "On le trouve dans leurs cahiers mais aussi sur les copies qu'ils nous rendent. Moi je travaille dans deux collèges, avec des élèves de 11 et 15 ans. L'un situé en ville à Morlas, et l'autre dans une petite commune plus rurale, à Arzacq. Et je le remarque tout autant dans l'un que dans l'autre. C'est un phénomène assez répandu".

Des avis partagés en salle des profs

En salle des profs, les avis sur la question sont assez partagés. Certains, comme Alexis, n'y voient pas d'inconvénient, et y perçoivent même un effort créatif de la part de leurs élèves. "De manière générale, c'est assez propre et assez joli. Tant que c'est bien présenté, moi ça m'est égal, j'y suis même plutôt favorable", explique le jeune professeur.

"C'est joli et rafraîchissant sur les copies", estime une professeure sous la publication Twitter de son confrère de Paris. "Tant que ça donne envie aux élèves de se pencher sur ma matière, je prends!", lance encore une prof de maths. "Pour une fois que les réseaux sociaux ont une bonne influence sur les élèves", tranche une autre. "Ça les motive à soigner leurs cahiers et à faire des fiches de révisions canons, j’adore!"

Mais d'autres sont plus réticents, et l'interdisent même parfois sur leurs copies. "Pour ma part, je conseille aux élèves de réserver ce choix esthétique à leurs cours ou leurs fiches, mais pas aux copies à rendre", indique à BFMTV le professeur parisien à l'origine du débat sur Twitter. "Pas cool quand il n'y a aucun boulot derrière et qu'on fluote au lieu d'écouter les consignes", note un autre professeur sur le réseau social, qui dit lui-aussi avoir "interdit ce type de fantaisie depuis le dernier contrôle".

Des fiches de révisions toujours plus harmonieuses

D'où provient cette tendance? À en croire les premiers concernés, ce style d'écriture vient tout droit des réseaux sociaux, notamment de TikTok, d'Instagram et Pinterest où ont d'abord fleuri des comptes anglosaxons mettant en avant des techniques d'écritures manuscrites plus esthétiques les unes que les autres.

Cette nouvelle mode s'inscrit dans la lignée de l'engouement pour le bullet journal (mélange entre un journal intime et un agenda personnalisé) ou encore le scrapbooking (sorte de collages créatifs), qui avaient fait fureur il y a déjà quelques années en ligne.

Mais depuis, des étudiants du monde entier mettent en ligne, sur des comptes pouvant réunir des millions d'abonnés, des tutoriaux pour apprendre le "lettering" ou "brush lettering", l'art d'écrire de façon graphique, presque caligraphique. Instagram ou Tiktok regorgent de comptes d'étudiants, de lycéens mais aussi de collégiens exhibant de très belles fiches de révision, à l'aspect propre et harmonieux.

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C'est par exemple le cas de Mathilde, 16 ans. Élève en classe de première à Antibes, la lycéenne tient depuis deux ans le compte instagram @studygram_mathld qui compte plus de 41.600 abonnés. Qu'elle soit sur les présidents américains, la trigonométrie ou l'histoire de l'art, chacune de ses publications à l'aspect léché est un succès et récolte entre un et deux milliers de "like" ("j'aime").

Contactée par nos soins, Mathilde explique qu'en lançant son compte il y a deux ans, elle n'imaginait pas que cela prendrait une telle ampleur. Elle a simplement suivi la tendance #studygram (contraction de study (étudier, en angais) et Instagram). Elle explique: "À l'époque, c'était déjà très connu dans les pays anglophones et hispanophones comme en Amérique latine ou en Espagne, mais pas en France. On était peu à faire ce genre de publications". Selon elle, "ce n'est que maintenant que ça commence à se démocratiser" dans l'Hexagone.

"En France, ça a pris de l'ampleur avec le confinement"

"Ça a pris beaucoup d'ampleur avec le premier confinement au printemps 2020. Pour la première fois, les jeunes étaient confrontés au distanciel, et je pense qu'ils avaient besoin de se motiver à travailler, à trouver du plaisir dans leurs cours", analyse la jeune fille. Depuis, les influenceuses lancent des "challenges" de lettering, pour inviter leurs abonnés à s'exercer à l'art de l'écriture manuscrite.

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Elle affirme que ses parents comme ses professeurs sont séduits par ses fiches de révisions thématiques et l'encouragent à continuer. "Ça m'aide à condenser et à rendre plus visuels les cours des profs, donc ça rend plus facile et plus agréable l'apprentissage", poursuit la lycéenne scientifique.

"Dans les cours de récré, ça va très vite"

Vanessa nous confie que c'est grâce à ce genre de comptes que sa fille de 14 ans prépare ses fiches de révision pour le brevet des collèges. "Emma me dit que ça lui donne envie de relire", explique la mère de famille, "et elle fait la même chose pour ses leçons en cours, elle utilise ce style pour les titres afin d'avoir un joli cahier et avoir envie de réviser".

L'idée, selon sa mère, lui est venue de son groupe d'amies. "Elle a commencé à me demander d'acheter des stylos de couleurs, des surligneurs pastels parce que ses copines créaient des fiches de révision comme ça et qu'elles avaient de bonnes notes".

"Dans les cours de récré, ça va tellement vite", analyse Alexis, le professeur d'histoire-géo. "Les ados adoptent ce style d'écriture par mimétisme. Ils sont hyperconnectés et les modes vont très vite". Pour une professeure ayant pu constater le phénomène chez ses élèves à Montpellier, "ça fait longtemps que ca existe, mais ça n'entrait pas en classe avant. C'était pour le plaisir sur les fiches de révision".

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Mais cette technique ne concerne pas que les collégiens et les lycéens. Les étudiants sont également nombreux à partager leurs fiches de révision en ligne, notamment les étudiants en médecine qui sont amenés à faire des fiches et des schémas - parfois très poussés - sur le fonctionnement du corps humain et de ses organes.

La forme, au service ou au détriment du fond?

Sur son compte baptisé @medecine8studygram qui réunit pas moins de 146.000 abonnés, Clarisse, étudiante en 3e année de médecine dentaire, partage par exemple ses fiches de vulgarisation médicale ainsi que des conseils d'organisation et de motivation pour réussir examens et autres concours. Fiches sur l'hémoglobine, les vaisseaux sanguins, les os ou encore la boîte crânienne... ses publications colorées font facilement plus de 10.000 "j'aime".

Le risque, avec cette tendance, est d'être tenté de passer trop de temps à la présentation, au détriment du travail de fond sur les cours. L'instagrameuse Mathilde explique à BFMTV.com que ses parents veillent à ce que malgré son succès, elle ne passe pas "non plus trop de temps" à la présentation de ses travaux.

Sur Twitter, un professeur racontait par exemple avoir "eu ça dans une évaluation d’histoire". Il déplorait que "chaque ligne ait été passée au stabilo avec des couleurs différentes à chaque ligne. C'est sympathique d'avoir des cahiers et copies joliment présentés, sauf quand il y en a vraiment partout", résumait un de ses confrères.

Article original publié sur BFMTV.com