Face à l’inflation, ils se sont mis à voler au supermarché : « Je le fais aussi par sentiment d’injustice »

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les vols dans les supermarchés et les petits commerces ont augmenté de 14% en 2022.
shironosov / Getty Images/iStockphoto Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les vols dans les supermarchés et les petits commerces ont augmenté de 14% en 2022.

CONSOMMATION - Jusqu’il y a six mois, Nolwen*, cadre de 38 ans en région parisienne, n’avait jamais volé de sa vie. Et puis un jour, elle a décidé de laisser une motte de beurre salé au fond de son caddie et de ne pas la payer. Depuis, elle refait ce geste régulièrement. « Je ne trouve pas ça normal que les prix aient autant augmenté et que cela nous retombe dessus. Car notre pouvoir d’achat, lui, n’a pas augmenté », justifie-t-elle.

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Elle n’est pas la seule à avoir recours à cette méthode pour alléger son ticket de caisse au supermarché. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les vols dans les supermarchés et les petits commerces ont augmenté de 14 % en 2022. Il faut dire que depuis deux ans, le prix des paniers de courses a, lui aussi, accusé une hausse : de 20,5 % (selon les chiffres de janvier 2023 de l’Insee), une augmentation sans précédent.

« Je suis Bretonne et j’aime bien faire des pâtisseries, mais le prix du beurre salé a explosé. C’est par ça que j’ai commencé », explique Nolwen. Depuis six mois, cette mère de deux enfants laisse régulièrement des produits au fond de son « caddie de mamie » pour ne pas les payer lors de son passage en caisse.

En général, ce sont des produits dont la date de péremption est le jour même ou très proche. « Je ne trouve pas ça normal que ça soit vendu au prix fort. C’est souvent du jambon, de la viande, du beurre, souligne-t-elle. Je ne vais pas mettre 5 € pour un produit qui avant en aurait coûté 3. »

« Se nourrir correctement, c’est devenu compliqué »

C’est aussi la hausse des prix qui a poussé Nathan*, étudiant de 25 ans à Paris, à commettre ses premiers vols. « Je vole des fruits et légumes à la pièce, car sinon c’est trop galère, confie-t-il. En vivant à Paris, avec 700 € de loyer en collocation, je ne m’y retrouve pas. Se nourrir correctement, c’est devenu compliqué. Si je devais vraiment tout payer, j’en aurais pour 50 € de plus par mois, ou alors je ne mangerais que des pâtes et du riz. »

C’est aussi par nécessité que Sofia*, éducatrice à Lille de 25 ans, a commencé à voler au supermarché il y a trois ans. « Parce que c’était galère de payer mes études, même si je bossais à côté, et de pouvoir faire des courses dignes de ce nom, justifie-t-elle. Au début, c’était vraiment minime, je volais des produits d’hygiène, car je n’avais pas les moyens d’acheter de bons produits si je voulais manger correctement à côté. Donc un bon shampoing ou une crème que je n’aurais pas pu m’offrir. »

Mais depuis un an, avec l’envolée des prix, un salaire de moins de 1 000 € et un loyer de 500 €, ses vols ont augmenté et se sont diversifiés. « Tout ce qui est viande, je ne les passe pas à la caisse car c’est extrêmement cher. Donc j’essaye toujours de faire passer deux trois trucs dans mon sac ou cachés sous mon manteau, explique-t-elle. Je pourrais manger sans voler, mais je ne mangerais pas sainement, quasiment que des pâtes. »

« Il y a quelque chose de politique, au-delà de l’aspect financier »

Comme nos autres interlocuteurs, Sofia ne vole que dans « de grosses enseignes ou gros supermarchés ». « Je me dis que l’impact pour eux sera moins important que dans un petit commerce », souligne celle qui précise qu’elle ne vole « pas par plaisir ».

Nolwen, elle, le fait « par principe ». Elle estime qu’elle pourrait payer ses achats mais a décidé sciemment d’en oublier certains au fond de son caddie. « Je le fais aussi par sentiment d’injustice : je me dis que ce sont toujours les mêmes qui se font la même marge, la grande distribution, s’agace cette fille d’agriculteurs. Ce ne sont pas les producteurs de lait qui négocient les prix. Donc je vole plus par principe que par nécessité. C’est ma lutte des classes à moi. Si je dois faire mon Robin des bois des temps modernes, ce sera contre Monoprix ! »

Celle qui évite de voler lorsqu’elle est accompagnée de ses enfants, par peur de se faire contrôler devant eux, reconnaît qu’elle est mieux placée que d’autres pour se permettre ces transgressions. « J’ai de la chance, je suis blanche, les contrôles sont assez limités. Il ne faut pas se leurrer ! »

Nathan, qui se décrit comme un « enfant très bien éduqué », a lui franchi le pas autant par conviction que par nécessité. « Il y a quelque chose de politique, au-delà de l’aspect financier, précise-t-il. Quand je vois comment ils payent les agriculteurs, qui n’arrivent pas à vivre de leur production… Je ne vole que des enseignes qui se font de l’argent sur le dos des gens, en supprimant des emplois et en les remplaçant par des caisses automatiques, par exemple. »

À Lille, ces derniers temps, Sofia a vu le discours autour du vol se décomplexer dans son entourage. « Avant, je n’en parlais jamais, car ce n’est pas une fierté et on a toujours peur de se faire choper, souligne-t-elle. Depuis un an, j’ai de plus en plus de potes qui m’avouent qu’ils le font aussi, qui me disent piquer un ou deux trucs quand ils font leurs courses. Et ça devient un sujet assez banal dans les discussions. »

* Les prénoms de nos interlocuteurs ont été modifiés à leur demande.

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