"Fauda", "Our Boys" : entre Israël et la Palestine, la guerre se fait aussi en séries

Au travers de la fiction, la télévision israélienne raconte depuis des années le conflit israélo-palestinien et ses conséquences. En réponse, le Hamas a lui-même créé ses propres programmes. Autant de feuilletons qui font plus que jamais écho à l'actualité.

Les récents événements l'ont montré, le conflit israélo-palestinien se joue sur plusieurs terrains. Au-delà des affrontements armés, et de la bataille de communication sur les réseaux sociaux, la fiction alimente aussi de manière controversée le récit de cette guerre.

Souvent sur grand écran mais aussi sur le petit. La télévision israélienne, notamment, multiplie les productions sérielles ayant pour cadre les bureaux des services de renseignement ou les scènes de batailles sur la bande de Gaza. Avec Our Boys, Hatufim ou BeTipul, des créateurs israéliens s'emploient depuis des années à mettre en images la guerre, alimentant en contre-feu, les fictions de la partie adverse.

Phénomène mondial

La plus emblématique de ces dernières années est sans aucun doute Fauda ("chaos", en arabe). Depuis quatre saisons (une cinquième est en préparation), elle suit Doron Kavillion (Lior Raz), membre d'une des unités des forces spéciales, entraînées pour se fondre parmi la population palestinienne.

Lancée en 2015 sur la chaîne Yes Oh dans son pays d'origine, Fauda tient en haleine le monde entier depuis sa diffusion sur Netflix l'année suivante. Les auteurs du programme, Lior Raz lui-même -ancien membre de l'unité Douvdevan, qui agit sous couverture en Cisjordanie- et Avi Issacharoff, journaliste spécialiste du conflit, puisent dans leur propre expérience pour donner corps à leurs intrigues.

Le quotidien israélien Haaretz a salué "la première série qui s'attarde sur le discours palestinien, de manière à faire naître l'empathie à l'égard de personnages qui agissent en terroristes". Le New York Times (qui l'a mentionnée dans sa listes des meilleures séries internationales de l'année 2017) a souligné qu'elle montrait "des héros israéliens capables du pire, et des antagonistes palestiniens capables des plus beaux actes d'amour".

"Je reçois des mails d'Israéliens qui me disent qu'ils ressentent de l'empathie et de la compassion pour le camp adverse pour la première fois de leur vie", déclarait Lior Raz au quotidien américain en 2018, assurant recevoir des messages similaires venus "de Gaza, du Koweït, du Liban et de Turquie."

Déséquilibre narratif

Ces mêmes médias ont néanmoins souligné un parti pris inhérent à la production. Haaretz a regretté que la série ne "rende pas compte des réalités en Cisjordanie". Le New York Times a quant à lui noté qu'aucun Palestinien ne prenait part à l'écriture du scénario. En résulte un déséquilibre que le Guardian avait pointé du doigt en 2018, au moment de la sortie de la saison 2:

"L'occupation israélienne n'y est jamais représentée. Il n'y a pas de mur, pas de colonies ni de colons, pas de maisons démolies, seulement quelques petits checkpoints et aucune des violences quotidiennes qu'implique la vie sous occupation." Et d'ajouter, non sans ironie:

"Oui, la série montre que les Palestiniens aiment leurs mères. Mais elle les présente aussi comme de violents fanatiques sans cause politique."

Les militants se sont joints aux critiques: le mouvement pro-palestinien Boycott, désinvestissement et sanction (BDS) a pris part au débat en 2018 en demandant à Netflix d'annuler la diffusion de ce qu'ils qualifient de "propagande raciste en faveur de l'occupation israélienne", comme le rapportait Haaretz à l'époque. Une demande qui a peut-être été suivie d'effets: si Netflix a maintenu la série, la plateforme a lancé en 2021 ses "Palestinian Stories", une sélection de 32 films palestiniens ajoutés à son catalogue.

De leur côté, les créateurs de Fauda assurent que leur objectif est d'offrir un nouvelle perspective aux téléspectateurs israéliens. "Je dirais que l'un des thèmes majeurs de Fauda, c'est l'occupation", déclarait Avi Issacharoff dans The Atlantic en 2018. "La série montre des actes terribles perpétrés par les Israéliens, et pour une raison qui m'échappe, ils sont passés sous les radars." Néanmoins, il concédait:

"À nos débuts, nous étions une série israélienne destinée à un public israélien. Si c'était écrit par un Palestinien, cela aurait été écrit différemment. Mais au bout du compte, nous ne sommes pas Palestiniens."

Contre-attaque en série

Une brèche laissée ouverte dans laquelle le Hamas n'a pas tardé à s'engouffrer. En 2022, le mouvement islamiste a produit une série maison, Qabdat al-Ahrar (Fist of the Free, soit "Le poing des libres").

Ce programme en 30 épisodes s'inspire d'un raid israélien survenu à Gaza en 2018, quand des soldats sous couverture ont été démasqués, donnant lieu à une fusillade qui a fait sept morts du côté du Hamas et un mort côté israélien. Dans un article consacré au programme, Times of Israel dénonce à demi-mots une réécriture des événements à la gloire du Hamas:

"Dans la vraie vie, l'unité sous couverture a été démasquée par des habitants locaux (...) et Israël a évacué avec succès 16 agents infiltrés. Dans la série, le Hamas se montre brillant et plus malin que les Israéliens pour finalement remporter une victoire écrasante."

