Faut-il interdire ChatGPT à l’école ? Pour cette chercheuse, la réponse est « non »

La popularité de l’intelligence artificielle soulève beaucoup d’inquiétudes et de questions dans l’enseignement. Faut-il l’interdire ? L’utiliser comme outil pédagogique ? Une chercheuse en sciences de l’information et de la communication nous répond.

ÉCOLE - Un outil impressionnant pour beaucoup, « un perroquet approximatif » pour Jean-Noël Barrot, le ministre délégué chargé de la transition numérique, une source d’angoisse pour les enseignants. ChatGPT fascine et inquiète, si bien que l’intelligence artificielle a été interdite par Sciences Po fin janvier. Alors que ce logiciel américain, capable de rédiger des textes en réponse à de simples questions, est sur toutes les lèvres, de nombreux professeurs s’interrogent sur l’opportunité de l’interdire ou de le mettre à profit.

Pour Anne Cordier, la réponse est claire. Dans un entretien avec Le HuffPost, l’enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine, estime que l’école doit « se saisir » de cette intelligence artificielle.

Le HuffPost. Les technologies, de manière générale, occupent une place importante à l’école. Est-ce que cela engendre des inquiétudes du côté des enseignants ?

Anne Cordier. Il est difficile d’enseigner sans les technologies. Après, c’est le niveau d’intégration de ces dernières dans l’enseignement qui est différent selon les situations et selon les enseignants. Aujourd’hui, un élève ou un étudiant va les utiliser pour apprendre, pour développer ses écrits, réaliser ses devoirs… Le PowerPoint, c’est déjà une technologie, et ça ne pose aucun problème. En fait, l’inquiétude se niche plutôt dans l’interventionnisme technologique au sein de l’apprentissage. On peut se demander « dans quelle mesure je délègue à la machine l’apprentissage ? Et dans quelle mesure j’en reste quand même, finalement, l’auteur ? ».

ChatGPT exacerbe-t-il cette inquiétude ?

Ce qui est intéressant, c’est qu’il a vraiment fallu que la presse mette ChatGPT en avant pour qu’on voie les communautés enseignantes en parler. Finalement, on a l’impression que l’emballement médiatique qui a eu autour de ça a créé l’angoisse des enseignants. Ce que j’ai trouvé fou, c’est le discours disant que ça va obliger les profs à repenser leur manière d’enseigner, comme s’ils ne l’avaient pas repensée depuis bien longtemps. Mes collègues, comme tout le monde, ont pris de plein fouet la crise sanitaire et leurs pratiques pédagogiques ont été questionnées et changées à ce moment-là, sans qu’ils n’aient le choix.

Mais oui, ChatGPT est différent et soulève tout un tas de questions. Je pense d’ailleurs qu’il angoisse plus les profs d’université que ceux de lycée ou de collège. Je suis frappée par ce que j’entends dire à l’université. Certains profs me racontent qu’ils vont arrêter de donner des commentaires et des critiques à faire à leurs étudiants à cause de ChatGPT, alors que cet outil est d’une pauvreté intellectuelle, il ne remplacera jamais l’Homme.

Comment expliquez-vous que cette inquiétude autour de ChatGPT soit plus grande à la fac qu’au lycée ?

Je pense que c’est parce qu’à l’université, on s’empare de la question du plagiat depuis quelques années de façon importante. Il y a des affaires de plagiat tous les ans et ça se multiplie. Mais aussi, la façon dont fonctionne ChatGPT et ce qu’il produit peut donner l’impression d’entrer en concurrence avec des écrits qu’on demande aux étudiants. Quand on leur demande de commenter un fait quelconque, ChatGPT peut aussi le faire, avec toutes les limites déjà mentionnées. Et puis il y a quand même toujours aussi cette idée que l’étudiant, qui est plus expérimenté en technologie qu’un lycéen, va s’emparer plus facilement de l’outil chez lui. Les lycéens, et surtout les collégiens, ça leur passe au-dessus. En fait, on est plus en train de leur donner des idées qu’autre chose (rires).

Mais finalement, toutes ces questions et angoisses autour de ChatGPT n’étaient-elles pas les mêmes à l’arrivée d’Internet et de sites comme Wikipédia ?

Oui et non. Oui, dans le sens où, à chaque fois qu’un objet technique arrive et qu’on lui prête des performances intellectuelles cognitives, on pose la question de l’autorité enseignante et de la responsabilité de cet outil dans l’apprentissage. Par contre, pour moi, la comparaison s’arrête là parce que Wikipédia, par exemple, est une création totalement humaine et collaborative. Ce n’est pas la même fascination que pour ChatGPT, qui est un agent conversationnel et où on se dit « wow, il me répond, il est capable de générer des mails, des réponses factuelles ».

Est-ce qu’il faudrait interdire ChatGPT dans les écoles ou composer avec, voire l’intégrer aux programmes scolaires ?

Dès qu’on parle d’interdiction, je ne suis pas d’accord. D’autant plus que ça n’aurait pas de sens socialement car toutes ces intelligences artificielles vont de plus en plus faire partie de notre environnement. Par contre, il faut s’en saisir comme des objets d’apprentissage. Je trouve que ça, c’est intéressant : observer quelle vision du monde cet outil nous propose et souligner son côté complètement aseptisé.

Ce qui m’a frappée, c’est que personne, dès le départ, ne se dise que ChatGPT ne donnait aucune source dans ses réponses. J’ai cherché longtemps et on ne peut trouver ça nulle part. Et ça, c’est extrêmement intéressant en termes d’éducation aux médias et à l’information. Donc non, il ne faut pas l’interdire. C’est un objet dont il faut se saisir, sans peur. Il faut que l’on se demande d’où il vient, qu’est-ce qu’il sous-entend, qu’est-ce que l’on accepte de lui et à quel point. On doit sensibiliser les élèves à ce qu’il est. Il y a vraiment toute une réflexion éthique à avoir.

En parlant d’éthique : est-ce qu’utiliser ChatGPT, c’est tricher ?

Alors ça, c’est un gros débat avec des collègues. Je n’ai pas vraiment de réponse à cette question car il y a un vide juridique autour de ChatGPT. C’est normal que les étudiants s’appuient sur des ressources en ligne pour réaliser un travail, mais quand ils le font, ils sont censés apporter leurs réflexions, leur patte. Donc reprendre les réponses de ChatGPT telles qu’elles, ça pose question. Comme agent conversationnel, il est relativement parfait. Il ne va jamais vous insulter, il ne va jamais partir dans la mauvaise direction, il est très lisse. Par contre, la façon dont il génère du contenu est floue. Il ne source pas, et ça, ce n’est pas possible dans un travail étudiant. Ça serait extrêmement risqué pour eux de balancer ce que dit ChatGPT alors qu’il chope des sources au hasard.

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