"Mon fils a eu cours à temps partiel": la colère des parents face à l'absence de profs remplaçants

Pauline a fait le compte: depuis le mois de septembre, son fils scolarisé en petite section de maternelle dans les Hauts-de-Seine "a eu sept enseignants différents". "Il ne voulait plus aller à l'école", témoigne-t-elle pour BFMTV.com. D'autant que son entrée dans le milieu scolaire a été "un peu chaotique". Sa première classe comptait 34 enfants, avant qu'une nouvelle ne soit ouverte dix jours plus tard.

Mais se sont alors succédées des périodes avec et sans remplaçant. Un matin d'ailleurs, au moment où le conjoint de Pauline dépose le petit garçon à l'école, il apprend que le remplaçant en poste depuis une semaine - et déjà en classe ce matin-là - est finalement envoyé dans un autre établissement. "La directrice a dit qu'il y avait des besoins plus urgents ailleurs", se souvient Pauline.

"Il a fait toutes les classes"

Si les enfants ont parfois été répartis dans les autres classes de l'école - "il y en a six, mon fils les a toutes faites" - il est aussi arrivé à plusieurs reprises qu'on demande aux parents de garder les enfants à la maison.

"La directrice avait écrit que c'était mieux 'pour leur bien-être et leur sécurité'", se souvient Pauline. "C'est un peu flippant."

Avant les vacances d'hiver, la mère de famille a même décidé de garder son fils une semaine entière à la maison. "Le lundi, il n'y avait pas de remplaçant", retrace-t-elle. "Mais le mardi, il y en aurait une. En revanche le jeudi, on nous avait prévenus qu'elle ne serait pas là. Notre fils nous disait: 'je veux pas y aller, je veux pas y aller' et moi, j'étais incapable de lui dire 'ne t'inquiète pas, ça va bien se passer'."

Pauline se souvient ainsi de six premiers mois "très angoissants". "Souvent, je déposais mon fils à l'école et je ne savais pas qui allait l'accueillir. Je me suis sentie très coupable de lui imposer ça", explique-t-elle. "Dans son esprit, si je l'emmenais à l'école, c'est bien que j'acceptais cette situation."

Au retour des vacances de février, un remplaçant est finalement nommé jusqu'à la fin de l'année. Mais Pauline regrette, en plus de l'absence de continuité pédagogique, le manque de repères pour des enfants de maternelle. "C'est très insécurisant pour eux et ça ne laisse pas les meilleurs souvenirs pour une première expérience de l'école", estime-t-elle.

39.050 heures de cours non remplacées

Fin mars, Emmanuel Macron assurait vouloir "remplacer du jour au lendemain" les professeurs absents. Lors de sa dernière prise de parole, le président de la République a d'ailleurs renouvelé cet engagement, évoquant "le remplacement systématique des enseignants". Mais le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye, a précisé que ce serait l'absence, et pas forcément la matière enseignée, qui serait remplacée.

Depuis la rentrée de septembre, la première fédération de parents d'élèves FCPE recense près de 40.000 heures de cours non remplacées - via son site dédié Ouyapacours. "C'est déclaratif, donc c'est un minimum", pointe pour BFMTV.com Magalie Icher, présidente de la FCPE. "Mais c'est considérable."

En tête: Saint-Genis-Pouilly, une commune de 10.000 habitants de l'Ain qui cumule 1412 heures perdues déclarées. "On se sent abandonné", tonne pour BFMTV.com Sylvie Didelle, secrétaire FCPE du collège Jacques Prévert de Saint-Genis-Pouilly. Mère d'un adolescent scolarisé en classe de 5e, elle compte cette semaine là "dix heures de cours qui sautent pour (son) fils".

"Depuis le début de l'année, il a perdu 60 heures. Et encore, il y a d'autres enfants pour qui c'est pire. C'est un problème structurel."

Cette représentente de parents d'élèves appelle à une réaction des pouvoirs publics. "Je comprends les difficultés de recrutement, mais ne pourrait-on pas être créatif pour trouver une solution? Nous, ce qu'on veut, c'est une continuité pédagogique." Elle évoque ainsi l'enseignement de certaines disciplines via le Cned ou la mise à disposition, via les outils numériques, d'enseignants remplaçants d'autres régions sans affectation. "Ce serait toujours mieux que rien."

"Tripler" le nombre de remplaçants?

Pourtant, le ministère de l'Éducation nationale a recruté avant la rentrée 3000 enseignants contractuels pour pallier la pénurie de professeurs. Car le métier n'attire plus: quelque 4000 postes n'ont pas été pourvus aux concours enseignants. Alors qu'au début de l'été, des syndicats s'inquiétaient de ces milliers de professeurs manquants, le ministre Pap Ndiaye avait promis qu'il y aurait "un professeur devant chaque classe dans toutes les écoles de France" à la rentrée.

"Le job-dating (dans certaines académies, comme Versailles, les contractuels ont été recrutés lors de sessions de ce type, NDLR) n'a pas suffi", dénonce pour BFMTV.com Laurent Zameczkowski, vice-président et porte-parole de la fédération de parents d'élèves Peep.