Mohamed Soraya, le réalisateur, assumait sa démarche dans une vidéo de France 24 lors du tournage: "Nous regardons comment Netflix soutient l'occupation sioniste en produisant des séries comme Mossad 101 ou Fauda, qui criminalisent le peuple palestinien et présente l'occupation sioniste, les bourreaux, comme des victimes."

Toujours d'après Times of Israel, Fist of the Free n'est que la dernière-née de sept séries - et plusieurs films - produites par le Hamas et centrées sur le conflit, diffusées sur sa propre chaîne Al-Aqsa TV.

Raconter le conflit, un défi scénaristique

Créer une série qui satisfairait à la fois les Israéliens et les Palestiniens semble relever de l'impossible. C'est ce que tend à démontrer l'exemple de Our Boys, production israélo-américaine diffusée sur HBO en 2019.

Ce programme s'employait à raconter les deux enlèvements consécutifs qui ont mené à la guerre de Gaza de 2014: le 12 juin, Naftali Fraenkel, Gil-Ad Shaer et Eyal Yifrah, trois jeunes Israéliens, sont enlevés en Cisjordanie par des militants du Hamas alors qu'ils faisaient de l'auto-stop. Ils sont retrouvés morts dans le sud du pays deux semaines plus tard. En représailles, des adolescents israéliens kidnappent un Palestinien de 16 ans, Mohammed Abou Khdeir, et le brûlent vif. S'ensuit une escalade de violence qui fait plus de deux milliers de morts, principalement Palestiniens, dans la bande de Gaza cet été-là.

Contrairement à ceux de Fauda, les créateurs de Our Boys s'étaient assurés que les deux versants de l'histoire soient représentés dans la writers' room: le programme était porté par les Israéliens Hagai Levi (co-créateur de la série américaine The Affair) et Joseph Cedar, en collaboration avec le réalisateur palestinien Tawfik Abu-Wael (La Soif, salué à Cannes en 2004).

Cette fois, c'est du côté de l'État hébreu que la série a fait du remous. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou avait lui-même appelé au boycott de la chaîne israélienne Channel 12, dénonçant "son choix de ternir notre image mondiale en colportant des mensonges contre l'État d'Israël", qualifiant même la série d'"antisémite", comme l'avait rapporté à l'époque Times of Israel.

La prise d'otages, élément incontournable du confit

Les productions israéliennes relatant les conflits qui agitent le Moyen-Orient et leurs conséquences sur les populations ont aussi permis au pays de devenir l'un des acteurs majeurs du monde de l'audiovisuel. Ces séries ont plusieurs fois inspiré des remakes internationaux, comme le classique Hatufim (ou Prisoners of War, disponible sur Prime Video), qui a donné naissance aux États-Unis à la non-moins culte Homeland (visible sur Disney+).

La série d'origine, (meilleure série étrangère de la décennie passée, selon le New York Times) racontait le retour de deux soldats israéliens après 17 ans de captivité au Liban, s'attardant sur la difficulté de ces retrouvailles avec leurs proches et sur la gestion de leurs traumatismes. Un récit tristement banal pour les Israéliens, qui vivent avec leurs disparus:

"Ici, en Israël, nous voulons que les garçons reviennent", racontait son créateur Gideon Raff au Guardian en 2012. "Mais nous voulons une fin heureuse. Nous ne voulons pas nous confronter à ces jours qui suivent la libération, leur traumatisme et leur retour dans la société. Pourtant, le retour à la maison n'est que le début de leur parcours."

Son pendant américain, Homeland, diffusée entre 2011 et 2020, transposait l'histoire dans un contexte local: l'actrice Claire Danes (Romeo + Juliette, Full Circle) y campait une agente de la CIA, persuadée qu'un soldat américain réapparu après huit ans en Irak et accueilli en héros était en fait devenu un espion de l'ennemi, préparant une attaque terroriste.

Adaptations autour du globe

Dans un autre genre, et avec une intrigue moins frontalement militaire, la série israélienne BeTipul a fait encore plus fort. Lancée en 2005 par Hagai Levi, elle suivait les consultations quotidiennes d'un psychologue israélien, dont certains patients cherchaient à guérir des traumatismes de leurs années de guerre.

Phénomène israélien, BeTipul est devenu un phénomène mondial. L'Amérique a donné le coup d'envoi des remakes en 2008 avec In Treatment avant que le reste du globe ne suive: le Canada, l'Argentine, le Brésil, la Serbie, le Portugal, l'Italie ou encore le Japon ne sont que quelques-uns des pays qui ont importé le concept avec leur propre adaptation.

La France n'y a pas échappé: le duo de réalisateurs Eric Toledano et Olivier Nakache (Nos jours heureux, Intouchables, Le Sens de la fête...) ont présenté En Thérapie sur Arte en 2021. Comme les Américains l'avaient fait avec Homeland, ils y ont repris l'idée de base en y insufflant une thématique hexagonale: l'intrigue de la saison 1 démarrait au lendemain des attentats du 13-Novembre.

Article original publié sur BFMTV.com

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