Flics de PJ: à la recherche de la preuve numérique

Un policier examine une empreinte digitale au Service Interdépartemental de la Police Judiciaire (SIPJ) à Rouen, le 13 juin 2024 (LOU BENOIST)
Un policier examine une empreinte digitale au Service Interdépartemental de la Police Judiciaire (SIPJ) à Rouen, le 13 juin 2024 (LOU BENOIST)

Phishing, hacking, mails menaçants, darkweb, disques durs et fichiers. Dans un grand bureau de l'hôtel de police de Rouen, ils sont désormais neuf à fouiller tous les supports numériques, en quête de pièces à conviction désormais essentielles dans tous les dossiers.

Née de la récente réforme de la police nationale, l'antenne locale de l'Office anti-cybercriminalité réunit des enquêteurs de la police judiciaire, des policiers de la sécurité publique et deux agents issus de la police technique et scientifique (PTS).

L'installation de ce département "enquêtes numériques" est toute fraîche, donc encore largement de bric et de broc. Le bureau de Sandra, la cheffe du groupe, est cerné par les cartons.

Avec le développement exponentiel du numérique, on atteint à présent "entre 30 à 40 scellés pour une affaire", explique-t-elle.

Arrivé en septembre après plusieurs années à la brigade des stupéfiants, Antoine (prénom modifié) voit désormais son quotidien limité à un écran d'ordinateur, à essayer de tracer les mouvements douteux de cryptomonnaies ou à naviguer sur le darkweb pour y débusquer les activités criminelles.

"Le pire que l'on peut trouver, c'est l'exploitation des enfants par des tordus", constate-t-il.

La pédocriminalité représente à elle seule "80%" des affaires traitées par la nouvelle unité. Sébastien, 47 ans, a du mal à cacher son désarroi à force de visionner des vidéos salaces qui demandent "quinze jours à trois semaines de décryptage".

- "Etre utile"-

"C'est difficile, mais il y a la satisfaction d'être utile", complète Sandra. Un groupe de parole a été mis en place pour soutenir les enquêteurs soumis aux images les plus insoutenables.

"C'est bien", résume Sébastien.

Un dossier l'a marqué quand il travaillait à la brigade des mœurs, celui d'une prostituée âgée de 13 ans.

"Elle avait fugué de chez ses parents et était très indépendante pour son âge", se souvient le policier. "Elle avait beaucoup d'aplomb. Et pourtant, quand on l'a mise dans une pièce destinée aux enfants, elle s'est mise à jouer avec des peluches. Comme la petite fille qu'elle était redevenue".

Nicolas, 43 ans, voisin de bureau de Sébastien, est ravi. Il a échappé à un dossier pédocriminalité et bûche aujourd'hui sur une série de vols de voitures via un logiciel.

"C'est comme une respiration" entre deux affaires sordides, confie-t-il. Il a réussi à débusquer le logiciel en cause et va pouvoir refermer le dossier. "Tout est traçable !", constate-t-il en expert.

Issu de la PTS, Bruno se décrit comme "un spectateur informatique", lui qui a visionné tant de vidéos. Son record: "250.000" pour un seul dossier.

Avec nombre de ses collègues du Service interdépartemental de la police judiciaire (SIPJ) de Rouen, il a participé à l'enquête sur l'attentat jihadiste de Saint-Etienne-du-Rouvray en juillet 2016 - il a traité "80 téléphones en deux jours" - et sur l'assassinat de Samuel Paty en octobre 2020.

- "Encore loin du compte" -

Ce jour-là, il a placé un téléphone mobile dans une petite machine pour en "craquer" le mot de passe. "Cela peut prendre deux jours comme trente-deux ans", s'amuse-t-il.

L'opération est particulièrement délicate, qui consiste à ouvrir le téléphone sans modifier les données qu'il stocke. Au bout d'un mois, ce téléphone-là résistait encore et toujours...

Sa collègue Lara s'est spécialisée dans l'amélioration des images des caméras de surveillance sur la voie publique, notoirement de maigre qualité. "Mais on est encore loin du compte", reconnaît-elle.

L'enquêtrice s'est aussi mise en tête d'améliorer la qualité technique des fichiers audio qu'elle traite. Pas simple de démêler l'accent, les mots d'argot ou la langue d'un interlocuteur. Elle cherche toujours le bon outil, anticipe qu'il faudra encore "deux semaines pour que cela devienne audible".

Le département enquêtes numériques a été mis à contribution en ce début d'année lors des vagues d'alertes à la bombe anonymes qui ont conduit à la fermeture d'écoles et de musées notamment.

Ses spécialistes sont aussi très sollicités par les mairies et les collectivités dont les systèmes informatiques présentent des failles sécuritaires.

Mais à moins de deux mois des Jeux olympiques de Paris, à Rouen comme ailleurs, les cyberenquêteurs se préparent à redoubler d'activité pendant l'été. "Le projecteur est braqué sur la France", prévient Antoine, "et on n'est pas à l'abri".

Lors des JO de Tokyo en 2021, 450 millions de cyberattaques (4,4 milliards de menaces) avaient été recensées. Sans qu'aucune n'impacte le bon déroulement du grand rendez-vous olympique.

Pour les JO de Paris, les organisateurs s'attendent à un chiffre huit à dix fois supérieur. Soit plus de 4 milliards d'attaques à déjouer.

pa-sm/bfa/or