Facebook dans le collimateur des autorités de régulation

Facebook est dans le collimateur des autorités de régulation américaines et britanniques à la suite des révélations d'un lanceur d'alerte sur le siphonnage il y a quatre ans des données de 50 millions d'abonnés du réseau social par le cabinet londonien Cambridge Analytica. /Photo prise le 20 mars 2018/REUTERS/Henry Nicholls

par David Shepardson et Kate Holton

WASHINGTON/LONDRES (Reuters) - Facebook est dans le collimateur des autorités de régulation américaines et britanniques à la suite des révélations d'un lanceur d'alerte sur le siphonnage il y a quatre ans des données de 50 millions d'abonnés du réseau social par le cabinet londonien Cambridge Analytica.

La Commission fédérale américaine du Commerce (FTC) enquête sur l'exploitation par Facebook des données personnelles de ses abonnés, a rapporté mardi Bloomberg News. L'Information Commission, une instance de régulation britannique, mène également des investigations.

L'action Facebook a de nouveau reculé à la Bourse de New York, perdant 2,55% mardi soir à la clôture après une chute de 6,77% lundi. En deux jours, 60 milliards de dollars de capitalisation boursière se sont évaporés. Les investisseurs craignent que le groupe écope de sanctions financières massives et que les utilisateurs et annonceurs finissent par se détourner du réseau social.

De part et d'autre de l'Atlantique, parlementaires américains et européens veulent comprendre pourquoi Cambridge Analytica, une société de conseil qui a soutenu la campagne électorale de Donald Trump en 2016, a eu accès aux données de Facebook en 2014 et pourquoi le réseau social n'en a pas informé ses utilisateurs.

Au Sénat des Etats-Unis, la commission du Renseignement, qui enquête sur une possible ingérence russe dans la présidentielle de 2016, va mener ses propres investigations sur Cambridge Analytica, a-t-on appris de source parlementaire.

Une plainte a par ailleurs déposée mardi par des actionnaires de Facebook devant un tribunal de San Francisco. Les plaignants reprochent à la société de Mark Zuckerberg d'être responsable de leurs pertes boursières de ces derniers jours par son incapacité à protéger les données personnelles de ses utilisateurs.

PERQUISITION À LONDRES

L'enquête de la FTC, l'agence américaine chargée de la protection du consommateur, vise à déterminer si Facebook a autorisé Cambridge Analytica à recevoir certaines données d'utilisateurs en violation de ses règles, précise Bloomberg News en citant une source au fait du dossier.

Un porte-parole de la FTC n'a pas confirmé l'ouverture d'une enquête tout en ajoutant: "Nous prenons toute allégation de violation du jugement convenu ('consent decree') très au sérieux comme nous l'avons fait en 2012 sur un cas de violation de vie privée impliquant Google."

Facebook a dit mardi s'attendre à recevoir cette semaine un courrier de la FTC contenant des questions sur l'acquisition de données privées par Cambridge Analytica. "Nous restons fermement déterminés à protéger les informations du public. Nous apprécions l'opportunité de pouvoir répondre aux questions que peut avoir la FTC", a commenté Rob Sherman, responsable adjoint des questions liées aux données privées chez Facebook.

Facebook a accepté en 2011 de mettre en place des mesures pour mieux protéger les données de ses 800 millions de membres à l'époque, et la FTC cherche à savoir si le réseau social a enfreint ce "jugement convenu", selon Bloomberg.

Si elle conclut à une violation, la FTC a le pouvoir d'imposer au groupe des amendes de plusieurs milliers de dollars par jour d'infraction constatée.

Au Royaume-Uni, l'Information Commission a annoncé avoir demandé une perquisition dans les locaux londoniens de Cambridge Analytica.

"Nous regardons si oui ou non Facebook a sécurisé et sauvegardé des informations personnelles sur la plate-forme et si, quand la société a réalisé qu'il y avait perte de données, elle a agi de façon ferme et si les gens en ont été informés ou pas", a déclaré à la BBC Elizabeth Denham, directrice de cette instance de régulation.

Créée en 2013, Cambridge Analytica se présente comme un cabinet spécialisé dans les études sur la consommation, la publicité ciblée et autres services liés à l'analyse de données, pour des clients politiques ou pour des sociétés.

Selon le New York Times, Cambridge Analytica a été lancée grâce à un investissement de 15 millions de dollars du milliardaire américain Robert Mercer, donateur du Parti républicain, et son nom a été choisi par Steve Bannon, futur conseiller de Donald Trump et figure de l'extrême droite américaine.

UNE APPLICATION À L'ORIGINE DU SIPHONNAGE

Facebook explique que les données ont été collectées par un universitaire britannique, Aleksandr Kogan, qui a créé une application sur le réseau social, laquelle a été téléchargée par 270.000 personnes, ce qui a permis d'avoir accès à leurs données personnelles mais aussi à celles de leurs "amis".

Facebook estime que Kogan a violé sa politique en transmettant ensuite ces données à Cambridge Analytica. Le groupe a depuis suspendu à la fois Cambridge Analytica et sa maison mère SCL (Strategic Communication Laboratories).

Dans un mail envoyé à ses collègues de l'université de Cambridge que CNN a obtenu, Aleksandr Kogan dit avoir changé les termes et conditions de son application - un test de personnalité - pour qu'elle passe d'un usage universitaire à un usage commercial.

Kogan ajoute que Facebook n'a émis aucune objection, mais Facebook dit ne pas avoir été informé de cette modification, toujours selon CNN.

Le réseau social déclare avoir été informé que les données concernées ont été détruites.

"Si ces données existent toujours, il s'agirait d'une grave violation de la politique de Facebook et d'une inacceptable violation de la confiance et des engagements que ces sociétés ont pris", a souligné le groupe dirigé par Mark Zuckerberg.

Cambridge Analytica a rejeté toutes les récentes informations parues dans les médias, assurant avoir détruit toutes les données après avoir appris qu'elles ne respectaient pas les règles sur la protection des informations.

"Nous ne sommes pas les seuls à utiliser des données sur les réseaux sociaux pour extraire des informations sur les utilisateurs", a déclaré la société d'analyse.

"Aucune donnée de Facebook n'a été utilisée par notre équipe d'analyse de données lors de la campagne présidentielle de 2016", a-t-elle encore ajouté.

(avec David Ingram à San Francisco et Susan Heavey et Mark Hosenball à Washington; Danielle Rouquié, Jean-Stéphane Brosse et Henri-Pierre André pour le service français)