Selon lui, le vivier d'enseignants, notamment remplaçants, reste bien en deçà des besoins réels: ils représentaient 8,8% du corps professoral dans le premier degré, 2,6% dans le second en 2020, selon une note de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance. "Au vu des manques, tripler ces taux ne serait pas du luxe", estime Laurent Zameczkowski.

"Et en attendant de trouver une solution, les élèves perdent des heures de cours", déplore ce représentant de la Peep.

"Elle va en cours la boule au ventre"

Le problème est national et concerne aussi bien le premier que le second degré. "Ma fille n'a pas eu de cours d'anglais pendant tout le premier trimestre", témoigne ainsi Cindy*, mère d'une élève de 6e d'un collège de l'Indre.

Après les vacances de la Toussaint, un "cours d'initiation d'anglais" est proposé par une des enseignantes de l'établissement. Mais seulement une heure tous les quinze jours. Très loin des quatre heures hebdomadaires de langue vivante au programme. "Ce n'est pas d'initiation dont les enfants ont besoin", s'insurge encore Cindy.

À la rentrée de janvier, une enseignante remplaçante est finalement trouvée. Mais au total, une cinquantaine d'heures de cours d'anglais ont été perdues. Et Cindy craint que ce faux départ en anglais n'ait des répercussions à long terme.

"Ma fille ne veut plus entendre parler de l'anglais, elle va en cours la boule au ventre. On appréhende tous la rentrée de 5e."

"C'est très inquiétant pour les enfants", s'alarme Laurent Zameczkowski, de la Peep. "Dans certaines disciplines particulièrement touchées par cette pénurie d'enseignants, on voit bien que les enfants n'ont pas toutes les bases. Or, c'est déterminant pour la suite de leur scolarité."

Ce représentant de parents d'élèves cite un cas emblématique: celui de la technologie. "C'est devenu le Graal d'avoir un prof de technologie. Il est arrivé que certaines classes n'aient pas eu de cours de techno de l'année." Des syndicats enseignants estiment d'ailleurs que la suppression de l'heure de technologie en 6e ne serait pas sans lien avec ces difficultés de recrutement.

"J'en veux à l'État"

Fanny, qui réside dans une petite commune de Vendée, s'inquiète elle aussi des conséquences à long terme pour son fils. "L'année dernière, il a eu cours à temps partiel", fulmine-t-elle pour BFMTV.com. "Parfois, je le déposais à 10 heures et je le récupérais à midi. Il est même arrivé que les cours soient rassemblés sur quatre jours et qu'il soit en week-end dès le jeudi après-midi."

Alors que son fils était en 5e, le collégien n'a eu cours de français qu'au mois de septembre. À partir d'octobre et jusqu'à la fin de l'année, il n'y a eu aucun remplaçant dans cette discipline. À cela s'ajoute un trimestre entier sans professeur de mathématiques, de musique et d'arts platiques. Sans compter celui de technologie, parti à la retraite au mois de mars, qui n'a pas non plus été remplacé.

"Je ne vous raconte pas les notes cette année", témoigne Fanny. "Il essaie de s'accrocher mais en français, il n'a pas les bases."

Lors du conseil de classe du second trimestre, il a été décidé que le collégien redoublerait sa 4e. "Il ne pourra jamais suivre en troisième", constate sa mère. "J'en veux à l'État."

1165 profs en moins à la rentrée

Si le ministère reconnaît pour BFMTV.com des "problèmes d'attractivité" dans certaines disciplines, il salue dans un communiqué une progression de 9% des inscriptions aux concours enseignants dans le premier degré par rapport à l'année dernière et 4% dans le second degré. Pourtant, à la rentrée prochaine, le nombre d'enseignants devrait diminuer.

C'est ce qu'a annoncé la rue de Grenelle dans un autre communiqué. Au total, le premier degré va ainsi perdre 667 postes. Ce que le ministère justifie par la "forte baisse du nombre d'élèves" - 64.000 de moins en maternelle et en élémentaire. Si le second degré ne va quant à lui perdre que 840 élèves à la rentrée 2023, il va en revanche compter 498 enseignants de moins.

Une aberration, dénonce encore Magalie Icher, la présidente de la FCPE, qui rappelle les difficultés du ministère à recruter des enseignants. En témoignent les nombreuses annonces des rectorats postées sur le site de Pôle emploi. Pour cette représentante de parents, le prétexte démographique n'est pas valable pour justifier ces suppressions de postes.

"Plutôt que d'alléger les classes, l'Éducation nationale va supprimer 1500 postes (ce qu'a confirmé début avril Pap Ndiaye, NDLR). Or, on voit bien qu'il y a des inégalités territoriales, que de petites écoles rurales ferment, que des enseignants ne sont pas remplacés, parfois pendant des mois." Et implore: "Arrêtez de supprimer des postes."

Article original publié sur BFMTV.com