Le film "Oppenheimer" sort enfin au Japon, pays traumatisé par la bombe atomique

Le film "Oppenheimer" sort enfin au Japon, pays traumatisé par la bombe atomique

Huit mois après le reste du monde, les spectateurs japonais peuvent découvrir en salles depuis vendredi le film multi-récompensé Oppenheimer, qui aborde un sujet particulièrement sensible dans l'archipel à travers un portrait du créateur de la bombe atomique.

Le long-métrage de Christopher Nolan était sorti dans de nombreux pays l'été dernier en même temps qu'un autre blockbuster, la joyeuse comédie de Greta Gerwig Barbie, suscitant à cette occasion d'innombrables mèmes sur internet.

Des images combinant les deux films avaient choqué l'opinion publique au Japon, seul pays à avoir été frappé par l'arme atomique en août 1945 durant la Seconde Guerre mondiale.

Aucune raison officielle n'avait été avancée sur la sortie retardée d'Oppenheimer au Japon, ce qui avait alimenté les spéculations selon lesquelles le film était trop sensible pour y être montré.

"Inconcevable qu'il ne sorte pas"

Vendredi, devant un grand cinéma de Tokyo, seule une petite affichette indiquait la présence de cette superproduction d'un budget de 100 millions de dollars, qui a déjà engrangé plus de 960 millions de dollars de recettes dans le monde, selon le site spécialisé BoxOfficeMojo.

"Il aurait été inconcevable qu'un film sur le développement (de la bombe atomique, NDLR) ne sorte pas au Japon", a estimé Tatsuhisa Yue, 65 ans, interrogé par l'AFP à la sortie d'une séance.

Plus de 140.000 personnes ont été tuées à Hiroshima et 74.000 à Nagasaki par les deux bombes atomiques américaines larguées au-dessus de ces villes. Quelques jours après, le 15 août 1945, le Japon acceptait sa reddition inconditionnelle.

"Je pense que les distributeurs ont évité de le sortir l'été car tout le monde au Japon se souvient (des bombardements) de Hiroshima et Nagasaki à cette période", a ajouté Tatsuhisa Yue, saluant un film "fait de manière très sincère".

"Même en tant que Japonais, j'ai trouvé qu'il était beaucoup plus objectif que ce à quoi je m'attendais", a noté un autre spectateur, Fuyuki Ike, 48 ans.

"Absence d'images" de victimes

Le film qui a remporté l'Oscar du meilleur film ainsi que six autres statuettes, retrace en trois heures les moments clé de la vie de Robert Oppenheimer, le physicien américain qui a fait entrer la planète dans l'ère nucléaire avant de se voir assailli par le doute face à sa création devenue outil de toute-puissance.

A Hiroshima, le long-métrage avait été attendu avec une certaine inquiétude. "Est-ce vraiment un film que les habitants (d'ici) peuvent supporter de regarder?", s'était ainsi interrogée Kyoko Heya, la présidente du Festival international du film de la ville, après le triomphe aux Oscars de "Oppenheimer" plus tôt ce mois-ci.

Kyoko Heya l'avait jugé "très centré sur l'Amérique", avouant avoir d'abord été "terrifiée" à l'idée de le projeter à Hiroshima. "Je souhaite maintenant que beaucoup de gens regardent le film, car je serais heureuse de voir Hiroshima, Nagasaki et les armes atomiques devenir des sujets de discussion grâce à ce film", avait-elle cependant ajouté.

"Il aurait pu y avoir beaucoup plus de descriptions et de représentations de l'horreur des armes atomiques", a critiqué pour sa part Takashi Hiraoka, 96 ans, survivant de la bombe et ancien maire de Hiroshima, lors d'une projection spéciale dans la ville organisée plus tôt ce mois-ci.

Oppenheimer a également été projeté en avant-première à Nagasaki, où Masao Tomonaga, 80 ans, un autre "hibakusha" (survivant de la bombe), a lui déclaré avoir été impressionné par le film.

"J'avais pensé que l'absence d'images de survivants de la bombe atomique était une faiblesse", a dit Masao Tomonaga, qui avait deux ans au moment du bombardement, et qui est par la suite devenu chercheur pour étudier la leucémie causée par les radiations.

"Mais en fait, les déclarations d'Oppenheimer dans des dizaines de scènes montrent le choc qu'il a ressenti face à la réalité du bombardement atomique. Cela m'a suffi".

Article original publié sur BFMTV.com