Florian Thauvin, Nick Kyrgios... Comment expliquer la multiplication des cas de sportifs parlant de leur dépression ?

Le nombre de sportifs se confiant sur leur dépression est en augmentation. Un phénomène multifactoriel, selon les spécialistes.

Florian Thauvin, joueur de l'Olympique de Marseille jusqu'en 2021, a révélé avoir souffert de dépression lors de ses derniers mois sur la Canebière (Photo by NICOLAS TUCAT / AFP)
Florian Thauvin, joueur de l'Olympique de Marseille jusqu'en 2021, a révélé avoir souffert de dépression lors de ses derniers mois sur la Canebière (Photo by NICOLAS TUCAT / AFP)

Crises de larmes, sanglots, voire automutilations... les sportifs de très haut niveau ne sont pas épargnés par la dépression ou le burn-out. Dernier témoignage marquant, celui du footballeur Florian Thauvin, qui a raconté sur Canal Plus sa dépression, détectée lors de ses derniers mois à l'Olympique de Marseille en 2021.

"La pression et la difficulté à y faire face sont souvent mis en cause"

Avant lui, les exemples ne manquent pas : le joueur de tennis australien Nick Kyrgios, qui a révélé s'automutiler et avoir été placé en hôpital psychiatrique, l'ancienne numéro 1 mondiale Naomi Osaka, qui a fondu en larmes en plein match à plusieurs reprises ou encore le biathlète français Émilien Jacquelin, qui a mis fin prématurément à sa saison, expliquant que le problème est "surtout psychologique".

"La pression et la difficulté à y faire face sont souvent des facteurs mis en cause. La difficulté pour les sportifs à garder leur place à haut niveau et l'exigence requise pour cela peuvent parfois remettre en cause le désir d'être au plus haut niveau", nous explique la psychanalyste Sandrine Vialle-Lenoël, qui accompagne notamment des golfeurs de haut niveau.

"Entre la pression des résultats, les exigences médiatiques et des supporters, les footballeurs sont particulièrement exposés"

Une explication qui résonne dans le témoignage de Florian Thauvin, qui explique à Canal Plus que s'il était très bien (sportivement) à ce moment-là "mentalement, je ne l'étais pas. Quand j'ai fait le choix de partir au Mexique, je voulais retrouver un peu plus de tranquillité, moins de pression, que ce soit des supporters ou même des médias".

"Entre la pression des résultats, les exigences médiatiques, des supporters, qui sont croissantes avec les réseaux sociaux, les footballeurs de haut niveau sont particulièrement exposés. Il peut y avoir un détail, un élément déclencheur comme une blessure par exemple qui fait le sportif va s'interroger sur son réel désir d'être à ce niveau là. Quand cette interrogation se fait, s'il n'est pas accompagnée d'un psychanalyste alors il y a le risque que cette interrogation se transforme en dépression", poursuit la spécialiste.

Plusieurs sportifs prennent du recul plusieurs mois

Une pression et des attentes démesurées qui ont poussé la joueuse de tennis Naomi Osaka en dépression à 20 ans, après son premier titre du Grand Chelem et une forte attention médiatique. "C'était très dur pour moi dans mes premiers tournois en tant que n°1 mondiale. Je me suis définitivement mis beaucoup trop de pression", explique-t-elle ensuite, sans pour autant parvenir à revenir à son meilleur niveau.

Face à cette pression, Florian Thauvin avait décidé de partir loin pour continuer sa carrière, au Mexique, "je me suis dit qu'à un moment donné, il fallait peut-être prendre un peu de recul pour mieux revenir", explique-t-il.

"Ça peut aider, mais il ne faut pas que le désir d'être sportif de haut niveau cède pour toujours"

Même réflexion chez le biathlète Émilien Jacquelin, l'hiver dernier. "Qu'est-ce que je peux faire pour que ça aille mieux ? Est-ce que courir c'est ça qui va me remettre la forme et aller mieux mentalement ? Je ne pense pas. C'est pour ça que j'ai pris cette décision d'être un peu loin du biathlon pour essayer de me ressourcer et retrouver cette même envie, cette même motivation de courir", explique-t-il alors.

Une pause salvatrice ? "C'est un processus qui peut aider mais qui doit être interrogé par un psychanalyste, car il ne faudrait pas que le désir d'être sportif de haut niveau cède pour toujours ou trop longtemps pour revenir. Sauf s'il souhaite faire autre chose, mais il faut être attentif à ce que la dépression ne s'installe pas", poursuit la psychanalyste Sandrine Vialle-Lenoël.

"Il n'y a pas plus de risque d'être dépressif quand on est sportif de haut niveau, comparé à l'ensemble de la population"

Une pression médiatique qui est souvent pointée du doigt et qui est un facteur propre au sport de haut niveau. Pour autant ,"il n'y a pas plus de risque d'être dépressif quand on est sportif de haut niveau, comparé à l'ensemble de la population; il y a une prévalence de 10 à 30% dans la population. On est soumis à la pression dans toutes les sphères : les clubs, les entreprises... Il y a juste des facteurs qui sont spécifiques au sport, comme le besoin pour le sportif de défendre sa valeur marchande et la concurrence permanente", ajoute Alexis Ruffault, chercheur en psychologie du sport à l'INSEP et membre du comité directeur de la société française de psychologie du sport.

La dépression qui semble toucher davantage les sportifs ces dernières années ne serait donc que le miroir de la société, alors que "les épisodes dépressifs ont connu "une accélération sans précédent entre 2017 et 2021 (+ 36 %), en particulier chez les jeunes adultes" : ils ont touché 1 jeune adulte sur 5 (20,8 %) en 2021, soit une hausse de près de 80 % par rapport à 2017 (11,7 %), rapporte une enquête de Santé Publique France.

Une libération de la parole

"La multiplication des témoignages de sportifs s'explique aussi par la prise de parole de certaines stars, comme le nageur Michael Phelps. Voyant que sa prise de parole se passe bien, que personne ne lui en veut, d'autres sportifs vont aussi se confier, ce qui contribue à libérer la parole autour de la dépression chez les sportifs, comme dans la population puisque les Français vont plus facilement voir un psychologue ou se confier qu'auparavant", ajoute le chercheur en psychologie du sport à l'INSEP.

Une problématique de mieux en mieux prise en compte chez les sportifs, puisqu'en France, depuis 2006, une évaluation des troubles de santé mentale fait partie de la surveillance médicale réglementaire, et aide à mieux détecter les cas de dépression notamment.

VIDÉO - Carnet de Santé - Dr Christian Recchia : "1 personne sur 5 est concernée par la dépression"