Faut-il réformer l’Aide médicale d’État ? Toutes ces fois où l’AME a évolué en 23 ans de débats
POLITIQUE - « Le milliard le plus scruté de la dépense publique » s’apprête à l’être de nouveau. Un nouveau rapport sur l’Aide médicale d’État (AME) va atterrir sur les bureaux des ministres de l’Intérieur Gérald Darmanin et de la Santé Aurélien Rousseau ce lundi 4 décembre, alors que l’utilité de ce dispositif de santé publique a – de nouveau – été remise en question lors des débats sur le projet de loi immigration.
Le 7 novembre, alors que la chambre haute planche sur le texte du gouvernement, la majorité LR du Sénat introduit et fait voter la suppression de l’Aide médicale d’État au profit d’une Aide médicale d’urgence. La gauche et une partie du camp présidentiel s’étranglent devant ce qui est perçu comme un recul de l’humanisme français. L’AME est finalement rétablie en commission des lois à l’Assemblée nationale le 29 novembre.
D’abord divisé sur le sujet, le gouvernement finit par se trouver une porte de sortie : Élisabeth Borne annonce la création d’une mission confiée au LR Patrick Stefanini et à l’ancien ministre socialiste Claude Evin et chargée de déterminer si « des adaptations » de l’AME sont nécessaires. Selon leur verdict, les « évolutions » seront mises en place « dans le cadre d’un texte adapté », promet la cheffe du gouvernement à l’Assemblée le 28 novembre. Comprendre : le débat peut être rouvert, mais pas dans le cadre du PJL immigration sous peine de se voir retoquer comme un cavalier législatif par le Conseil constitutionnel.
« Instabilité normative depuis deux décennies »
L’Aide médicale d’État est introduite par la ministre socialiste de l’Emploi et des Solidarité Martine Aury en juillet 1999. Ce dispositif se veut le pendant, pour les personnes en situation irrégulière, de la Couverture maladie universelle (CMU) réservée aux Français aux ressources les plus modestes et en situation régulière. Les prestations couvertes par le dispositif, le « panier de soins », sont encadrées par la loi.
À sa création, l’AME s’adresse à toute personne sans papier présente en France, sans condition de durée de résidence sur le territoire national et dont les ressources ne dépassent pas un certain plafond. Mais depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2000, l’AME a régulièrement fait l’objet de modifications – souvent par le biais de lois budgétaires ou relatives à l’immigration. En 2019, un rapport de l’IGAS soulignait ainsi « l’instabilité normative depuis deux décennies » du dispositif, reprenant à son compte l’expression de « milliard le plus scruté de la dépense publique », utilisée jusqu’alors par les associations d’aide aux personnes en situation irrégulière.
Une participation de 30 euros instaurée en 2011… et supprimée en 2012
Petit florilège. Dès 2002, soit deux ans après sa création, le principe d’une participation financière des bénéficiaires de l’AME est inscrit dans une loi de finances. Elle ne sera cependant jamais mise en place, faute de décret d’application. L’année d’après, une condition de résidence ininterrompue de 3 mois sur le sol français pour bénéficier de l’AME est introduite – et toujours valable aujourd’hui. Ensuite, entre 2005 et 2008, pas moins de trois décrets sont pris pour apporter diverses précisions d’application.
En 2011, la loi de finances introduit à nouveau une participation obligatoire des bénéficiaires de l’AME. Pour en bénéficier, en plus de la présence ininterrompue depuis 3 mois sur le sol français, les personnes en situation irrégulière doivent désormais s’acquitter d’un versement de 30 euros. Le panier de soins est aussi réduit. Mais un an plus tard, à la faveur de l’élection du président socialiste François Hollande, la participation des bénéficiaires est supprimée.
Vers de nouveaux « ajustements » ?
Sept ans après, en 2019, l’Aide médicale se retrouve encore une fois dans le débat, encore une fois à la faveur d’une loi sur l’immigration du gouvernement d’Édouard Philippe. La réforme est portée par la ministre de la Santé de l’époque, Agnès Buzyn, et vise principalement à renforcer les contrôles dans l’octroi de l’AME, afin de limiter les fraudes. En 2021, son successeur avenue Duquesne en porte une nouvelle. Sous la houlette d’Olivier Véran, le détail des conditions d’attribution de l’AME et les démarches pour la demander sont revus.
Deux ans plus tard, le rapport Evin/Stefanini aboutira-t-il à de nouveaux changements ? L’actuel ministre de la Santé Aurélien Rousseau s’est dit dimanche prêt à faire « des ajustements » selon les conclusions de la mission, tout en rappelant que la suppression du dispositif était une « ligne rouge ». Les changements s’annoncent cependant minimes voire inexistants : selon les premières pistes dévoilées par Radio France, le rapport confirme plutôt la nécessité du dispositif, l’inexistence de « l’appel d’air migratoire » évoqué par la droite et son extrême ainsi que l’absence d’abus. De quoi ralentir, au moins pour un temps, le rythme effréné des modifications ?
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