Face à la PPL Liot sur les retraites, la Macronie n’a que des mauvaises solutions

Elisabeth Borne et Franck Riester, ministre des Relations avec le Parlement, lors de l’analyse de la motion de censure du groupe "Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires" (LIOT), le 20 mars 2023. (Photo by Bertrand GUAY / AFP)

Le gouvernement et les députés Renaissance font face à une proposition de loi de groupe Liot visant à abroger l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Elle doit être examinée le 8 juin prochain, dans un contexte tendu.

Jouer en défense n’est jamais simple. Alors qu’Emmanuel Macron s’évertue à faire oublier la réforme des retraites en saturant l’espace médiatique au risque de lasser, les députés de la majorité n’ont, eux aussi, qu’une seule envie : « passer à autre chose », selon l’un des leurs. Et pourtant, le petit - mais puissant dans un contexte de majorité relative - groupe centriste Liot vient encore les enquiquiner sur le dossier délicat des retraites, malgré la promulgation de la loi le 15 avril.

En cause : une proposition de loi déposée par cette vingtaine de députés venus du PS, de l’UDI ou de l’ex-UMP et dirigé par leur président Bertrand Pancher, proche de Jean-Louis Borloo, déjà à l’œuvre lors de la dernière motion de censure contre le gouvernement Borne qui a bien failli tomber… à neuf petites voix près.

Le 8 juin, ils doivent donc étudier à l’occasion de leur « niche parlementaire », journée réservée à chacun des groupes d’oppositions pour faire examiner des textes de leurs choix, une proposition de loi visant à abroger le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une bombe dans le contexte actuel, alors que l’intersyndicale appelle à la 14e journée de mobilisation le 6 juin, deux jours avant, et que la tension et les oppositions à la réforme ne retombent pas.

« On fait tout pour empêcher un texte qui est nul et non avenu ! »

Le règlement de l’Assemblée oblige à ce que les textes des groupes parlementaires mis à l’ordre du jour soient d’abord validés par le bureau de l’Assemblée, plus haute instance du Palais Bourbon composée de députés représentatifs et de Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée. Ce bureau est chargé, entre autres, de vérifier que ces textes ne contreviennent pas à l’article 40 de la Constitution sur la recevabilité financière - qui a beaucoup fait parler de lui ces derniers jours.

Cette instance a validé le principe de l’étude de cette proposition de loi (PPL) Liot le 24 avril dernier, au nom du droit des parlementaires à déposer des textes. Il a ensuite été mis à l’ordre du jour de la séance le 8 juin, avant son passage en commission des affaires sociales, le 31 mai prochain.

Même si elle était adoptée, cette PPL d’abrogation n’a en réalité presque aucune chance de passer. Car ensuite, il faudrait qu’elle soit ensuite adoptée au Sénat - à majorité de droite et favorable à la réforme des retraites - et qu’une Commission mixte paritaire soit ensuite convoquée par les présidents des deux chambres, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher au Sénat, qui n’en ont pas la volonté.

Mais qu’importe, la proposition de loi ultra-symbolique est là, et le gouvernement « fait tout pour l’en empêcher, au risque d’occulter le fait que ce texte soit nul et non avenu, même adopté », se lamente un poids lourd de la majorité au Palais Bourbon.

Le sujet est explosif pour le gouvernement qui a face à lui trois solutions, toutes plus dangereuses les unes que les autres. Revue de détail.

1. Faire de l’obstruction

Afin de retarder les débats, ou les complexifier à n’en plus finir, le groupe Renaissance pourrait déposer un nombre important d’amendements à discuter le 8 juin. Mais après avoir tant vilipendé la France insoumise qui a utilisé cette stratégie lors du débat parlementaire de février, et en particulier sur l’article 7 qui repoussait l’âge légal, la ficelle serait un peu grosse.

« On va nous dire ’vous faites comme LFI’, c’est impossible à porter », prévient un député expérimenté Renaissance. « Je ne suis pas fan d’une obstruction massive, parce qu’il faut qu’on arrive à démontrer qu’il y a besoin d’un débat, quitte à assumer de perdre le vote », abonde l’une de ses collègues qui était déjà pour aller au vote à la place du 49-3 le 16 mars dernier.

2. Tenter de déclencher l’article 40

C’est la nouvelle trouvaille des Macronistes : l’article 40 de la Constitution permettrait de torpiller la proposition de loi avant même le début de son examen, pour savoir si elle grève de façon disproportionnée les finances publiques. Si oui, le texte est jugé irrecevable et n’est pas discuté en séance.

Mais le terrain est glissant. Déjà accusé de « brutaliser le Parlement » par la myriade d’articles de la Constitution dégainés pendant les semaines du débat parlementaire sur les retraites, jusqu’au couperet symbolique du 49-3, cet article 40 de la Constitution créerait un précédent.

S’il stipule que toute proposition de loi ou amendement doit être assortie d’un financement en conséquence, la pratique des institutions est en général très tolérante pour les propositions de loi - et le groupe Renaissance le sait bien.

Il n’empêche que tout député, et même le gouvernement, peut actuellement saisir le président de la Commission des Finances, le député LFI Eric Coquerel, pour tenter de bloquer la proposition de loi Liot avec cet article 40. Ce dernier devra, dans ce cas de figure, y opposer des arguments juridiques, il est en ce moment même en train de les analyser.

Les députés macronistes ont aussi une lecture du règlement qui leur permettrait selon eux de saisir le rapporteur général du Budget, le député Renaissance Jean-René Cazeneuve à la place d’Éric Coquerel. Une idée « surréaliste » pour le rapporteur du texte, le député LIOT Charles de Courson.

« Quand on veut trouver quelque chose dans le règlement de l’Assemblée on le trouve », assure un ancien LR qui connaît bien les arcanes politiques et qui suggère à la majorité d’utiliser cette solution : « Mieux vaut faire de la boucherie dans les couloirs, plutôt que de risquer un moment collectif d’exaltation dans l’Hémicycle et perdre à une voix près ».

3. Aller au vote, au risque de perdre

C’est la solution qui semble la plus probable, mais elle serait symboliquement très compliquée à assumer. « Si le texte passe, les Français comprendront que la réforme des retraites, c’est fini, alors que pas du tout ! », se désespère un député Renaissance expérimenté. « La vérité, c’est que tout le monde est mort de trouille. On passe une période très difficile », poursuit le même qui accuse ses collègues « de faire de la très mauvaise politique ».

À la présidence du groupe Renaissance, on relativise : « Si l’article 40 n’est pas respecté, on ne fera pas d’obstruction débile. De toute façon, ce truc est voué à l’échec, c’est ça qu’il faudra dire ».

À voir également sur Le HuffPost :

Ces propositions de lois macronistes qui auraient pu être bloquées par l’article 40

Emmanuel Macron, une hyperprésidence syndrome d’une « perte de créativité politique »

VIDÉO - Prudente "reprise de contact" des syndicats à Matignon, les retraites en surplomb