Elle : Le film de Paul Verhoeven a failli être un film américain... et donc se faire sans Isabelle Huppert !

Exit Isabelle Huppert et sa nomination aux Oscars pour le rôle de Michèle, une femme qui va initier un jeu étrange avec celui qui l'a violée. Difficile de l'imaginer aujourd'hui mais Elle a bien failli ne pas être une production française. A l'occasion d'une interview accordée au site de la BBC, son film sortant au Royaume-Uni le 10 mars prochain, Paul Verhoeven est ainsi revenu sur la genèse de son projet, rappelant qu'avant de se tourner vers la France, c'est bel et bien aux Etats-Unis que son histoire, adaptée du roman "Oh..." de Philippe Djian, devait être tournée :

"On m'avait demandé d'en faire un film américain. Je suis allé rencontrer un scénariste américain mais personne aux Etats-Unis n'était intéressé par ce projet, autant financièrement qu'artistiquement. J'ai donc dû retourner à Paris. Je pense qu'ils ont dit "non" au concept global parce qu'il ne s'agissait pas d'un film de vengeance pur et dur, dans lequel on découvre qui est le violeur dans le second acte et dans lequel la femme se venge dans le troisième. L'identification de l'héroïne avec le violeur va totalement à contre-courant de ce qu'on pourrait attendre". 

Personne à part Isabelle Huppert n'aurait pu jouer ce rôle

Si le film s'était fait aux Etats-Unis, il aurait donc été tourné en anglais et c'est donc vers des acteurs anglophones que la production se serait tournée. Isabelle Huppert a tourné à de multiples reprises pour des réalisateurs étrangers et son talent est loin d'être une nouveauté outre-Atlantique. Pourtant, c'est bel et bien le rôle de Michèle dans Elle, une femme d'un tout autre genre, qui l'a propulsée pour la toute première fois au coeur du processus très sélectif des récompenses américaines.

D'ores et déjà lauréate du Golden Globe de la Meilleure actrice, Isabelle Huppert, également nommée aux César, est l'une des candidates à prétendre cette année à l'Oscar de la Meilleure Actrice.

Que son film remporte deux Golden Globes, Meilleur film en langue étrangère et Meilleure Actrice, a d'ailleurs bien étonné Verhoeven : "Je n'avais pas réalisé que la Hollywood Foreign Press [qui décide des nominations] avait l'esprit aussi ouvert au point d'accepter [mon film] dans toutes ses étrangetés. Toutefois, je savais aussi qu'Isabelle était fantastique et qu'elle méritait de gagner.

On pensait qu'on devait faire le film à l'américaine. On a eu de la chance que cela rate et que le rôle revienne à Isabelle, parce que je pense qu'aucune autre personne au monde n'aurait pu jouer ce rôle à part elle", poursuit le réalisateur de Basic Instinct.


Rétrospectivement j’ai réalisé que jamais je n’aurais pu faire ce film aux États-Unis avec la même authenticité

Force est de constater que sans Isabelle Huppert, Paul Verhoeven n'aurait peut-être pas obtenu la même performance d'actrice. Habituée à jouer l'ambiguïté dans tous ses états, passée reine dans l'art de déconcerter son auditoire (La Pianiste, Tip Top, La cérémonie, etc.), l'actrice n'a jamais eu froid aux yeux et a toujours embrassé ses personnages comme ils venaient, sans les juger : "C'est le genre de personne que j'aime jouer parce qu'elle est moralement ambiguë. Je n'accepte pas un rôle en me demandant si le personnage est sympathique ou pas, je m'occupe seulement de son authenticité. J'ai joué Michèle comme une personne normale", explique-t-elle au micro de la BBC.

Avant Isabelle Huppert, quelles Françaises ont été aux Oscars ?

Si une actrice américaine avait porté le rôle, Elle aurait certainement été un film différent. Mais, quelle actrice aurait accepté de s'y frotter ? On ne saura probablement jamais la réponse... Lors de la promotion du film en France, Paul Verhoeven évoquait déjà les obstacles qu'il avait rencontrés en tentant de faire d'Elle une histoire américaine, notamment la frilosité des interprètes outre-Atlantique quant à la teneur du projet :

"On s’est rendus compte qu’aucune actrice américaine n’accepterait de jouer dans un film aussi amoral. Même celles que je connaissais bien, il leur était impossible de dire oui à un tel rôle. Alors qu’Isabelle Huppert, que j’avais rencontrée au tout début du projet, elle était très partante pour faire le film.

Au bout de six mois, [le producteur] Saïd Ben Saïd m’a donc dit : 'Pourquoi se bat-on pour faire ce film aux États-Unis ? C’est un livre français, Isabelle Huppert a très envie de jouer le rôle. On est stupides !'. Il avait raison. Rétrospectivement j’ai réalisé que jamais je n’aurais pu faire ce film aux États-Unis avec la même authenticité".

"Elle", une réalité tordue avec des zones d'ombre...